Un aspect particulier de la langue hébraïque – Lachon Hakodech (langue sainte) – est de contenir un vocable qui lie la première lettre de l’alphabet – le Alef – à la dernière lettre de l’alphabet, Tav, en reliant ces deux lettres par le Vav conjonctif. Cet assemblage donne un mot chargé de sens : Ote – qui a une singularité différente de tous les autres mots de la langue : il y a deux pluriels différents, dont la signification n’est pas identique. 

Au singulier, le mot Ote signifie signe, ou lettre, c’est dire que l’alphabet est un signe, mais il y a deux pluriels à signification différente : le pluriel « Otote » indique les signes, les miracles que l’Éternel accomplit, alors que le deuxième pluriel « Otiote » désigne les lettres de l’alphabet, sans signification miraculeuse. La particularité de ce vocable invite à la réflexion. 

L’un des pluriels – lettres – est apparemment neutre, sans signification particulière alors que le second – signe miraculeux – traduit une valeur transcendante : signe spécial effectué par le Créateur. Ne peut-on voir ici un rapport entre la parole (l’expression, la lettre) et la trace du Créateur, qui a créé le monde par la parole, ainsi qu’il est dit : « Béni soit Celui qui a parlé et le monde fut » (Liturgie de la prière quotidienne). On sait que c’est par 10 paroles que le monde a été créé.

Les 22 lettres sont donc le véhicule de la Création. À remarquer que le chiffre 22 revient à plusieurs reprises dans la tradition juive. La période entre le 17 Tamouz et le 9 Av dure 22 jours. Le 17 Tamouz est le jour où Moché a brisé les Tables de la Loi que lui avait données l’Éternel. 

Ticha' Béav est le jour où les deux Temples de Jérusalem ont été détruits. Ces deux dates traduisent ainsi un évènement important de l’histoire d’Israël. La brisure des Tables par Moché transmet le message de l’échec d’Israël, qui n'a pu rester au niveau spirituel que la Révélation du Sinaï lui avait accordé. La Révélation avait effacé la faute d’Adam Harichon. La faute du Veau d’Or a rétabli l’ordre ancien. De même, la destruction des Temples a eu lieu après, le 9 Av, de sorte que cette période dure 22 jours. « Signe » de la présence de la Providence, même quand il s’agit d’évènements négatifs pour le peuple d’Israël. La date du 17 Tamouz a correspondu à l’arrêt du « Korban Tamid » dans le Temple (sacrifice quotidien, offert le matin et l’après-midi, avant la nuit) et par conséquent des autres sacrifices. Le 9 Av était la date du retour de Canaan des explorateurs qui découragèrent le peuple d’entrer en Terre Sainte.

« Ote » est un signe de quelque chose de spirituel. À l’inverse des exemples précédents, le chiffre 22 s’applique au nombre des lévites, chargés, dans le désert, des travaux sacrés, des transports du Tabernacle du désert. Ce chiffre était 22,000 lévites (Bamidbar, 3.39), où nous retrouvons le chiffre 22, nombre des lettres de l’alphabet.

En quoi ce chiffre est-il le véhicule de l’Infini dans le fini ? Il exprime le minimum de la pluralité : 2 est le pluriel minimum de l’un, et 20 est le pluriel minimum de la dizaine.

L’Un se fait connaître, se révèle par le chiffre. 22 est le début du pluriel, et c’est la trace de l’Être. Cela explique le singulier pluriel évoqué précédemment. « L’Être n’est que la trace de l’Un » écrit Levinas. Pour découvrir l’Un, il faut « lire » le monde. Un verset des psaumes résume la puissance de cette révélation par le chiffre : « Il connaît le nombre des étoiles, mais à Son entendement, il n’y pas de nombre. » (Psaumes 147, 3 et 4). Le vocable utilisé ici pour le nombre, « Mispar », est de la même racine que le mot « Séfer » (livre). Cela confirme l’idée essentielle que la parole est l’expression du Créateur, idée exprimée dans le terme « Ote », évoquée plus haut. Le « livre », c’est-à-dire les lettres, traduisent dans le fini la présence et l’action de l’Infini. C’est la trace qui se révèle et qu’il nous faut découvrir, au-delà des avatars de l’évènement. Les Tables de la Loi, les sacrifices, même le Temple, représentent, dans le fini, la trace du fini, par l’intermédiaire de ce chiffre. Le singulier pluriel relevé précédemment traduit précisément que l’alphabet, c’est-à-dire la lettre, est le CHIFFRE (au sens de solution de l’énigme) de l’univers. La sainteté de la langue hébraïque nous invite à cette rencontre du Tout-Puissant avec la créature. Le devoir de l’homme est de comprendre que l’Un se révèle par le multiple. Sachons LIRE la trace (double sens du Ote) et nous réalisons la proximité avec l’Éternel.