Un jeune enseignant a décrit cet épisode qui se déroula au début de sa carrière d’enseignant :
« Un beau matin de printemps, à mon arrivée à l’école, je fus surpris de découvrir un jeune qui attendait devant le portail. « C’est fermé à clef, » me dit-il tristement. Son visage s’éclaira lorsqu’il me vit fouiller pour trouver mes clefs. « Vous êtes un enseignant ! » s’exclama-t-il avec un plaisir évident.
Alors que j’introduisais la clef dans le cadenas et que j’ouvris la porte, je le regardais et souriais. « Qu’est-ce qui te fait penser que je suis prof ? » lui demandais-je, amusé et fort content de sa réaction.
« Il me fixa en parlant doucement, mais respectueusement. "Vous avez la clé."
« Je me sentis à la fois humble et confondu par l’ampleur de cette simple remarque, par l’implication qu’elle suggérait et la responsabilité que je détenais en possédant simplement la « clé. » À n'en pas douter, le commentaire que m’adressa ce jeune élève fut l’un des plus importants de toute ma carrière d’enseignement. Pas un jour ne passa, lorsque j’arrivais à l’école, où je ne me rappelais pas de cet épisode. »
Le rav Yossef Dov Solovetchik a enseigné que « l’enseignement implique plus que la transmission d’un savoir et d’un raisonnement. Cela requiert une empathie entre l’enseignant et l’élève, et l’aptitude à communiquer des sentiments, des pensées et des objectifs. Il y a une interaction de personnalités, un échange de valeurs et d’idées. » Enseigner, c’est savoir comment débloquer non seulement l’esprit, mais aussi le cœur, les sentiments et l’intérêt de chaque élève. Il n’y a pas de « passe-partout ». Nous avons autant besoin de l’accolade chaleureuse que de l’idée brillante ; une compréhension bienveillante, une amitié réelle et un contact humain : suggérer que nous nous sentons concernés ; le rôle d’enseignant est insuffisant. »
Nous avons besoin de la clé.
Y aurait-il un modèle standard que nous pouvons calquer afin d’y puiser des directives sur la manière de transmettre à nos élèves autre chose que des informations, de pures informations relatives à notre sujet ?
Écoutons le Maître de l’Enseignement Lui-Même, D.ieu, enseignant une leçon à son élève modèle, Moché. Le but de la leçon était de véhiculer les détails du don -trouma - nécessaires à l’érection du sanctuaire de D.ieu. La leçon commence par des instructions générales. « Parle aux enfants d’Israël, afin qu’ils puissent m’apporter une offrande, » puis poursuit en donnant les détails de son application. La trouma, apprend Moché, peut être offerte à partir d’or, d’argent, de cuivre, de peau, de bois, d’huiles et de pierres. »
Des faits. Des connaissances. Des informations. Ils sont bien entendu nécessaires, mais pas assez suffisants pour l’Enseignant qui ne souhaite pas seulement enseigner, mais aussi élever et inspirer. D.ieu mêle à ces instructions élémentaires des sentiments et de l’émotion : « Véassou li mikdach vécha’hanti béto’ham : et laisse-les Me faire un sanctuaire, afin que Je puisse résider en leur sein. »
C’est dans ces propos que nous puisons l’idée du vrai art de l’enseignement. Le rav de Kotsk remarque que D.ieu n’annonce pas qu’Il résidera en son sein, mais plutôt « en leur sein. »
La vraie leçon ne relève clairement pas du domaine des faits et des chiffres, mais plutôt de la générosité. La valeur suprême et la vraie leçon ici, c’est l’amélioration du caractère. Chaque individu doit créer une place en lui afin de permettre un accès facile à D.ieu qui y entre et y demeure en tant que résident permanent, beto’ham mamach. Au bout du compte, tout enseignement de qualité doit éveiller des sentiments et des réactions agréables. Tous les enseignants doivent avoir ceci à l’esprit lorsqu’ils enseignent.
L’enseignant a la responsabilité d’enseigner de manière à éveiller des sentiments positifs. Il n’est pas de la responsabilité des élèves, comme un trop grand nombre d’enseignants le présument, de créer en eux de tels sentiments.
En témoignant à nos élèves du respect et de l’amour, comme D.ieu avec Moché, nous convions nos élèves à prendre part aux merveilles et au pouvoir de notre enseignement. Et même si nos élèves ne saisissent pas toujours les « pourquoi et les comment », ils devraient toujours quitter la salle de classe sachant qu’ils sont appréciés et aimés.
Dans ses propos adressés à Moché, D.ieu le charge soigneusement de construire le Mikdach li, pour Moi. Mais c’est évident ! Quelle autre raison pourrait-il y avoir de construire un Mikdach si ce n’est pour se rapprocher de l’esprit et du savoir de D.ieu ? Et Rachi de commenter : « Laisse-leur préparer un endroit de sainteté pour la gloire de Mon nom. » Le succès dans la transmission des connaissances en Torah ne peut se mesurer qu’à l’aune de l’effet produit par l’étude sur la personnalité de l’élève. Si les actes, les pensées et les réactions d’un élève sont dans l’esprit du Mikdach, le processus éducatif est un succès. C’est-à-dire que l’élève doit apprendre le contenu de la leçon - mais s’il ou elle ne le fait pas dans un contexte de respect et d’honneur, ce n’est qu’une demi-leçon.
