Nous avons achevé les thèmes halakhiques liés à la Mitsva de « Tu ne convoiteras pas ». Il est dorénavant important d’aborder certains des aspects philosophiques de cette Mitsva.

Les commentateurs traitent de la raison pour laquelle il est mal avisé de convoiter l’objet d’autrui. Un des premiers commentateurs, le Ibn Ezra, propose une analogie qui nous aide à comprendre le point de vue de la Torah sur l’attitude que nous devons adopter à l’égard des biens matériels. Il nous demande de nous imaginer un modeste paysan qui aperçoit une belle princesse. S’il est sain d’esprit, il n’envisagera pas de l’épouser, étant bien conscient qu’elle ne lui est pas destinée, compte tenu de son appartenance à un milieu social totalement différent du sien. Dans la même veine, tout ce que la personne possède lui a été donné par Hachem, et on ne reçoit pas ce dont on n’a pas besoin. En conséquence, les biens d’autrui ne le concernent en rien : c’est totalement en dehors de son cercle de propriété.

Cette idée est poussée plus loin par un dicton révélateur de nos Sages. Ils nous apprennent que les hommes droits sont très soigneux par rapport à leurs biens matériels, car ils savent qu’ils n’ont rien acquis de manière malhonnête.[1] Comme nous l’avons mentionné plus haut, tous les biens possédés par l’homme lui ont été donnés par Hachem, mais à la condition qu’ils ont été acquis de manière honnête. Un homme droit reconnaît que, puisqu’il est totalement honnête, ce qui lui a été donné ou qu’il a acquis lui est nécessaire pour servir Hachem correctement. En conséquence, il fait très attention à ne pas endommager ou perdre ses biens, car, ce faisant, il lui serait très difficile d’atteindre son but. Avec ceci à l’esprit, il devient clair qu’acquérir le bien d’autrui est totalement inutile pour un homme qui doit réaliser son potentiel dans la vie. Par définition, tout ce que son prochain possède est superflu pour lui. Il est donc vain de tenter de l’obtenir auprès de lui.

Nous avons relevé dans un article précédent que l’interdit de ne pas convoiter se réfère spécifiquement au fait de tenter d’obtenir un objet appartenant à quelqu’un d’autre. Mais il n’est néanmoins pas interdit de désirer le même objet que notre prochain et de tenter de l’acquérir pour nous. Par exemple, si Moché possède un ordinateur portable, David a le droit de tenter d’acheter le même modèle. En revanche, David n’est pas autorisé à exercer une pression sur Moché pour qu’il lui vende son propre ordinateur. Pourquoi est-il si mal considéré de désirer l’objet appartenant à notre prochain ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de comprendre les motivations possibles sous-tendant le désir d’acquérir des biens matériels. Quelqu’un peut vouloir des biens simplement parce qu’ils lui offrent un certain bénéfice. Par exemple, un homme souhaite acquérir une grande maison pour y loger sa famille nombreuse et a besoin d’un certain nombre de chambres à coucher pour ménager un espace suffisant à sa famille. Mais un homme peut vouloir acquérir des biens pour une raison très différente. Il peut juger la valeur humaine en s’appuyant sur ses acquisitions. Il peut considérer la propriété comme une mesure de jugement de la réussite de l’homme dans la vie. En conséquence, s’il voit que son ami possède une grande maison, il aura le sentiment que cet ami le « bat » dans cette compétition tacite au nombre de biens. Ceci engendrera un sentiment de jalousie qu’il voudra dissiper. Le meilleur moyen pour y parvenir est d’acquérir la maison même de son ami. De cette manière, la grande maison, qui était la source de son sentiment d’infériorité, engendrera en lui un sentiment de supériorité.

Nous pouvons désormais comprendre pourquoi le désir d’obtenir l’objet appartenant spécifiquement à quelqu’un d’autre est si négatif. Il trouve sa source dans une attitude totalement étrangère aux valeurs de la Torah. C’est une attitude qui met l’accent sur l’homme en fonction de ses biens matériels. La seule mesure de réussite dans ce domaine est ce qu’il possède en comparaison aux autres. Par conséquent, un individu qui vit avec ce système de valeurs va constamment désirer acquérir les biens matériels des autres pour pouvoir les « surpasser » dans ce combat permanent pour déterminer qui possède le plus de « joujoux ».

L’approche de la Torah est diamétralement opposée à cette attitude. La Torah n’accorde aucune importance aux biens matériels pour évaluer la valeur d’une personne. Tout individu a une valeur infinie, car il est fait à l’image de D.ieu. De plus, les seules acquisitions importantes et durables sont de nature spirituelle. L’homme le plus riche de la planète perdra tous ses biens à sa mort, ce ne sont que des acquis temporaires. Les seuls « biens » qui accompagnent l’homme dans le monde à venir sont les Mitsvot et les bonnes actions accomplies par l’homme dans ce monde. Lorsqu’on reconnaît cette vérité, on ne convoitera en aucune façon les biens de notre prochain.


[1] ‘Houlin 91a