Quelle est la définition exacte d'un miracle ? Où se trouve la frontière invisible qui distingue un miracle d'un fait normal ?
Le Rav Mordekhaï Neugroschel, réputé comme l'un des meilleures pédagogues de pensée juive, a été interviewé à l'occasion des fêtes de ‘Hanouka sur l'essence des miracles d'antan et des miracles actuels. Voici nos questions et ses formidables réponses.
Qu'est-ce qu'un miracle au sens exact du terme ?
Il existe en fait trois types de miracles : ceux qui font corps avec la nature, ceux qui modifient l'ordre naturel du monde, et ceux qui dérogent aux lois de la nature.
C'est à dire ?
Le miracle fondu dans la nature est celui qui n'apparait pas de façon saillante dans le cours naturel des événements. Citons par exemple la chaine d'événements qui conduit au sauvetage du peuple juif au temps d'Esther et de Mordekhaï.
Dans cet enchainement particulier, chacun des épisodes est parfaitement naturel et banal. Mais quand les pièces s'emboitent les unes aux autres pour constituer le puzzle final, on se rend compte combien tout a été pensé pour contribuer au sauvetage du peuple juif et à la perte de ses ennemis. Ce genre de miracles ne s'identifie qu'à la lumière de la perspective historique qui fait apparaitre la parfaite cohérence de l'ensemble. Parfois, comme c'est le cas dans l'histoire d'Esther et Mordekhaï, cette prise de conscience peut prendre des années, voire des dizaines d'années comme dans le cas de la vente de Yossef. Il en est d'autres qui ne montreront leur cohérence qu'au bout de centaines d'années.
Le deuxième type de miracles présente une forme d'altération des règles habituelles de la nature. Par exemple la transformation du Nil en sang, les millions de grenouilles qui s'en échappent, l'ouverture de la Mer rouge en divers tunnels. Ces miracles sont déclenchés par les prophètes afin de faire éclater la vérité au monde et de sauver le peuple juif en prouvant qu'il est un peuple particulier.
Les miracles du troisième type sont caractérisés par une annulation complète des règles de la nature. Considérons la survie surnaturelle des Hébreux pendant leur errance de quarante ans dans le désert aride, avec les colonnes de nuée qui les entouraient et les protégeaient, l'eau qui jaillissait du rocher… Tous ces phénomènes extraordinaires qui leur ont permis de subsister en s'émancipant complètement du cadre normal de la nature. Ce type de miracles se réalise lorsque le peuple juif se trouve à un niveau de proximité exceptionnel avec l'Eternel.
Pour quelle raison l'Eternel n'accomplit-il pas de miracles de nos jours ? Cela ne pourrait que rapprocher le plus grand nombre de Sa Torah ?!
La nature ordinaire n'est-elle pas tout aussi impressionnante que de grands miracles ? Posez-vous la question de savoir qui est supérieur entre celui qui produit un effort pour créer un chef-d'œuvre une fois dans sa vie et celui qui crée un chef d'œuvre chaque jour et à chaque heure ? La nature qui nous entoure constamment n'est-elle pas plus étonnante qu'un événement sortant de l'ordinaire mais qui intervient de façon sporadique et aléatoire ?
Cela dit, une personne qui ne veut pas réfléchir ni tirer des conclusions de ce qu'elle observe trouvera des biais pour ignorer ce genre de questionnement. Un tel individu s'émerveillera d'un miracle tant qu'il lui paraitra extraordinaire, mais dans la plupart des cas, il s'en lassera rapidement et retournera à ses vieilles habitudes.
Il faut aussi garder en tête que le monde a été créé de façon à fonctionner selon les lois fixes de la nature, ce qui dissimule de fait la présence immanente de D.ieu. C'est pourquoi les lois naturelles ne sont pas annulées de façon intempestive, et le cas échéant, cela sera fait pour une justification très spéciale.
Les miracles sont à double tranchant : d'une part ils sont un adjuvant très fort pour la foi en D.ieu et Son service, mais d'autre part ils sont un grand danger parce que si malgré le miracle, les gens ne sont pas considérés comme méritants selon la justice stricte, ils seront d'autant plus exposés à la colère divine. C'est pourquoi, à chaque fois que le peuple d'Israël ne se comporte pas correctement, la présence de D.ieu est encore plus dissimulée, ce qui signifie que D.ieu cache Sa présence afin que l'accusation contre le peuple juif soit moins virulente.
Malgré cela, des miracles ont eu lieu n'est-ce pas ?
Lors de la sortie d'Egypte, alors que le peuple juif commençait tout juste à renforcer sa foi en D.ieu, les prophètes ont joui de miracles afin de prouver leur prophétie, tout comme certains individus jouissant d'un niveau de spiritualité très élevé, comme par exemple Rabbi Hanina ben Dossa, car ce genre de personnes n'a pas besoin d'être protégé par l'effacement de D.ieu derrière les règles de la nature. Pour eux, le miracle est un stimulant.
Le miracle de la fiole d'huile qui s'est déroulé à ‘Hanouka était inhabituel en ce sens qu'il a eu lieu à une époque où les miracles surnaturels ne se produisaient déjà plus. Il est donc considéré comme le dernier de ce type de miracles. Depuis, de nombreux miracles se sont produits sous couvert des lois de la nature et en faveur d'individus, et parfois même à la faveur d'un groupe de personnes.
Rav Mordekhaï Neugroschel