Quand Ariel Touvia était enfant, son numéro de téléphone se terminait par 7-4-0-1. Coïncidence ou pas, lorsqu’il a reçu son numéro de sécurité sociale, les 4 derniers chiffres étaient aussi 7-4-0-1…
Ariel a été élevé en Amérique, au sein d’une famille non pratiquante dans laquelle on ne récitait pas la prière de la Amida. Une fois adulte, il s’enrôle dans l’armée des Etats-Unis, puis il monte en Israël pour y faire du volontariat.
C’est en 1967 que sa vie prend une tournure dramatique : sa jambe se prend dans un broyeur industriel sur lequel il travaille, et qui menace de happer le reste de son corps. Saisi par une présence d’esprit inimaginable, Ariel ampute sa propre jambe, un geste instinctif et horriblement douloureux, mais qui a le mérite de lui sauver la vie…
Ariel devient pratiquant 10 plus tard et s’installe en Israël. A ce stade, il se déplace en alternant entre une chaise roulante, des béquilles et des jambes artificielles. Malgré tout, cela ne lui permet pas de rester debout assez longtemps pour prier la Amida, son vœu le plus cher depuis sa Téchouva. Il rêve de pouvoir enfin s’adresser à son Créateur comme tous les autres juifs, sans ressentir le besoin de s’asseoir quelques secondes seulement après avoir commencé sa Amida… C’était terriblement frustrant pour lui.
En 1989, c’est presque par hasard qu’il entend parler de cette nouvelle technologie en matière de prothèses, alors qu’il se trouve aux Etats-Unis dans le cadre d’un voyage d’affaire. Il aperçoit une publicité vantant les mérites d’un nouveau type de plastique développé pour les voyages dans l’espace, mais employé également pour la confection de membres artificiels. L’affiche mettait en scène des personnes amputées engagées dans une partie de basket animée, non pas confinées dans une chaise roulante, mais se tenant debout, courant, ou même sautant en l’air. Bref, disputant un match comme les autres.
Ariel était émerveillé. Quand il avait perdu sa jambe 22 ans plus tôt, il n’avait jamais imaginé pouvoir retrouver une vie normale. Et voilà qu’il apercevait des personnes souffrant du même handicap que lui jouer librement au basket…
Après s’être renseigné, Ariel est dirigé vers une clinique spécialisée en pose de prothèse située dans la ville d’Oklahoma. Et moins d’un an plus tard, Ariel reçoit sa nouvelle prothèse de jambe, un véritable bouleversement dans sa vie. Tout heureux, il se précipite dans une synagogue pour pouvoir enfin réciter toute la Amida debout. Une fois la prière terminée, il s’approche de celui qui l’accompagnait en cas de problèmes, et refoulant difficilement ses larmes, il lui confie :
- C’est la toute première fois de ma vie que je prie la Amida debout. Je n’avais jamais eu l’occasion de m’adresser à D.ieu comme tout juif le fait, en faisant trois pas en avant au début de la prière, et trois pas en arrière à la fin…
Après avoir parcouru les quelques pâtés de maisons qui séparaient la synagogue de son domicile, il ajoute d’une voix étranglée par l’émotion :
- C’est la plus longue distance que je n'aie jamais parcouru à pied depuis 22 ans…
Ariel était aussi extrêmement sensible envers tous ceux à qui il manquait un membre. Avant même d’avoir reçu sa propre prothèse, il s’était donné pour mission de mettre cette technologie révolutionnaire aux services de tous ceux qui en avaient besoin en Israël. Pour cela, il s’est longuement entretenu avec les prothésistes de la clinique d’Oklahoma. Ces derniers ont accepté de former des prothésistes israéliens dans leur propre établissement, mais aussi de voyager en Terre sainte pour y instruire les spécialistes locaux, à la seule condition qu’Ariel finance les frais de voyage.