Une leçon complète, c’est lorsque les enseignants - qui transmettent l’éducation - comprennent que l’aspect du Mikdach (la dimension divine) nécessite que les connaissances soient transmises non seulement vers le cerveau, mais aussi vers le cœur ; la leçon enseignée doit, au bout du compte, toucher le cœur et les sentiments de l’élève. Une telle leçon peut uniquement être dispensée par un enseignant passionné et attentionné. Un curriculum vitae créatif n’est pas suffisant.
Les rabbins nous ont enseigné : toute personne qui enseigne la Torah en public et qui ne veille pas à ce que ses paroles soient aussi agréables qu’un mélange de miel et de lait - il est préférable qu’elle n’enseigne pas du tout (Chir Hachirim Rabba 4:11).
Le rav de Kotsk s’interroge : « Où est le Michkan de D.ieu ? » Il répond promptement : « Dans tout endroit où on L’accueille. » D.ieu se sent le bienvenu dans tout endroit où Ses attributs de bonté, de générosité, de pardon et de tolérance font partie de la routine et de l’atmosphère quotidienne. Et dans le cas contraire ? « Un animal vaut mieux qu’un Sage dénué de sensibilité aux sentiments des autres » (Seder Elihaou Rabba 6:7).
Fabriquer le Michkan en suivant les instructions de Hachem requérait des efforts immenses. Le Avot déRabbi Natan enseigne que D.ieu a fait résider Sa Chékhina sur Israël uniquement lorsqu’il fut persuadé de leur désir de travailler durement et d’investir le maximum de melakha. À plus forte raison faut-il investir des efforts, faire preuve de dévouement, d’imagination et de créativité pour former un élève tel que D.ieu l’attend de nous. Ceux qui étaient chargés de construire le Mikdach bénéficiaient de la direction encourageante et bienveillante de Moché, ce qui facilita leur tâche, et diminua la pression et l’anxiété qu’ils ressentaient.
Lorsque nous enseignons à un élève, nous devons souvent nous débrouiller seuls, face à nos insuffisances, notre manque de sécurité et nos préjugés, dénués de la supervision de Moché. Or, nous savons que pour satisfaire D.ieu et accéder au « pour Moi », il est nécessaire d’investir des efforts, le maximum de melakha et de faire preuve de dévouement. Pour mener à bien notre mission de manière à honorer D.ieu, il nous faut honorer nos élèves. Nous devons les respecter dans la situation où ils se trouvent, et non où nous estimons qu’« ils devraient se trouver ».
Des exemples anciens et modernes peuvent nous éclairer sur le sens du respect et de la considération. Les récentes confrontations avec des extrémistes en Israël sur la séparation des hommes et des femmes me rappellent la sagesse et la grâce de la rabbanite Batchéva Kanievsky, de mémoire bénie, comme le rapporte le site Vos Iz Neias.
D’après le site d’information israélien B’chadrei Chareidim, rav Its’hak Kolodetsky évoque sa belle-mère, se rappelant d’une occasion où la rabbanite Kanievsky rentrait chez elle de la synagogue Lederman, accompagnée par un groupe de femmes, dont l’une d’entre elles n’était pas habillée décemment.
« Un homme présent dans la maison commença à crier sur elle et à l’humilier devant tout le monde, » se rappelle rav Kolodetsky. « La Rabbanite ne put tolérer un tel comportement grossier et répliqua : "On ne se conduit pas ainsi. N’ayez pas l’audace de mettre les pieds chez moi, car ce n’est pas notre manière d’agir. Nous persuadons les gens avec des manières agréables et pas en les embarrassant." »
À une autre occasion, rapporte le rav Kolodetsky, son beau-père hagaon Rav ‘Haim Kanievsky était prêt à sortir, mais un groupe de femmes qui attendait de voir la Rabbanite bloquait le chemin, lui rendant le passage impossible. L’un des hommes présents dans la maison s’adressa à elles en criant afin qu’elles dégagent le passage. La Rabbanite s’empressa de le corriger : « Ici, nous ne crions pas, nous parlons plaisamment à chacun. »
Imaginez à quel point nos élèves pourraient apprendre davantage si nous suivions le conseil aimant de la Rabbanite Kanievsky à chaque fois que nous enseignons ! Ils avanceraient d’un pas plus assuré dans les chemins de la connaissance et de la sagesse si nous éduquions leur cœur et leur âme autant que leur esprit. Tout le monde sait que des Juifs de toutes les communautés et de toutes les origines furent attirés par la Yiddishkeit (vie juive authentique) grâce à la sympathie, l’empathie, l’amour inconditionnel et la compassion de la Rabbanite Kanievsky.
Le Aron, considéré comme la demeure permanente de la connaissance et de la sagesse en Torah, a, d’après les ‘Hakhamim, une existence miraculeuse, qui ne dépend ni des mesures ni d’un emplacement spécifique (Mekom aron éno min hamida, véomed beness). Il est vrai que nous trouvons parfois de bons éléments parmi les enfants ayant suivi leur cursus scolaire dans des établissements qui placent l’accent presque exclusivement sur un pur apprentissage scolaire, sans considération pour l’amour, la sensibilité et la compassion, ni pour les sentiments et les émotions. Mais pourquoi compter sur des miracles lorsqu’il s’agit de nos enfants ?
De toute évidence, lorsque la clé est perdue, il est presque impossible de la remplacer et chaque porte qui n’a pas été ouverte laisse un précieux élève dehors. Aimez vos élèves - ne vous contentez pas de leur prodiguer un enseignement !
Rav Eliyahou Safran