En choisissant de regarder cet inconnu avec bienveillance, mon amie n’avait pas anticipé que le “bon œil” se poserait sur elle aussi. Parce que tous les cœurs du peuple juif sont étroitement liés...
Un projet de Chabbath mouvementé
Mon amie Raphaëlle avait 23 ans et aimait beaucoup la communauté juive de sa banlieue où elle ne manquait aucun office à Chabbath. C’était une petite communauté qu’elle aimait bien.
Avec l’université située dans la même ville, de nouveaux étudiants étaient venus s’installer et parmi eux, un grand garçon juif avec un style particulier : il était toujours vêtu d’un jogging, d’un pull à capuche et d’une casquette. Ce n’était pas banal et il attirait tous les regards à la synagogue quand il venait prier Min’ha, l’office de l’après-midi !
Un jour, ce même garçon eut l’idée d’organiser un Chabbath plein pour la communauté. Avec l’autorisation du Rav de la synagogue, il se mit en quatre pour trouver un traiteur Cachère à bon prix, un Rav pour donner des cours, agencer les tables, etc. Il y mettait tout son cœur. Problème : les fidèles ne voyaient pas ce jeune inconnu d’un très bon œil. Avec ce “look” improbable, ils étaient persuadés que ce nouveau venu était loin du respect des Mitsvot et à, coup sûr, cela poserait des problèmes de Cacheroute ou de transgression du Chabbath ! Raphaëlle m’avait d’ailleurs confié qu’elle doutait qu’il y ait une grande participation.
“Et toi, que vas-tu faire ?”, lui demandais-je. “Oh, moi c’est sûr que je vais y aller ! Attends, voir quelqu’un se démener autant pour organiser un grand Chabbath, c’est beau ! Tout le monde n’a pas ce mérite. Et le Rav nous a bien confirmé à tous que tout serait fait dans les règles !”.
Et c’est ce qu’elle fit. Elle participa au Chabbath. Et malheureusement, comme on pouvait s’y attendre, il n’y eut pas beaucoup de participants de la communauté. Beaucoup de membres avaient jugé ce garçon comme indigne de prendre en charge une manifestation religieuse.
Par contre, les étudiants juifs de l’université, eux, ignoraient ce qui agitait la synagogue et étaient venus nombreux, heureux qu’il y ait un grand Chabbath organisé. Parmi les nouveaux visages, un marseillais, Asher, était venu assister au cours du Rav qu’il connaissait. La suite ? On a présenté Asher à Raphaëlle à l’issue du Chabbath et, aujourd’hui, ils sont mariés et viennent d’accueillir leur troisième enfant.
Justice et juste mesure
Heureuse coïncidence ? Pas du tout !
Nos Sages nous enseignent qu’avoir un bon œil, c’est être indulgent et voir l’autre de façon positive, même si on ne le connait pas. Et quand on juge avec cœur et indulgence, on est soi-même aussi jugé de la même façon dans le Ciel (“Midda Kénéguèd Midda”). C’est exactement ce qu’a fait Raphaëlle : elle a choisi de regarder ce nouveau membre de la communauté avec un regard bienveillant… et cela a attiré la bienveillance d’Hachem sur elle.
Au contraire, quand on se permet de juger les autres (que ce soit nos proches ou des inconnus), on met en place des réactions en chaîne négatives.
Tout d’abord, comme l’enseigne le Ba’al Chem Tov : “Quiconque juge autrui en bien ou en mal prononce du même coup sa propre sentence !”. Un mauvais jugement sur l’autre ne sera donc sûrement pas bénéfique pour nous...
La deuxième chose, c’est que nos mauvaises pensées déclenchent souvent facilement de mauvaises paroles. Et le ‘Hafets ‘Haïm nous enseigne que la médisance (Lachone Hara’) est si grave, qu’elle peut annuler tous les mérites de nos bonnes actions !
Et lorsqu’on juge quelqu’un négativement, les paroles accusatrices peuvent facilement dévier sur des pensées ou remarques envieuses : “Pourquoi a-t-elle acheté cette voiture alors qu’elle se plaint de ne pas gagner assez ?”, “Ils partent souvent en vacances, comment peuvent-ils se le permettre ?”
Et toute cette jalousie peut être dramatique pour l’autre, car, comme l’enseignent nos Sages, ce mauvais œil peut atteindre la santé et la réussite de la personne enviée ! (Baba Métsia 107b, Sanhédrin 93a)
Gagnante à tous les coups
À l’inverse, lorsque l’on juge favorablement son prochain, celui-ci est enclin à en faire autant, car notre œil bienveillant trouve un écho positif dans son cœur.
Le roi Salomon, dans ses proverbes (Michlé 27:19), nous enseigne un fondement essentiel, qui constitue une loi de la nature : "Comme dans l’eau le visage répond au visage, ainsi chez les hommes, les cœurs se répondent".
On comprend par là que nos actions ne concernent pas que nous-mêmes, mais l’ensemble du peuple juif. Et quand je regarde mon amie avec “bon cœur”, alors j’exerce une influence pour qu’elle aussi, à son tour, se mette à regarder les autres avec gentillesse et bienveillance.
D’après le roi Salomon, c’est cela qui participe à la paix sociale.
À titre personnel, changer son regard sur les autres, c’est également changer la perception de toute notre vie. Quand on se laisse aller à avoir un œil critique, on se met à voir le négatif partout ! Aussi bien chez son voisin… que chez nous ! Alors qu’au contraire, si on s’habitue à se concentrer uniquement sur des observations positives, on augmente notre bien-être (sérénité, joie, altruisme…). Et comme l’œil qui bénit est béni en retour, il ne faut pas hésiter à trouver les occasions de voir le bon partout !
Au quotidien, c’est même plus facile qu’on pourrait le penser !
Avoir un œil bienveillant sur nos proches, c’est les encourager, les remercier, se focaliser surtout sur leurs qualités et tout ce qu’ils font de bien, ce qu’ils nous apportent !
Et devant un inconnu ou quelqu’un de différent, un bon regard, c’est l’acceptation de sa différence sans aucun jugement. Car nous devons partir du principe qu’il y a sûrement de bonnes raisons à son attitude et que nous ne connaissons pas toute l’histoire… comme ce jeune juif au look de voyou. Pendant ce fameux Chabbath, il expliqua qu’il passait toutes ses après-midi à animer des activités avec des jeunes des cités pour leur expliquer la beauté de la Torah, et leur faire progressivement faire Téchouva. Et chaque jour, à l’heure de Min’ha, il n’avait pas le temps de se changer, ce qui expliquait sa tenue “originale” pendant la prière...
Que nous puissions toutes nous écarter de tout faux jugement ! Et toujours garder un œil bienveillant, tel que celui que nous aimerions que l’on pose sur nous, en toutes circonstances…