Voici un exemple frappant du syndrome de l’imposteur en action : l’ouvrage d’Olivier Cabane (Le mythe du charisme, paru en 2013) rapporte les résultats d’une étude indiquant que plus des deux-tiers des nouveaux étudiants de l’école de commerce de Stanford estiment qu’ils ont été admis par une erreur de la part du comité d’admission ; une autre étude révèle que près de 75 % des étudiants de l’école de commerce de Harvard ont le même sentiment. Imaginez : la majorité des élèves des deux plus prestigieuses écoles des Etats-Unis pensent ne pas avoir leur place là où ils étudient, en dépit de leurs brillants résultats scolaires !
Le syndrome de l’imposteur ne se limite pas aux performances scolaires ; certains peuvent également souffrir du syndrome d’imposteur au niveau religieux. Les convertis peuvent le vivre, les Ba'alé Téchouva également. Des Juifs qui assistent à un office à la synagogue ou à un Séder sans savoir ce qui les attend peuvent le vivre. En réalité, toute personne qui a eu un jour le sentiment de ne pas être « suffisamment juif » l’a vécu.
Il peut être rassurant de savoir que certains des plus grands dirigeants ne se sont pas toujours sentis à la hauteur des tâches qu’ils devaient entreprendre. Le plus célèbre, Moché, a argumenté avec D.ieu qu’il n’était pas digne de servir comme Son représentant. « Moché dit au Seigneur : "Qui suis-je, pour aborder Pharaon et pour faire sortir les enfants d'Israël de l'Égypte ? » (Chémot 3 :11).
Ce sentiment n’est pas propre à Moché uniquement, il a été celui d’autres illustres prophètes. Yirmiyahou a protesté de la mission qui lui avait été confiée : « Je ne peux m’exprimer - Je suis un enfant ! » et Yéchayahou a objecté : « Et je me dis : "Malheur à moi, je suis perdu ! Car je suis un homme aux lèvres impures ! » (Yéchayahou 6 :5). Bien entendu, nous savons que tous ces prophètes étaient parfaitement adaptés aux tâches dont ils étaient responsables.
Aharon a souffert du syndrome de l’imposteur lorsqu’il a été nommé Cohen Gadol. Comme Rachi dans Vayikra 9 :7 l’explique, Aharon redoutait de s’approcher de l’autel, se considérant inapte pour cette responsabilité. Ya’acov a peut-être senti le syndrome de l’imposteur lorsqu’il a dit à D.ieu : « Je suis peu digne de toutes les faveurs et de toute la fidélité que Tu as témoignées à Ton serviteur » (Genèse 32 :11). Alors que Chaoul a été nommé roi, il se cachait dans les bagages (Chmouël I, 10) et, même après son couronnement, il se conduisait comme un fermier (chapitre 11). Les exemples de ce style abondent.
La bonne nouvelle est que les individus souffrant du syndrome de l’imposteur sont en réalité tout à fait adaptés à leur rôle. Les véritables imposteurs ont tendance à surestimer leurs propres facultés : c’est ce que l’on nomme l’effet Dunning-Kruger. Si vous cherchez des exemples d’hommes qui ont surestimé leur propre importance ou facultés, prenez Bil'am, qui a agi comme s’il pouvait dicter ses termes à D.ieu (Nombres 22), et Kora’h, qui ne pouvait accepter qu’il était inférieur à Moché, pourtant personnellement choisi par D.ieu pour ce rôle (Nombres 16). N’oublions pas Haman, qui ne pouvait concevoir qu’un autre que lui méritait des honneurs (Esther 6 :6).
Il est vrai que les exemples de ceux qui se sont sous-estimés ont tendance à être parmi nos modèles, et ceux qui se sont surestimés sont plutôt parmi nos antagonistes, mais en réalité, nous sommes tous capables de sentir les deux extrêmes. A cet égard, Rabbi Sim’ha Bounim de Pechis’ha disait : « Un homme devrait avoir deux papiers dans sa poche, chacun lu au moment voulu. Sur l’un d’eux, pour être lu lorsqu’il se sent abattu ou découragé : « Le monde entier a été créé pour moi » (Sanhédrin 4:5). Sur l’autre, lorsqu’il se sent prétentieux ou orgueilleux : « Moi, poussière et cendre » (Genèse 18 :27).
D.ieu sait ce qui est bien pour nous et Il nous place chacun là où il doit se trouver. Il savait que Moché, Aharon et Chaoul étaient bien destinés à leur rôle, même s’ils n’en étaient pas certains. Lorsque nous nous sentons d’humeur triste, retenons que « le monde entier a été créé pour moi » et que nous méritons nos succès. Si nous penchons trop dans l’autre direction, en pensant : « Qui le roi voudrait honorer à part moi ? », c’est le moment de nous rappeler : « Je suis cendre et poussière. »
Le truc est de savoir à quel moment regarder quel papier…
Rabbi Jack Abramowitz