L’une des citations les plus célèbres - et les plus populaires - de tout le Tamud est la suivante : « Michénikhnass Adar Marbim Bésim’ha - A l’arrivée d’Adar, notre joie augmente » (Ta’anit 29a). Tous les enfants savent que cette phrase est synonyme de joie, mais nous ne savons pas vraiment comment apporter plus de joie dans nos existences. Même certains de nos plus grands Sages contemporains ne sont pas d’accord sur ce qu’implique cette dimension de « Marbim Bésim’ha » (augmenter la joie) dans la pratique.

Rav ‘Haïm Kanievsky suggère que si l’on doit faire un Siyoum, il faut le planifier pour le mois d’Adar. Si on n’a pas de Siyoum en prévision, on boira du vin en début de mois.

Rav Michel Yéhouda Lefkowitz estimait qu’on doit accroître son étude de la Torah, car il n’y a pas de joie plus grande que l’étude.

Rav Aharon Leib Steinman estime pourtant qu’il est impossible d’imaginer le ‘Hazon Ich étudier moins les autres mois que celui d’Adar. En réalité, le ‘Hazon Ich aurait expliqué que cette déclaration n’est pas réellement une Halakha, mais reflète plus la réalité : nous sommes naturellement plus heureux en Adar qu’à tout autre moment de l’année. Lorsqu’on lui fit remarquer que le langage de la Guémara implique qu’il s’agit d’un impératif, il répondit de manière quelque peu étrange que son interprétation originale était uniquement une réaction, et non une décision.

Enfin, on peut s’interroger avec le ‘Hatam Sofer : pourquoi le Rambam et le Choul’han Aroukh mentionnent-ils la règle que l’on doit réduire les manifestations de joie pendant le mois d’Av, mais laisser de côté la Halakha accessoire que l’on doit multiplier la joie pendant Adar ? C’est assez mystérieux en effet.
 

Le Rav Zéev Hoberman peut nous éclairer pour comprendre cette Mitsva étrange :

Il écrit que « certains se réjouissent d’étudier la Torah… d’autres de l’acquisition d’une nouvelle maison ou de gros appareils ménagers, en fait, de toute chose sur laquelle on pourrait réciter la bénédiction Chéhé’héyanou. Mais pendant ce mois, lorsque nous avons chanté le chant du passage de la mort à la vie, notre joie imprègne chaque inspiration que nous prenons. En réalité, c’est la vie elle-même qui nous rend heureux. » De toute évidence, ce concept englobe l’essence du mois d’Adar, qui nous enseigne la gratitude non seulement dans des cas spécifiques, mais aussi pour le plus beau cadeau, celui de la vie. Explorons cet enseignement capital.

Pour découvrir ce que nous devons faire pour augmenter la joie pendant le mois d’Adar, nous devons d’abord comprendre le sens de la joie même. Rav Moché Shapira zatsal citait souvent des sources anciennes expliquant le terme de « Saméa’h », qui se réfère à la joie, étroitement lié au terme « Tsaméa’h », la croissance, sachant que les lettres Sine et Tsadé sont interchangeables. Il expliquait en outre que la racine hébraïque du terme « Etsev », la tristesse - qui empêche la croissance -, signifie également le découragement ou la dépression. Cette observation est valable également pour la mesure d’un Ama qui peut s’exprimer sous deux formes : les Amot So’hakot et les Amot Atsavot. Les Amot So’hakot sont larges, contrairement aux Amot Atsavot qui sont étroites et minuscules. Ces termes correspondent bien au sens de « S’hok » qui signifie la joie et « Atsavot » qui exprime le mécontentement.


Pas de femme, pas de joie

Nos Sages nous enseignent « qu’un homme sans femme vit sans Sim’ha, sans joie ». En effet, il ne va pas étendre son champ de vision en fondant un foyer juif, et ne peut étendre ses frontières familiales et spirituelles à d’autres de sa propre chair. Dans la même veine, quelqu’un qui ne réalise pas son potentiel reste un « Etsev », à la fois triste et insatisfait ; il n’a pas accompli sa destinée et n’a pas exploité ses aptitudes et ses inclinations. Inversement, quelqu’un qui a progressé intellectuellement et spirituellement a développé son âme, et a créé une réalité à partir d’un potentiel, il est vraiment Saméa’h, heureux, car il est Tsaméa’h, en progrès constant. On peut atteindre cet état en adoptant des objectifs faisables, en progressant de plus en plus, emporté par la joie du succès et de l’accomplissement de ses objectifs (voir le Steipler).

