La Guémara (Chabbath 4a) énumère 6 actes dont l’homme recueille l’usufruit de sa récompense dans ce monde tandis que le capital lui en est réservé pour le suivant.
Il s’agit de :
- l’accueil d’invités
- des visites aux malades
- de l’approfondissement de la prière
- du fait de se lever tôt pour se rendre au Beth Hamidrach
- d’éduquer ses enfants en leur enseignant la Torah
- et de juger autrui favorablement.
Qu’est-ce qui est le plus difficile ?
Rav Steinman répond que le dernier point (juger autrui favorablement) est celui qui demande le plus d’efforts, car cela va à l’encontre de la tendance naturelle de l’homme, qui est de penser ou de dire du mal de l’autre.
Pour preuve, il rapporte une Halakha évoquée dans le même traité, en rapport avec ’Hanouka. Dans une maison comportant deux entrées, peut-on y lire, il faudra allumer les bougies aux deux entrées, et ce, afin d’éviter que des badauds passant à côté de la porte nonéclairée n’en viennent à soupçonner les propriétaires de ne pas avoir rempli leur obligation. Mais pourquoi ne penseraient-ils pas au contraire : « Si aucune lumière n’a été allumée à cette porte, ils auront sans doute allumé à l’autre » ? On tient là une preuve de la fine connaissance de la nature humaine qui caractérisait nos Sages : l’homme est instinctivement porté à soupçonner autrui de mal agir, et non à le juger en bonne part.
La Guémara rapporte à l’appui de ce raisonnement une preuve du traité Péa, concernant le fait que le coin du champ laissé à disposition des pauvres devait se trouver à l’extrémité de celui-ci, proche du chemin passant afin d’éviter que les promeneurs n’y trouvent à redire et ne maudissent le propriétaire si ladre qui n’aurait pas laissé la Péa au coin de son champ. Là aussi, ils auraient dû penser que la Péa se trouvait à un endroit plus lointain du terrain. Mais la première pensée de l’homme sur autrui est toujours négative.
On comprend dès lors pourquoi la Mitsva de juger favorablement est la plus difficile de la liste : elle exige de la part de l’homme un dépassement de ses tendances naturelles.
Lorsque ces commentaires de Rav Steinman furent rapportés à Rabbi ’Haïm Kanievsky, il proposa un raisonnement semblable se basant sur une autre Guémara, du traité Méguila : « Maître, demandèrent ses élèves à Rabbi Zeïra, qu’est-ce qui vous a valu une telle longévité ? » « Je n’ai jamais été sévère avec [les membres de] ma maisonnée et n’ai jamais marché devant plus grand que moi. J’ai évité toute pensée de Torah dans des endroits où se trouvent des immondices et n’ai jamais arpenté plus de 4 Amot [environ 2 mètres] sans Torah ni Téfilines. Je n’ai jamais dormi au Beth Hamidrach même d’un court somme, ne me suis jamais réjoui des déboires des autres, ni ne leur ai donné de sobriquets. »
Avis du Rav Kanievsky
« Quel est le point le plus difficile de cette liste ? » demande le Rav Kanievsky à la manière de son Mé’houtan [1]. Et de répondre que c’est de ne pas penser à la Torah dans des endroits inadéquats, plus que de faire attention à ne pas arpenter 4 Amot sans y penser.
Comment éviter ce problème ? lui a-t-on demandé. Comment se garder de penser à la Torah dans des endroits sales ?
« En tentant de résoudre des problèmes de mathématiques avec des chiffres élevés », a-t-il suggéré, « et encore, cela reste difficile ! »
Rabbi ’Haïm évoque, à cet égard, un passage de Zéva’him (102b), où Rava rapporte un ’Hidouch au nom de Rabbi Elazar Ben Rabbi Chimon, tout en signalant que cette loi lui était venue à l’esprit aux latrines. « Pourquoi cette précision ? demande le Gadol. La réponse est que, d’après certains, si un homme conçoit un ’Hidouch dans ce genre d’endroit, il doit forcément s’agir d’un raisonnement erroné. Mais cela contredit les paroles de la Guémara dans la suite de la page : “si c’est malgré lui, il en va autrement”. En d’autres termes, si ces pensées sont venues à l’homme involontairement et sans qu’il puisse les chasser, c’est permis, et Rava veut justement nous enseigner ici qu’il n’y a pas de raison d’invalider le ’Hidouch, conçu de manière permise. »
Revenant au premier passage évoqué, on a demandé à Rav’Haïm comment expliquer le fait que, de son propre aveu, Rabbi Zeïra jouit de la longévité pour les différentes raisons énumérées. N’existe-t-il pas pourtant un principe en vertu duquel les Mitsvot ne sont pas récompensées dans ce monde ?
Réponse du Gadol : « La longévité en tant que telle n’est pas une récompense pour les différents comportements évoqués ; c’est plutôt une conséquence naturelle de ceux-ci, ne compromettant pas sa récompense
[1] Rav Kanievsky et Rav Steinman sont devenus Mé’houtanim, par le mariage de la fille du premier avec le fils du second.