Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.
Chaque mercredi, vous découvrirez cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !
J’ai rendez-vous dans un lobby d’un hôtel que je ne connais pas. J’ai juste griffonné le nom sur un bout de papier : le David Citadelle. Ainsi, lorsque je pousse les portes tournantes de cet endroit très chic, je fais un bon de deux ans en arrière en me souvenant de ma vie d’avant !
Quand j’habitais sur Paris, avec mes parents, nous partions toujours en vacances dans ce même types d’hôtels. Et bizarrement, depuis mon arrivée à la Yéchiva, même si j’ai dû me contenter de vivre avec le strict minimum, je sais, du haut de mes vingt ans, que je suis en train de vivre l’une des périodes les plus heureuses de ma vie.
Suite à ma conversation sur l’organisation de mon premier Chiddoukh avec Rav Levy, mon directeur, les choses se sont enclenchées très vite. Même si j’avais donné mon feu vert, cela ne m’empêchait pas d’être vert quand, quelques jours plus tard, je rencontrais Rivka. Aller à ce rendez-vous sans connaître son visage, ni son âge, cela me faisait un peu bizarre.
Rien ne me garantissait que cette « méthode » que l’on nomme Chiddoukh allait marcher, mais à la grande différence de ce que j’étais avant, c’est que je n’avais pas cette notion qui a changé ma vision des choses : la Emouna (foi en D.ieu) !
J’avais confiance en la sagesse du Rav Levy pour trouver celle qui serait la meilleure pour moi. S’il pensait après avoir observé mon caractère que cette jeune fille qui était en chemin était peut-être la future femme de ma vie, je devais, à mon tour, faire la moitié du travail, et donner le meilleur de moi-même et me montrer sous mon meilleur jour.
C’est pour ça que, dès que je me suis assis dans ce lobby, je devais tout faire pour masquer ma nervosité et le manque de confiance en moi que je ressentais. Bon sang, qu’est-ce qu’il m’arrive ? Ce n’est pourtant pas la première fois que je vais discuter avec une fille, non !? Surtout qu’elle arrive droit sur moi, mieux vaut que je me ressaisisse. Elle a l’air toute gentille. Bon ok, ses lunettes sont un peu épaisses, mais elle a un joli sourire.
Elle s’installe et, pour nous mettre à l’aise, je décide d’entamer la conversation, avec des questions droit au but, comme mon Rav me l’a conseillé :
– Et sinon, tu as combien de frères et soeurs ?
Bon, pour la question je rentre « direct dans le sujet », on repassera, mais il faut bien commencer quelque part ! Heureusement que Rivka a l’air beaucoup moins nerveuse que moi, parce qu’elle rebondit de suite en me demandant subtilement si après la yéchiva, je comptais rester vivre en Israël où retourner en France.
Ah bah voilà, ça c’était un bon sujet, avec une conversation constructive à la clef. Pourquoi je n’y ai pas pensé !? Je crois qu’il faut vraiment que je me détende.
Après quelques-unes de mes réponses, elle me demande quel métier je voulais faire plus tard, et là, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai eu la sensation qu’elle me faisait passer un entretien d’embauche. Déjà que je n’en menais pas large, mais à partir de cette question, plus que normale, j’ai clairement répondu n’importe quoi, tellement j’étais stressé.
Plus je parlais, plus j’avais l’impression que je m’enlisais dans des sables mouvants ! J’étais complètement à côté de la plaque.
Quand, au bout de trente minutes, elle a demandé la ‘Hechbon, l’addition, j’étais soulagé, et il faut avouer qu’elle aussi !
Ainsi, nous nous sommes dit au revoir en sachant tous les deux que nous n’allions pas forcément nous revoir.
Juste après cette rencontre, que l’on peut qualifier directement de désastreuse, comme convenu, j’allais directement dans le bureau de Rav Levy pour lui faire le compte-rendu de ma soirée. Ce qui m’a étonné, c’est que quand je lui ai dit que j’avais fait un peu n’importe quoi, il n’était ni déçu, ni énervé, et m’a simplement répondu :
– C’est que Rivka n’était pas pour toi. Ne sois pas trop dur avec toi-même ! J’ai beaucoup d’espoir pour la prochaine jeune fille que je veux te présenter. Je connais personnellement son père puisque nous étions en classe ensemble. Et comme on dit : « Si le fruit n’est pas tombé loin de l’arbre », il y a toutes les chances pour qu’elle soit à ton goût.
– Si vous le dites Rav, je vous fais confiance.
Je ne voulais pas y aller dans les mêmes conditions mentales, alors j’ai dû agir ! Toute la semaine, avec Aviad, nous avions préparé des fiches pour jouer durant des heures à « Question pour un Chiddoukh », et là, je me sentais vraiment mieux. Le jeu était très simple, il suffisait de noter toutes les questions qui étaient susceptibles d’être posées. Nous avions réuni une cinquantaine de fiches grâce aux copains de Yéchiva qui étaient déjà passés par là et qui avaient accepté de nous aider !
Donc, ce soir-là, quand je me suis installé avec dix minutes d’avance dans un autre lobby d’hôtel, assez impersonnel finalement alors que paradoxalement ma vie personnelle allait peut-être se jouer ce soir, j’étais beaucoup plus serein et je transpirais beaucoup moins… et je l’ai vu entrer !
Ce qui m’a tout de suite plu chez Simha, c’est qu’à la seconde où je l’ai vu, elle était extrêmement souriante. Ses yeux marrons aux longs cils n’étaient pas pour me déplaire. Et en plus, en s’asseyant en face de moi, elle se présenta avec naturel et classe :
– Hello, moi c’est Simha et tu dois être Steeve.
– Oui, c’est bien moi. Enchanté.
– Moi aussi, enchanté.
