Les commandements de la Torah comme ceux des Sages impliquent parfois certaines restrictions. Les interdictions du Chabbath, comme les prohibitions concernant la Cacheroute sont des exemples de Mitsvot qui représentent des contraintes. Loin de prôner l’ascétisme, les commandements de la Torah sont pourtant parfois difficiles à accomplir, surtout dans une société qui tend vers une philosophie de vie hédoniste où le plaisir est le but absolu recherché par tous.
Pourtant, la Torah le dit clairement, les Mitsvot nous ont été données pour notre bien, tant dans ce monde-ci que dans l’autre où la jouissance des Mitsvot est éternelle.
Dans ce contexte, pourquoi nous priver de certains plaisirs ? De certaines libertés ? Comment la peine lors de l’accomplissement des Mitsvot peut-elle aller de pair avec notre bien-être ?
La maîtrise de soi, clé de la réussite
La maîtrise de soi revêt un caractère fondamental dans la Torah. Sans maîtrise de soi, il n’est pas possible de contrôler ses instincts et ses pulsions, donc de respecter bon nombre d’interdits de la Torah. En outre, il serait impossible d’accomplir les commandements, même si nous avions conscience de leur bien-fondé, dès lors qu’ils semblent s’opposer à notre “liberté”. Mais la maîtrise de soi est aussi la condition indispensable aux relations avec autrui, à vivre une vie de famille équilibrée, et à contribuer dans une société équitable. Lorsque les comportements de l’autre ne conviennent pas toujours aux normes auxquelles on croit, il faut parfois se retenir de critiquer, de blâmer.
Il en va de même pour la famille et pour le couple : la retenue est la meilleure garantie d’éviter les conflits.
La Torah confère à l’Homme cette maîtrise salutaire. Elle l'entraîne à dominer ses instincts, et ce depuis la plus tendre enfance. Par exemple, lorsque l’âge le permet, le parent éduquera l’enfant aux règles de la Cacheroute, notamment, il lui apprendra à attendre entre la consommation de viande et la consommation de lait.
Ainsi, l’enfant s’habitue à ce qu’après avoir consommé de la viande, on patiente 6 heures avant de manger le bon chocolat au lait de mamie. Cette attente qui est a priori difficile à gérer pour ce jeune enfant se révélera salvatrice par la suite et le conduira à une meilleure construction de sa personnalité. Comme en témoigne ce fameux test psychologique réalisé par le psychologue Walter Mischel de l’Université de Stanford en 1972, le test de la Guimauve.
La première version concernait 550 enfants âgées d’environ 5 ans. L’enfant est assis sur une chaise, et devant lui une table sur laquelle sont posées deux assiettes. Dans la première se trouve une friandise, que l’enfant a choisi lui-même au préalable. Dans la deuxième assiette, il y a deux friandises. On explique ensuite à l’enfant qu’à tout moment, il peut appuyer sur le bouton d’une sonnette placée devant lui, et obtenir l’assiette contenant une friandise, celle qu’il a choisi dans la première assiette. En revanche, s’il patiente jusqu’au retour du moniteur 15 minutes plus tard, il pourra obtenir l’assiette contenant les deux friandises. Ensuite, le moniteur de l’expérience sort de la pièce et laisse l’enfant seul avec la tentation. On mesure ensuite le temps durant lequel l’enfant pourra tenir sans céder à l’envie de manger la friandise.
Quelques années après avoir débuté ces expériences, Mischel remarqua un phénomène intéressant : les enfants qui ont patienté jusqu’au retour du moniteur et obtenu la récompense plus élevée réussissent mieux dans la vie. A l’enfance, leurs résultats scolaires sont supérieurs. A l’adolescence, ils obtiennent un meilleur score SAT (scores requis pour l’admission au collège aux Etats-Unis) et atteignent un niveau de scolarité supérieur. Vers la trentaine, leur indice de masse corporelle est plus bas et leurs revenus plus élevés. Tous les indicateurs démontrent que le temps d’attente de l’enfant impacte sa réussite dans sa vie future.
Le professeur conclut que la maîtrise de soi permet de contrôler ses pensées, ses pulsions, ses actions et ses émotions. Elle donne la liberté d’inhiber nos envies de manière à rediriger notre attention vers les manières d’atteindre nos objectifs à plus long terme, donc de planifier rationnellement plutôt que de réagir compulsivement. Elle permet aussi de maîtriser nos émotions négatives comme la colère, l’agressivité et le pessimisme, favorisant la persévérance, l’optimisme et nous aidant à gérer nos frustrations et à tolérer nos échecs.
