Autocollants de toutes sortes, feutres multicolores et ciseaux, me voici revenue en maternelle ! Aujourd’hui j’ai l’habitude que les réunions de parents d'élèves des classes de maternelle en Israël finissent par ces activités créatives dont je me serais bien passée ! Mais il y a six ans, ça a été une découverte totale ! Lorsqu'après le discours du directeur puis l’introduction de la maîtresse sur l’organisation du Gan, on a été invitées à s'asseoir sur les petites chaises des enfants et à leur décorer un sac en toile pour leur anniversaire…
À l'époque, je ne comprenais presque rien en hébreu, je me suis retrouvée à suivre le mouvement et à me demander ce qu’on pouvait bien attendre de moi ! Je faisais mine de réfléchir, l’air très inspiré. Je regardais les mères attraper les autocollants paillettes vérifiant si les couleurs s’accordaient, plonger allègrement leurs doigts dans les petits pots de colle liquide, dessiner, écrire… On aurait dit qu’elles avaient attendu ce moment toute l'année ! Et moi je me demandais si je n'étais pas dans un monde parallèle : il y a 5 minutes nous étions des mamans respectables aux questions pertinentes et là, nous avions perdu toute dignité !
Aujourd’hui, je suis en train de décorer un set de table avec la photo de mon fils. Mais bizarrement, c’est plutôt ce qu’il vient de se passer qui me reste dans la tête.
Lors de la présentation de l’emploi du temps de la classe et des activités, les mamans ont été très… réactives ! Le nombre d’enfants qui devaient fêter ensemble leur anniversaire semblait être une problématique de la plus haute importance. Savoir s’il fallait mettre son goûter dans une boîte ou dans un sachet a été pris très au sérieux. Tout ça avec la façon de s’exprimer à l'israélienne avec un franc-parler qui, personnellement, m'impressionne toujours. C’est vraiment un choc culturel pour nous, les Français, habitués à garder le silence, parler posément et peser chaque mot. Je riais intérieurement en imaginant certaines amies de France téléportées ici !
Et maintenant ces mêmes femmes s'échangent les gommettes, rigolent et se congratulent sur leurs œuvres d’art comme si de rien n’était. Comment est-ce possible de passer d’une chose à l’autre si rapidement ?
Après avoir été confrontée maintes fois à ce genre de situations, j’ai compris que les Israéliens n'étaient ni vexés ni blessés par des remarques qui, pour nous, seraient des attaques frontales. Ils ne « passent pas à autre chose », donc ils continuent, nullement atteints par ce qui vient de se passer.
Il y a quelques mois, deux hommes se crêpaient le chignon pour savoir qui avait son rendez-vous en premier pour faire une prise de sang. Ils ont trouvé un terrain d’entente et se sont ensuite quittés en se souhaitant chaleureusement « Réfoua Chéléma A’hi ! » (Bonne guérison mon frère !). J’hallucinais complètement !
Cette façon de s’exprimer, directe et sans filtre, est ancrée en eux depuis toujours. Ils ont grandi dans une culture où l’on dit les choses franchement, sans détour, avec une assurance désarmante. Ce qui pourrait nous paraître vexant est pour eux une simple discussion, un échange d’opinions et parfois même une manière de donner des conseils pour progresser.
Grandir dans un pays jeune construit à toute vitesse, avec des guerres en toile de fond, une éducation où l’on apprend à argumenter et défendre ses idées, ça forge un caractère, forcément ! Malgré mes dix ans d’Alyah, je crois qu’on restera toujours sur deux planètes différentes sur ce point. Je ne me ferai jamais à cette manière de communiquer qui heurte ma sensibilité française et ma conception du respect de l’autre. Cela ne m'empêche pas d’admirer leurs joutes verbales.
Mais j’ai quand même beaucoup appris des Israéliens. Leur manière de faire a le mérite d'éviter les rancœurs et l’hypocrisie. Moi qui n’osais pas trop m’exprimer, j’ai découvert une vraie liberté à dire ce que l’on pense, à s’imposer davantage, à prendre sa place, tout en gardant courtoisie et délicatesse. Je fais donc partie de la famille des ‘Olim ‘Hadachim (nouveaux immigrants) de France, une espèce hybride, jonglant entre « Sli’ha (pardon), Bévakacha (s’il-vous-plaît) » et « Yalla ! Zé ma ché yech ! » (Allez ! C’est ce qu’il y a !).
Grâce à cela, je suis passée ceinture verte en confiance en moi… même si les Israéliens resteront à jamais ceinture noire !
Batya Berdugo