– Tu veux boire quelque chose ?
– Oui, volontiers. Je vais prendre comme d’habitude, un coca sans glaçons parce qu’après ma gorge met une semaine à s’en remettre et comme je chante souvent seule dans ma chambre, c’est dommage de me priver de ce bonheur tout ça pour trois minutes de kiffe.
Je la trouve très drôle et me dis que je vais passer un très bon moment.
Effectivement, je passais plus d’une heure trente en sa compagnie, comme si cela faisait cinq minutes. Simha me confirmait qu’elle était bel et bien une fille très pétillante, comme ce coca sans glaçon qu’elle avait bu ! J’en appris beaucoup sur elle, comme par exemple que la famille de sa maman n’était pas très pratiquante, ce qui amenait beaucoup de conflits avec sa famille à elle qui avait fait Téchouva il y a cinq ans. J’appris aussi que c’est sa petite soeur qui les a tous initié à Chabbath, ce qui était extrêmement intéressant, car j’avais l’impression qu’on pouvait se comprendre.
Ce fut elle qui m’avait fait remarquer qu’il était temps d’y aller, parce que moi, je n’avais même pas remarqué combien le temps était passé. C’était bon signe, très bon signe, oui !
Elle avait beaucoup d’humour, et ne m’a posé aucune question trop embarrassante, face à laquelle je ne me sentais pas à l’aise.
Sur le chemin qui me ramenait à la Yéchiva, j’étais content, et je me remémorais en boucle notre soirée. Je voulais la revoir rapidement, mais… et c’est ce « mais » qui ne me fait pas totalement apprécier ce que je venais de vivre. Comme chaque jour depuis que j’étais parti, une partie de moi repensait à Perla, la fille d’Elnathan.
Je me disais que c’était très certainement parce qu’elle et toute sa famille arrivaient, le lendemain, par l’avion de cinq heures de l’après-midi.
J’étais tellement pressé de les voir, je leur avais assuré avant leur départ que je me ferai une joie de venir les chercher à l’aéroport.
En pensant à tout ça, comme pour le premier Chiddoukh, avant de rejoindre ma chambre et de tout raconter à Aviad, je faisais un détour par le bureau de Rav Levy, pour lui faire le « debrief » de ma soirée et lui expliquer ce que je ressentais :
– Elle est très bien ! Je crois que j’ai bien envie de la revoir.
– A la bonne heure ! J’en suis ravi. J’étais très optimiste sur cette jeune fille.
– Elle m’a l’air très intelligente et très cultivée, avec une touche d’humour qui m’a bien plu. En plus, elle m’a scotchée parce que, à un moment donné, on parlait d’un passage de la Michna que je suis en train d’étudier, et bien, dites-vous bien Rav, qu’en deux secondes, elle m’a mis par terre avec une explication de folie qu’elle m’a donné.
– Cela ne m’étonne pas. Pour ne pas te mettre encore plus de pressions, je ne voulais pas te dire qu’elle a eu son BAC avec mention et avec deux ans d’avance. Avant d’intégrer le séminaire que gère ma femme, elle a vécu deux ans en Angleterre dans une autre institution très bien qui se nomme Gateshead.
– Heureusement que vous ne m’avez pas tout dit, parce que j’aurais probablement été trop impressionné, même si j’étais nettement mieux préparé que la dernière fois.
– J’en suis très heureux. Ah, cela me fait penser, avant que j’oublie ! Comme mon frère et sa famille arrivent demain, tu es cordialement invité à venir Chabbath à la maison.
– Merci beaucoup Rav, je suis très touché. D’ailleurs, je suis tellement impatient de tous les revoir, que j’ai loué une voiture chez Hertz pour aller les chercher demain.
– Tous ? Je vois que tu n’es pas seulement attaché à mon frère.
– Je les aime comme ma famille, Ruth, Aaron, Isaac, Ezéchiel, et… Perla.
Oh non ! Mais qu’est-ce qui m’a pris de dire Perla sur ce ton ! Je suis incapable de dire un mot de plus tellement je suis gêné. Je sens que le Rav est en train de me fixer à travers ses yeux bleus perçants ! Il utilise exactement le même regard quand nous sommes en classe et qu’il me demande si j’ai bien compris un passage, alors qu’il sait très bien que je n’ai rien compris !
– Donc… tu les aimes comme ta famille, c’est ça ?
Ouf, ça va, j’ai dû me tromper. Il n’a pas dû relever. Dès qu’il s'agit de Perla, je deviens complètement parano, surtout que nous sommes là pour parler de Simha.
– Steeve je te le demande, es-tu d’accord pour que je convienne d’un autre rendez-vous avec Simha ?
– Oui, oui, bien sûr.
– En es-tu sûr ?
Est-ce que j’en suis sûr !? Mais oui, de toute façon, depuis longtemps je sais très bien qu’une fille comme Perla voudra un homme à sa hauteur, et cet homme, je ne le suis pas.
– Oui, je pense que oui…
– Alors j’arrange tout ça, mon garçon. Bonne nuit Steeve.
– Bonne nuit Rav.
Ce que je n’avais pas encore très bien saisi, c’est que lorsque l’on s’efforce à rester sur le chemin de la Torah et que l’on suit le conseil de la fameuse Michna que j’étais en train d’étudier : « Entoure-toi d’un bon ami, d’un bon voisin et d’un bon Rav », il y a de fortes chances pour que ces personnes-là, si vous les choisissez avec soin, vous connaissent bien mieux que vous ne le laissez paraître. Il arrive même qu’ils croient plus en vous que vous ne croyez en vous-mêmes, et vous aide à prendre les bonnes décisions.
D’ici très peu de temps, j’allais comprendre toute la signification des mots : Avoir un bon Rav…
La suite… mercredi prochain.