Aux Etats-Unis, un programme d’aide aux enfants pauvres qui n’étaient pas en âge d’être scolarisés, passant par des services d’éducation, de santé et d’aide aux parents fut mis en place en 1965 - Head Start. Si ses résultats concernant les scores obtenus aux tests de quotient intellectuel (QI) se sont révélés insatisfaisants, ce programme a rapporté un autre succès inattendu : chez ses bénéficiaires, on a constaté plus tard un moindre taux de grossesse à l’adolescence, d’interruption de la scolarisation, de la délinquance et de l’absentéisme au travail. Le programme a donc développé quelque chose chez les participants, mais quoi ? Dans un article publié en 2006, James Heckman, lauréat du prix Nobel d’économie en 2000, et ses coauteurs ont déclaré qu’il pourrait s’agir de la maîtrise de soi.
Le célèbre psychologue américain Roy F. Baumeister de l’Université de Princeton déclarait dans son livre « Handbook of self-regulation » paru en 2004 : « Presque tout ce qu’un individu est, ou fait, est lié d’une façon ou d’une autre à l’autorégulation ».
Dans les années 90, Roy Baumeister et ses collègues remarquèrent que l’autorégulation, ou la capacité à se maîtriser, était analogue aux muscles ; d’après leurs conclusions, tout comme l’exercice peut renforcer les muscles, il semble bien que des exercices réguliers de maîtrise de soi développent la force de la volonté et donc facilitent l’autorégulation de la personne. Plus on s'entraîne, plus on y arrive.
Le bienfait des efforts dans la Torah
Considérons à présent que la Torah dès notre plus jeune âge nous confronte à la maîtrise de nous-mêmes : cette maîtrise de soi deviendra de plus en plus “naturelle” au fil des années. Nos actions les plus fréquentes forgent notre personnalité. Dans le cas de la bénédiction avant de consommer un aliment, que ce soit par simple gourmandise ou lorsque l’on a faim, la règle est la même : il faut patienter un instant avant de se ruer sur la nourriture. Les jeûnes, au cours desquels nous sommes amenés à nous abstenir de manger et de boire, constituent aussi des étapes de construction de soi. Notre volonté se trouve soumise à rude épreuve mais en sort renforcée. Les lois du langage (l’interdiction de la médisance notamment) sont aussi typiques de l’exercice de la maîtrise de soi.
Les règles de vie de la Torah sont toutes établies sur le même modèle, éduquer l’homme à être meilleur pour qu’il s’élève toujours plus haut. La nécessité de la maîtrise de la volonté, que ce soit sur le plan social ou familial, est le gage d’une réussite sur ces plans. Sur l’individu lui-même, le contrôle de son être constitue sa sérénité, sa confiance en soi, l’acceptation de sa situation et la tolérance de ses échecs, en d’autres mots la maîtrise de soi conduit l’homme au bien-être. La personnalité ne se construit pas sans difficulté, mais elle est au bout du compte la seule condition qui permet à l’Homme un véritable équilibre.
La Torah ne rejette pas les plaisirs mais exhorte à leur maîtrise. Ainsi, Rabbi Yéhouda Halévi, dans l’entretien avec le roi des Khazar, écrit à propos de l’homme pieux selon la Torah : « L’homme pieux, c’est un chef qui obéi par ses sens et par ses facultés psychiques et corporelles ; il les gouverne comme on gouverne une cité, ainsi qu’il est dit : ‘Qui gouverne son esprit vaut mieux que celui qui conquiert une ville’. Il dompte ses forces concupiscentes et les empêche de s’abandonner aux passions, après avoir été équitable envers elles et leur avoir fourni de quoi satisfaire leurs besoins toujours avec modération : la nourriture, la boisson, le bain et ses apprêts. Il dompte aussi les facultés irascibles, qui cherchent à avoir le dessus et à dominer, après leur avoir donné leur dû et leur avoir donné leur part de victoires utiles dans des controverses scientifiques et doctrinales… » (Kuzari part. 4)
Il est cependant certain que les véritables bienfaits des Mitsvot sont d’ordre spirituel, et leurs raisons ne sont connues que du Maître du monde. Mais nous constatons que ceux qui s’appliquent aux Mitsvot, obtiennent, outre la bénédiction Céleste, un bien-être psychologique et une joie de vivre authentique. A l’image de ces grands Sages extrêmement pieux qui étaient heureux de leur sort en toute situation, même les plus terribles.
A vrai dire, bien qu’il s’agisse de niveaux qui nous semble inatteignables, ce n’est qu’à l’aide de notre Torah que ces Hommes ont atteint ces degrés d’excellence.
Le Maître du monde a créé l’Homme, Il lui a donné un mode d’emploi à suivre, ce mode d’emploi est donc parfaitement adapté à l’Homme. En suivant la Torah, on acquiert maîtrise de soi, finesse d’esprit, grandeur d’âme, amour de soi et d’autrui, toutes ces qualités qui offrent à l’Homme un bien-être comblé dans ce monde.