Et pourtant, ce n’est pas l’idéalisme qui a poussé Ariel à l’action. C’est un sentiment bien plus puissant, celui d’avoir été autrefois investi par D.ieu d’une mission extraordinaire, qui l’a définitivement persuadé que toutes ces années de souffrance qu’il avait subies par le passé faisaient de lui un porte-parole privilégié de ceux que le monde délaisse. Quel est donc cet évènement qui a forgé en lui un tel dévouement pour les autres ?
Lors de son volontariat en Israël, un peu avant son accident, Ariel part travailler chez un charpentier, un homme grand et robuste, mais très discret. Ariel apprend qu’il est l’une des rares personnes à s’être échappé d’Auschwitz et à avoir survécu à la guerre. Tout à coup, Ariel s’aperçoit que le numéro tatoué sur son bras se termine par… 7-4-0-1. Encore ces 4 chiffres… Mais quand il cherche à le questionner à ce sujet, le charpentier se met à hurler :
- Ne t’avise pas de me parler de ça ! J’ai perdu toute ma famille, ma mère, mon père et mes deux frères. Je suis le seul survivant. Ne me reparle plus jamais de ça !
Ariel n’a plus jamais évoqué ce numéro fatidique, à une seule petite exception…
Après son volontariat, Ariel a persévéré durant 5 ans pour entrer dans une école de tourisme. Il se débrouillait tant bien que mal pour se déplacer à l’aide de véhicules, béquilles ou jambes artificielles qui le faisaient continuellement souffrir. Finalement, Ariel est devenu guide touristique, un poste qu’il a occupé pendant 15 ans.
Au tout début de sa carrière, quand il était encore au bas de l’échelle, on l’a chargé d’accueillir des touristes à l’aéroport de Tel-Aviv pour les conduire là où un guide expérimenté les prendrait en charge. Un jour, il conduisait un touriste américain visiblement fortuné, avec un comportement un peu rude. Incapable de se montrer cordial avec lui, Ariel se contente d’une conversation très banale. Mais à un moment, le touriste, qui n’est pas dupe, se met à crier :
- Arrête-toi immédiatement !
Ariel finit à peine de se ranger sur le côté que le voyageur se remet à hurler :
- Tu crois avoir affaire à un touriste américain matérialiste, c’est ça ? Eh bien détrompe-toi ! J’en ai vraiment bavé pour en arriver là, tu n’as aucune idée de ce que j’ai vécu !
Sur ces mots, il enroule la manche de sa chemise et dévoile un nombre tatoué sur son bras, avant d’ajouter :
- J’ai perdu toute ma famille, mon père, ma mère et mes deux frères, alors ne t’avise pas de me juger sur mon apparence !
Ariel avait du mal à croire ce qu’il entendait, mais quelque chose d’autre l’avait encore plus perturbé. Il se contente de répondre :
- Aviez-vous un frère qui s’appelait Chimon ?
Et là, le visage énervé du touriste devient blême, livide. Il ne pouvait plus prononcer le moindre mot. C’était le prénom de son frère.
Ariel lui dit alors :
- Changement de programme, je vais vous accompagner quelque part.
Ariel fait demi-tour et prend la direction de l’endroit où il avait travaillé avec ce charpentier rescapé d’Auschwitz. Pendant tout le trajet, un silence absolu règne dans la voiture. Arrivé sur les lieux, Ariel part immédiatement poser la question à son ancien employeur :
- Aviez-vous un frère qui s’appelait Réouven ?
Là aussi, le visage du charpentier se vide de ses couleurs. Comment pouvait-il connaître le prénom de son frère ?
Ariel rejoint son taxi et déclare au touriste américain :
- Suivez-moi, je vais vous conduire chez votre frère.
Sans dire un mot, il accompagne le voyageur jusqu’à l’atelier du charpentier, mais sans entrer. Il ne voulait pas déranger l’intimité de leurs retrouvailles. Ce n’est qu’en repartant au volant de sa voiture qu’il a fondu en larmes…
Comment Ariel a-t-il deviné que ces deux hommes étaient bel et bien des frères ? Très simple. Quand le touriste américain lui a montré le numéro tatoué sur son bras, il a remarqué qu’il se terminait par… 7-4-0-2.