J’aimerais partager avec vous mon expérience en tant que membre d’une délégation représentant notre Président et les Etats-Unis d’Amérique lors de l’inauguration d’une nouvelle aile à Yad Vachem à Jérusalem.
Me trouver à Jérusalem en tant que représentante de notre Présidente a été une expérience extraordinaire que j’ai acceptée avec humilité et un respect mêlé de crainte. Je pense néanmoins que celui qui l’a résumé de la manière la plus poignante pour moi a été l’honorable Fred Zeidman, président du conseil mémorial de l’Holocauste aux Etats-Unis, qui, lors de notre vol de retour vers la base aérienne Andrew à Washington, se tourna vers moi et me dit : « Quand vous y pensez, Rabbanite, vous volez au-dessus de l’Allemagne dans l’avion du Président. » En effet, cette idée a de quoi donner la chair de poule - moi, une enfant de Bergen Belsen, voler au-dessus de l’Allemagne dans l’avion du Président des Etats-Unis !
Mais le meilleur moyen de vous faire part de mes impressions est de vous faire partager certaines des conversations que j’ai eues avec des journalistes. Dans une interview, j’ai déclaré : « Nous, le peuple juif, ne sommes pas des survivants, car nous n’avons pas simplement survécu au mal satanique - mais nous en avons triomphé par notre foi en D.ieu et en notre Torah. »
« Mais après avoir vécu tout ce mal, comment pouvez-vous continuer à croire en D.ieu ? », me demanda un reporter.
« Dites-moi, répondis-je, si ce n’est en D.ieu, en qui devrais-je croire ? En l’humanité ? Aux forces de la civilisation occidentale ? A la bienveillance de l’humanité ? S’ils avaient réussi dans leur voie, mon peuple et moi ne serions plus présents aujourd’hui. Si ça ne tenait qu’aux nations du monde, ils nous auraient déjà tous annihilés. Dans ces jours sombres, le monde était divisé en deux : ceux qui cherchaient à nous éliminer de la surface de la terre, et ceux qui choisirent d’acquiescer en silence à notre annihilation. Sans D.ieu, nous le peuple juif, ne serions plus ici aujourd’hui ! »
Le journaliste me demanda de définir le message de la Shoah à l’humanité.
« Le vingtième siècle, répondis-je, sera toujours retenu, non seulement pour sa brutalité satanique, les insondables tortures et massacre de six millions de nos saints martyrs… mais il sera aussi retenu comme l’effondrement de la culture et la civilisation européenne. L’Allemagne était le pays le plus éduqué et le plus sophistiqué de tous, la société la plus éclairée de son époque, et c’est là que ce mal horrible a été perpétré. Médecins, scientifiques, avocats et musiciens ont uni leurs forces pour orchestrer cette sauvagerie et ceci doit faire réfléchir chaque personne qui pense et l’obliger à réexaminer les valeurs par lesquels elle juge un homme.
Après la Shoah, l’humanité doit comprendre qu’une seule sagesse peut maintenir le monde, c’est la Yirat Chamayim, la crainte de D.ieu, car c’est le fondement de tout savoir, et si ce fondement manque, alors tout est voué à l’échec.
Peut-être plus que jamais, les propos du prophète Jérémie nous parlent :
« Ainsi parle l'Eternel : "Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le vaillant ne se glorifie pas de sa vaillance, que le riche ne se glorifie pas de sa richesse ! Que celui qui se glorifie se glorifie uniquement de ceci : d'être assez intelligent pour Me comprendre et savoir que Je suis l'Eternel, exerçant la bonté, le droit et la justice sur la terre, que ce sont ces choses-là auxquelles Je prends plaisir", dit l'Eternel. »
Hélas, l’humanité doit encore apprendre cette leçon, car malgré les déclarations d’éradiquer l’antisémitisme faites par plus de quarante dirigeants du monde aux cérémonies de Yad Vashem, nous assistons à une résurgence hideuse de l’antisémitisme dans le monde. L’Union européenne ne cesse de condamner Israël. Malheureusement, en-dehors de notre Président, aucun leader mondial ne s’est engagé à combattre ce mal. Oui, la leçon proclamée par le Prophète Jérémie « Je suis l'Eternel, exerçant la bonté, le droit et la justice sur la terre » doit être assimilée.