Grâce à cette approche, nous pouvons commencer à comprendre l’immense opportunité offerte par ce merveilleux mois d’Adar. On nous enjoint à être « Marbim Bésim’ha », ce qui signifie que chacun d’entre nous doit développer son propre potentiel spirituel de toutes les manières possibles pour réussir. C’est pourquoi les détails ne peuvent être donnés de manière universelle et concrète. Le Rebbe de Munkatch zatsal explique que le Choul’han Aroukh se devait de décrire ce qui est interdit pendant le mois d’Av, car le Juif ne doit jamais sombrer dans la Atsvout, la tristesse, mais chaque Juif est obligé de servir Hachem dans la joie, car « chacun doit évaluer comment accentuer son état de bonheur habituel ».


Croissance

Nous pourrions ajouter, sur le conseil du Steipler, que la croissance est, par définition, un phénomène très personnel et doit inclure une multitude de considérations. C’est peut-être l’un des sens du verset : « Le cœur seul sent l’amertume qui l’envahit ; de même ses joies (Bésim’hato), l’étranger n’y est pour rien » (Michlé 14,10). Ceci peut expliquer l’extraordinaire critique que le Midrach (Yalkout Chimoni 18/27) semble adresser à Yitro, qui « vivait tranquillement dans son pays pendant que les Juifs souffraient, mais a voulu venir pour profiter du moment de gloire du Matan Torah, le Don de la Torah ». En invoquant ce verset dans Michlé, le Midrach nous suggère peut-être que seuls ceux qui ont souffert peuvent apprécier certaines formes de croissance, même si d’autres sont sympathiques et bien intentionnés. C’est l’expérience de l’Atsvout qui conduit à la Sim’ha/Tsmi’ha, si l’on a le courage, le discernement et l’opportunité de tirer profit du processus. Pendant ces semaines d’Adar qui conduisent à Pourim, nous bénéficions de l’immense opportunité d’élever notre niveau spirituel, ce qui nous conduit à la joie ultime d’Adar et de Pourim.

C’est ce que le Rav Dessler a eu à l’esprit lorsqu’il a écrit : « La joie croissante d’Adar est une expérience interne profonde qui est l’augmentation de la joie, et également le développement de la joie » (Mikhtav Méeliyahou 2, 123). Le « Marbim Bésim’ha » d’Adar n’est pas seulement linéaire, c’est une croissance verticale vers le haut, le fait d’accomplir ses objectifs chaque jour, et qui nous mène au sommet d’une nouvelle Kabalat Hatorah à Pourim, par pur amour (voir Rachi, Chabbath 88a).

Peut-être que le Ktav Sofer avait également cette idée à l’esprit lorsqu’il commenta la Méguila d’Esther : « Il y a une visée double à la lecture de la Méguila : 1) Louer Hachem pour les grandes bontés qu’Il nous a prodiguées pendant ces jours. 2) Retenir que nous ne devons jamais abandonner ni renoncer, que D.ieu préserve, peu importe ce qui advient de nous pendant ces jours difficiles. »

On pourrait fondre ces deux raisons en une seule avec notre compréhension du processus de croissance qui nous conduit à une Sim’ha qui prend de plus en plus d’ampleur. Puisque nous avons fauté au festin d’A’hachvéroch, nous savions que nous devions progresser. Mordékhaï et Esther nous ont conduits à travers un processus de Téchouva et de changement qui nous a guidés immanquablement vers la joie sublime de Pourim. Cette méthode séminale a créé un mode éternel de progrès pour nous tous, par l’exaltation ressentie à la découverte de ressources cachées en nous, où notre véritable moi émerge pour devenir une expansion illimitée de Kavod Chamayim, de gloire Divine.