La Torah dresse parfois un portrait très sévère des personnages bibliques. Comment la rigueur avec laquelle nos ancêtres sont parfois décrits s’accorde-t-elle malgré tout avec l’image idyllique que nous avons de nos maîtres ?
Nous avons souvent une vision limitée, voire superficielle de la Torah. Une conception des événements acquise depuis notre plus tendre enfance, qui hélas n’a souvent pas eu le temps de venir à maturité. Sans une révision de nos ‘connaissances’ à l’aune d’un esprit adulte, capable de discernement, nous risquons de ne jamais comprendre le sens simple de notre sainte Torah, ni ses enseignements.
Ce n’est qu’à l’aide d’un regard réfléchi et rigoureux, à la lumière des enseignements de nos maîtres, que nous pourrons être à même de comprendre le mode d’expression, ainsi que l’esprit pénétrant de la Torah.
Analysons un cas typique : la faute du veau d’or.
Reconsidération de l’épisode du veau d’or
Seulement quelques jours après leur expérience grandiose au contact du divin, où tout le peuple fut élevé au rang de prophète, le texte nous dit que le peuple s’adonna à la plus répréhensible des fautes : l’idolâtrie.
Comment comprendre que le peuple récemment témoin de la toute-puissance divine et de Son unicité absolue dans la Création ai pu chuter aussi vite et aussi bas ?
Dans les faits
Alors que Moïse tardait à descendre de la montagne, le peuple déboussolé se tourna vers Aaron le grand prêtre et lui demanda de confectionner une idole.
« Le peuple, voyant que Moïse tardait à descendre de la montagne, s’attroupa autour d’Aaron et lui dit : ’Allons ! Fais-nous un dieu (Elohim) qui marche à notre tête, puisque celui-ci, Moïse, l’homme qui nous a fait sortir d’Egypte, nous ne savons ce qu’il est devenu » Exode (32, 1)
En analysant ce court passage, avec une lecture primaire, plusieurs éléments semblent incohérents.
- Le peuple justifie son désir d’un dieu par le fait que « Moïse l’homme » n’est plus là, c’est-à-dire qu’il fallait remplacer Moïse l’homme. Si la faute du peuple était vraiment l’idolâtrie, c’est qu’il a voulu se faire un dieu et lui attribuer la création du ciel et de la Terre. Mais, dans ce cas-là, pourquoi est-ce Moïse qu’il souhaitait remplacer ? Le peuple n’attribuait aucune divinité à Moïse, puisque même dans l’épisode du veau d’or, il est appelé : “Moïse l’homme”. Donc, le peuple ne voulait pas remplacer D.ieu, mais Moïse.
- Si l’intention des Juifs était d’agir contre la volonté divine, est-il pensable qu’ils se soient tournés précisément vers Aaron le grand prêtre, lui qui était d’une fidélité irréprochable vis-à-vis de D.ieu ?
- Est-il concevable qu’ils déclarent « Voilà tes dieux, ô Israël, qui t’ont fait sortir du pays d’Egypte ! » (Exode 32, 4) en pensant à ce veau qui n’existait pas quelques instants plus tôt ?
- Si la faute du veau d’or était de l’idolâtrie, pourquoi Aaron qui l’a confectionné n’a-t-il pas été puni, mais seulement blâmé ? S’il s’agissait réellement d’idolâtrie, D.ieu lui aurait-il épargné la peine de mort ?
- Le terme que les Juifs ont choisi pour exprimer leur désir d’un dieu est « Elohim ». En hébreu, ce terme a une double connotation, à la fois sacrée et profane. Par exemple, les juges sont aussi appelés Elohim dans la Bible : « …celui que les juges (Elohim) condamneront paiera le double à l’autre » (Exode 22, 8).
- Elohim signifie aussi : autorité ou intermédiaire. Les enfants d’Israël ont demandé un intermédiaire entre eux et D.ieu, lorsque Moïse tardait à venir.
- Notons bien aussi que, sur les quelques millions, seulement 3000 hommes furent tués pour ce péché. Il s’agissait du Erev Rav, les Egyptiens, anciens idolâtres convertis qui avaient quitté l’Egypte avec Israël.
Quelle était la vraie intention des enfants d’Israël ?
Nos Sages nous révèlent que les enfants d’Israël n’ont jamais eu l’intention de servir les idoles. Ils savaient cependant que Moïse leur demanderait ultérieurement de réaliser l’une des quatre figures représentées sur le Trône Céleste (le lion, l’aigle, le taureau et l’Homme), qu’ils ont vu au mont Sinaï. Ils savaient aussi que Moïse leur demanderait de représenter la figure qu’ils ont vue sous forme adulte, sous la forme d’un enfant, comme ce fut effectivement le cas par la suite. En effet, Moïse leur ordonna de confectionner la forme d’un enfant dans le Tabernacle (les chérubins) correspondant à la forme adulte de l’homme qu’ils avaient vu sur le Trône Céleste.
Voyant que Moïse n’arrivait pas, ils se sont demandés quelle était la meilleure marche à suivre. Considérant qu’ils se trouvaient dans le désert, où le dévoilement divin est régi par l’attribut de rigueur, ils ont cherché son équivalent sur le Trône Céleste qui est le taureau, qu’ils ont décidé de représenter sous la forme d’un veau.
Quelle est donc leur faute ?
Nos Sages nous disent qu’ils commirent l’erreur de croire qu’ils étaient déjà arrivés au niveau où ils pourraient vivre totalement sous le dévoilement divin de l’attribut de rigueur, qui est celui avec lequel D.ieu voulut concevoir le monde à l’origine (Rabbi Tsadok Hacohen de Loublin).
L’autre erreur qu’ils commirent fut de croire qu’ils étaient à même de décider de leur propre conduite concernant le service divin. Si notre guide n’est plus, il nous incombe de décider de quelle manière nous nous approchons de D.ieu dorénavant. Il ne manquait pourtant pas de sages, aptes à les guider comme Aaron, Eléazar ou même Josué qui finira par être le guide à la place de Moïse. Le peuple, si pieux qu’il soit, n’a pas la capacité de saisir la volonté du Créateur, Sa Sagesse est tout simplement hors de portée de l’Homme, si grand soit-il. Sans que D.ieu Lui-même définisse de quelle manière Il veut qu’on le serve, le service de l’homme autodidacte peut frôler l’arrogance (Rabbi Yéhouda Halévi – le Kouzari).
En conclusion
La Torah, dans son souci d’honnêteté, ne cache rien des manquements, si infimes soient-ils, de ses grandes figures. La Torah nous invite en effet à la recherche de l’excellence.
Elle considère que nous ferons preuve de finesse dans l’analyse et de discernement dans la compréhension, nous témoignant par là une marque de confiance et de responsabilité.
Puisse-t-on comprendre les paroles de la Torah à leurs justes valeurs et réaliser ses objectifs de grandeur.