Le couple est une question d’équilibre émotionnel. Une des difficultés majeures de ce tandem est d’accepter l’autre dans sa différence, sans chercher continuellement à le changer. Pour cause, nous venons de mondes différents, érigés sur des figures d’attachement propres à chacun, traversés d’expériences de vie totalement personnelles. Certains ont grandi dans un environnement très chaleureux, avec des parents encourageants, d’autres dans un environnement calme voire silencieux. Puis, une fois marié, on se rend compte que le conjoint n’est pas comme son parent. Lui est discret, alors que son père à elle était énergique et boute-en-train. Quant à elle, elle est bavarde, à tue-tête, alors que sa mère à lui, était d’un calme olympien.
L’être humain apprécie ce dont il a l’habitude, le changement lui est parfois pénible. Il arrive cependant que ce soit précisément l’opposé du parent que la personne a cherché à atteindre dans la personnalité de l’autre. Quête suscitée par le mystère de l’inconnu ou au contraire, par la déception des sentiers connus. Malgré cela, il n’en reste pas moins que le naturel une fois chassé, réclame (trop souvent) son dû.
Lui, peut souffrir du manque d’expressivité de sa femme ; elle, de la nervosité de son mari.
Change et je t’aimerai…
Alors instinctivement, on a tendance à vouloir que l’autre se conforme à notre image, à nos besoins émotionnels, en d’autres termes : qu’il change. Un pourcentage non négligeable des divorces dans la société nous indique que telle en fut la cause. Ils ne furent pas acceptés tels qu’ils étaient…
Toutefois, l’inverse existe et est tout aussi vrai, lorsque tous deux veulent sincèrement changer mais qu’ils n’y parviennent pas. Pourquoi ?
L’explication la plus manifeste est qu’il est rudement difficile de changer ses mœurs, son tempérament, car là aussi, chassez le naturel et il reviendra au galop. Alors quoi, serions-nous déterminés à notre nature, incapables de nous extraire de notre fatalité ?
Pourtant nous modifions notre personnalité en vue de coïncider avec l’exigence de la Torah…
Et si nous nous inspirions de notre relation à D.ieu pour améliorer notre relation avec notre conjoint ?
À y regarder de plus près, il semblerait que nous fassions beaucoup d’efforts et même de sacrés changements pour D.ieu. En effet, nous préférerions nous laisser allez à l’état naturel, c’est plus facile, moins contraignant. Dire du mal de ceux qui nous ont heurtés, mentir à ceux qui nous agacent, se venger de ceux qui nous cherchent. Pourtant, nous sublimons notre nature. Plus encore, lorsque la Torah nous ordonne d’aimer l’autre comme soi-même, nous nous lançons dans toutes sortes de campagnes de sensibilisation intérieures, dans le but de trouver des circonstances atténuantes à des gens dont le portrait ne nous revient pas… et parfois ça marche, nous finissons par les aimer ! C’est la preuve que le changement est possible.
Alors pourquoi ne parvenons-nous pas à fournir les mêmes efforts vis-à-vis de notre conjoint ?
La réponse est que concernant le divin, la question de l’égo ne se pose pas. Il ne vient pas à l’idée de déclarer : « Je veux que D.ieu m’accepte tel que je suis ! » On fait des efforts et on change car on veut plaire à D.ieu. On pourrait même affirmer qu’on souhaite d’avantage plaire à D.ieu qu’à soi-même…
Vis-à-vis du conjoint, c’est précisément là que ça coince. Si je me change pour l’autre, cela signifie quelque chose sur moi. Je ne suis pas aimable à l’état naturel, je dois être quelqu’un d’autre, je me trahis.
Pourtant, face au divin, ce dilemme existentiel devrait pourtant exister aussi.
Comment place-t-on irrémédiablement D.ieu au-dessus de soi ?
Aime le plus que tu t’aimes !
Le judaïsme nous apprend que l’admiration et la déférence dont nous tâchons de faire preuve à l’égard de D.ieu, hisse dans nos consciences Son image au-dessus de la nôtre. C’est pour cela que les Sages de la Grande Assemblée instituèrent que la prière quotidienne débute par trois bénédictions de louanges1 avant même toute requête, le but étant d’intégrer, tant que possible, l’infinie grandeur du Démiurge afin de Lui jurer allégeance et d’être reconnaissant des bienfaits qu'Il nous prodigue. Le changement n’est plus qu’à un pas de là…
On raconte qu’un Rabbin reçut une femme qui était venue se plaindre à sa porte de ne plus avoir de sentiments à l’égard de son mari. Elle était surprise d’elle-même car son mari se décarcassait tant et lui offrait tout ce dont une femme pouvait rêver. Mais le Rav lui posa la question suivante : « Trouvez-vous votre époux intelligent ? » Elle leva les yeux au ciel et avoua que non. Il avait mis le doigt sur son problème, elle n’avait pas d'admiration pour son mari…
En s’inspirant de notre rapport à D.ieu, nous pouvons réviser notre rapport à l’autre. Si nous admirons notre conjoint et le valorisons suffisamment à nos yeux, changer pour lui serait synonyme de satisfaction et non plus de déloyauté personnelle.
1 Traité Bérakhot, p. 34