Quel message renferme la Shoah pour le peuple juif ? demanda le journaliste.
Après une calamité aussi innommable, chaque Juif doit examiner son cœur et son âme et se demander : Hitler a tué six millions de mon peuple. Vais-je, par apathie, indifférence et assimilation, ajouter à ce nombre ? Ou vais-je donner vie à mon peuple ? Vais-je devenir un nouveau lien dans la chaîne éternelle de l’histoire juive, accomplir mon destin et attester de la présence de D.ieu ? »
En quoi le musée de l’Holocauste à Yad Vachem diffère-t-il de plus des 250 mémoriaux de l’Holocauste dans le monde ?
« Un musée de l’Holocauste dans n’importe quelle partie du monde est un mémorial pour nos saints martyrs et un rappel à l’humanité du mal sauvage dont les êtres humains sont capables, mais à Jérusalem, c’est bien plus que cela, par le fait même qu’il est situé à Jérusalem, l’existence de ce mémorial est un témoignage du triomphe éternel du peuple juif, qui s’est relevé comme un phénix de ses cendres d’Auschwitz et est retourné sur sa terre au bout de près de 2000 ans.
Aucun peuple au monde n’est capable d’un tel exploit, et nous sommes témoins de ce miracle à chaque génération. Comme nous le disons dans la Haggada de Pessa’h : au fil de l’histoire, il y a toujours quelqu’un qui prend les devants pour nous annihiler, mais le D.ieu tout-puissant nous sauve toujours de leurs griffes… C’était le cas dans l’Egypte ancienne, puis lorsque les Babyloniens ont conquis notre terre ; il en fut de même dans la Perse ancienne (l’histoire de Pourim) ; ainsi que dans la Rome antique, puis dans l’Allemagne nazie. Hitler et ses cohortes étaient convaincus d’avoir trouvé la « solution finale » au « problème juif », mais aujourd’hui, Hitler et ceux qui l’ont précédé sont partis et non seulement nous sommes présents, mais nous sommes revenus à Jérusalem. Alors, vous voyez, non seulement avons-nous survécu à l’Holocauste, mais grâce à notre foi, nous avons prospéré et triomphé du mal… c’est le miracle de la vie juive. »
On m’a demandé si un épisode dans les camps de concentration résumait ce message et en réponse, j’ai relaté l’histoire de notre Chofar à Bergen Belsen. Mon père, le Rav et Gaon Avraham Halévi Jungreis Zatsal et d’autres rabbins du camp avaient tenté d’obtenir un Chofar pour Roch Hachana, et en échange de trois cents cigarettes, ils réussirent. La réussite de ce tour de force dépasse notre entendement, car trois cents cigarettes dans les camps équivalaient à une immense fortune. Nous avons récité la bénédiction, sonné du Chofar, et bien entendu, les Nazis accoururent pour nous frapper. Mais peu importe, nous avions soufflé dans le Chofar et récité la Brakha, nous avions triomphé !
« En conséquence, le terme de "survivant de la Shoah" est erroné. Nous, le peuple juif, n’avons pas simplement survécu à la Shoah, nous en avons triomphé ! Aujourd’hui, il a des Yéchivot et des centres de Torah dans le monde qui ont des noms aux consonances étranges : Mir, Belz, Ponivitz, Bobov, Brisk, Gour, Telz, Satmar, Pupa, Csenger, Klausenberg, Munkacs, Loubavitch, etc. Autrefois, c’étaient des Chtetlakh, des localités juives, mais si un seul Juif a survécu, il a construit une Yéchiva, un Beth Hamidrach, et une nouvelle génération d’érudits en Torah a vu le jour. Des cendres, nous avons reconstruit le noyau spirituel de notre peuple, et si nous possédons cette force spirituelle, alors rien au monde n’a d’emprise contre nous. »
J’invitai le journaliste à observer autour de lui ce pays magnifique : les villes, villages, les autoroutes, les vergers et les forêts. Quelques années auparavant, tout était désert. Comment ce miracle a-t-il eu lieu ? Comment cette terre ancienne a-t-elle pu renaître ? D’où a-t-elle été nourrie ?
De la foi éternelle de notre peuple. C’est le miracle de la vie juive, c’est l’empreinte de D.ieu dans l’histoire juive. Non, nous n’avons pas survécu à la Shoah, nous en avons triomphé.