Il était une fois, dans un village de Lituanie, un couple qui ne manquait pas d’attirer l’attention : le mari était nain et sa femme était très grande. Lorsqu’il voulait discuter avec son épouse, il devait monter sur une chaise.
Ce mariage surprenant était dû à l'initiative du “Chadkhane” (marieur) du village qui, remarquant que les années passaient et que ni l’un ni l’autre ne trouvaient à se marier - à cause de leurs particularités respectives -, avait eu l’idée originale de les unir.
Ce nain avait décidé d’ouvrir une auberge pour assurer leur subsistance, et sa femme l’aidait dans son commerce. Et voilà que l’affaire marchait très bien, car de tous les alentours du village, les gens se déplaçaient pour y consommer afin d’observer avec amusement comment le nain montait sur une chaise chaque fois qu’il désirait communiquer avec sa femme.
Un soir, il rentra très fatigué de sa journée et, encore habillé, il s'endormit sur son lit. En pleine nuit, il se réveilla avec effroi et interpella sa femme. Il s'était rendu compte que sa tête et ses pieds touchaient les extrémités de son lit. Ce dont il n’avait pas pris conscience, c’est qu’il s'était allongé dans la largeur. “Il m'arrive quelque chose de terrible, cette nuit j’ai grandi", s’exclama-t-il. Sa femme rétorqua : “En quoi cela te dérange ?” En sanglotant, il lui dit : “Que va-t-il advenir de notre subsistance ? Voilà que les clients ne viennent consommer que pour nous observer, mais maintenant que j’ai grandi, ils ne viendront plus !”
Cette anecdote a été racontée par un grand Admour, le Rav Israël de Karline, qu’on appelait le “Yénouka” (l’enfant), car il avait hérité de son père la couronne de dirigeant spirituel alors qu’il n’avait que 14 ans. Malgré tout, les ‘Hassidim n’avaient pas contesté cette nomination, et, très vite, ils s'étaient rendu compte que ce jeune Admour était à la fois érudit en Torah et également versé dans le travail du Service Divin. Une fois adulte, on continua à le solliciter pour trancher la loi, pour prendre conseil et recevoir des bénédictions. Il exprima alors à ses proches son sentiment : “Tant que j'étais jeune, les gens venaient me voir, car ils étaient amusés de rencontrer un enfant diriger une cour de ‘Hassidim, mais bientôt, voyant que j’ai grandi et n’étant plus une attraction, ils vont me quitter…!”, et pour illustrer ses propos, il rapportait l’histoire ramenée plus haut.
Il est certain que le Rav était d’une humilité extraordinaire, mais l’histoire de ce couple atypique est porteuse pour nous d’un message très profond : quand le nain était jeune, il avait certainement souffert de sa taille anormale, et sans doute avait-il dû se raisonner pour vivre son quotidien malgré son handicap. Lorsque le miracle survint (en tous les cas, ce qu’il pensait a priori être un miracle) et qu’il prit une taille normale, il aurait dû se réjouir. Mais voilà qu’il s’accrocha à un détail secondaire : sa subsistance allait peut-être en pâtir.
On peut se reconnaître derrière ce nain : il y a parmi nous des gens qui souffrent (célibataire, sans travail, problème de santé, etc.). Le temps passe et pour “survivre” à leur situation, ils vont y trouver des aspects positifs : le célibat permet de conserver notre liberté, l’inactivité et la maladie permettent parfois un assistanat financier, etc. Mais un jour, s'ouvre devant nous une perspective qui peut redresser notre situation (proposition de mariage, travail, possibilité de guérison, etc.). Mais devant ces cadeaux du Ciel, le danger est de s’accrocher au triste quotidien dans lequel on baignait et d’avoir peur de faire le pas en avant, vers cet avenir heureux dont on rêvait il n’y a pas si longtemps, car on va devoir renoncer aux avantages “fictifs” et secondaires dont on bénéficiait. Imaginez : le nain reprend sa taille normale (un rêve !), mais s’affole à l’idée de devoir trouver un autre moyen de subsistance.
J’ai rendu une fois visite à un couple de ma connaissance qui, après 10 ans de mariage, avait eu un enfant. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu'après leur avoir demandé : “Comment c’est d'être parents ?”, ils me répondirent : “Nous ne sommes pas habitués, ça fait du bruit un bébé…"
Matière à réflexion !
Adapté d’une intervention du Rav Yossefi