L’amour de son prochain est un des fondements de la Torah, elle revêt une importance telle, que Rabbi 'Akiva déclara même que c’est un « grand principe de la Torah » (Béréchit Rabba) et Hillel ira jusqu’à dire que toute la Torah n’en est que le commentaire (traité Chabbath p. 31).
Ce commandement est formidable de répercussions, il vient agréger le Divin dans une dimension tout à fait humaine, transformant le plus naturel de nos sentiments en spiritualité. Éprouver, ressentir, se réjouir ou encore s’inquiéter pour l’autre renferment dorénavant les aspects des représentations divines les plus saintes. Le spirituel à la possibilité d’habiter l’homme, de resplendir dans sa chair, élevant du même coup sa nature à des sommets prodigieux. En aimant, l’homme se sanctifie faisant naître en lui une œuvre céleste purement divine, c’est partant de cette conception que le 'Hazon Ich déclarera « la haine gratuite est l’origine de toute les impuretés ».
Mais outre son caractère transcendantal, l’amour de son prochain une fois commandité, n’est plus un choix, c’est un commandement, et se doit d’être considéré comme tel. Peu importe les atomes crochus ou le feeling, l’amour à l’obligation d’être au rendez-vous. Et pour couronner le tout – « comme soi-même ». Concrètement cela implique de faire des efforts, sublimer sa nature ou encore faire des concessions pour l’autre si besoin est. Le sentiment naturel ici n’est pas un indicateur à prendre en compte, la seule chose qui importe c’est le « comme soi-même ». On peut assez facilement effleurer l’intention originelle de cette Mitsva – que les membres du peuple s’aiment sincèrement sublimant par cela leur nature susceptible et mettant de côté leurs petitesses, faire d’eux des gens élégants et généreux.
Et si l’amour du prochain revêt ce caractère ontologique et obligatoire, sollicitant nos efforts les plus intimes, il est d’ordinaire dirigé de l’homme envers son prochain, deux collègues de bureaux qui investiront temps et argent pour créer ou recréer l’amour manquant, deux voisines qui s’offriront des fleurs pour effacer les rancunes du passé. Cependant, on oublie qu’il y a un « prochain » encore plus proche de nous que tous les autres prochains – nos époux.
Bizarrement, concernant la vie de couple, on se réfère toujours à l’amour dit naturel, celui qui émane de notre chair, ce sentiment émotionnel matériel que l’on ressent vis-à-vis des instances organiques de notre personnalité comme la faim ou la soif, on se demande si l'on aime encore, sans la moindre obligation d’aimer. Après quelques années de mariage et quelques griefs, on fait notre introspection et on se demande si on s’aime encore. Notre ressenti devient alors l’indicateur exclusif de notre relation vis-à-vis de notre conjoint, si je l’aime encore - je reste, sinon je pars. Un sentiment étrangement plus fragile encore qu’avec son voisin de palier…
Notre époux/épouse ne serait-il/elle pas notre prochain lui aussi ?
Le Rokèakh, célèbre commentateur de l’époque médiévale fait remarquer que les mots « Ton prochain » du verset « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 18 :19) ont la même valeur numérique que « Ta femme », comme si D.ieu avait trouvé bon de préciser que face à son épouse, il y a les mêmes recommandations que vis-à-vis de n’importe quel membre du peuple juif – l’aimer est une obligation, et s’investir pour le faire est une entreprise bénie.
Les Sages du Talmud l’ont affirmé de façon assez similaire « Aime ta femme comme ton propre corps et honore-la, plus que ton corps » (Yébamot p. 62, Maïmonide chap.15 lois sur le couple/19). Le Rambam quant à lui, enjoint la femme à valoriser son mari à ses yeux comme s’il était un roi (voir Maïmonide lois sur le couple, chap. 15-20).
Les Sages nous exposent là, la pensée de D.ieu concernant l’amour dans un couple. L’amour ne doit pas être limité à sa condition charnelle, étréci au ressenti immédiat d’une perception corporelle et fragile, il doit fusionner avec l’élan divin que revêt le commandement donné au cœur d’aimer.
Il sanctifie et élève en donnant un sens autre que celui de la seule nécessité de remplir un besoin physique, psychologique ou social entre les amants, il les lie par le spirituel. Il intègre D.ieu dans le lien le plus intime qu’il est donné à l’homme d’avoir, son amour pour sa femme, chez elle son amour pour lui. Elle et lui s’aimeront au départ d’un amour instinctif, naturel qu’ils mêleront ensuite à un sentiment qui les dépasse, une passion qui ne s’évanouira pas comme la faim une fois comblée ou le mal une fois soigné, mais un sentiment qui une fois créé en devient transcendantal.
Ainsi les Sages insinuent par-là, que chaque couple a reçu une partie des clefs de son salut et de sa pérennité dans le dessein même de la Torah - aimer son époux d’un amour double, le premier - charnel, naturel et physique, celui qui sera le garant de la passion, de l’intensité et de la chaleur, l’autre impératif du commandement divin - aimer son prochain comme soi-même, qui sera garant du respect, de l’attention et de la bienveillance au sein du couple.
Ce faisant, la Torah promet que le couple sera le sanctuaire de la Présence divine :
– « si un homme et une femme l’ont mérité, la Présence divine réside parmi eux » (traité Sota p. 17) ; le terme mérité Zakhou en langage talmudique a la même racine que le mot Zakh « pur » de sorte que nous pouvons relire cet enseignement de façon obvie « si un homme et une femme se sont purifiés, la Présence divine réside parmi eux ».