Le respect des parents est une Mitsva phare du judaïsme.
Gravée sur la partie droite des Tables de la Loi - celle qui est réservée à nos obligations envers notre Créateur -, son inscription à cet emplacement veut tout dire.
Respecter ses parents, c’est respecter D.ieu et admettre qu’il existe une hiérarchie absolue et irrévocable, qui remonte jusqu’à Lui. C’est reconnaître que je dois honorer inconditionnellement ceux desquels je suis issu, parce que je leur dois ma vie. La Providence divine a fait passer mon existence par leur intermédiaire, m’a lié à eux -parfois pour notre plus grand bonheur, et parfois avec un relationnel plus douloureux - mais même si le dessein m’échappe, la filiation a un sens et je dois la respecter.
On sait la difficulté de ce commandement et l’homme se cabre devant le sentiment de reconnaissance. La langue hébraïque, suprêmement intelligente parle de “prisonnier du merci”, Assir Toda, donc de liens dont on aimerait bien se libérer. On connaît le dicton : « Un père peut nourrir dix enfants, mais dix enfants ne peuvent pas nourrir un père ». La vérité est là, crue mais éloquente.
Sage conseil
Dans la Torah ainsi que dans les cultures orientales, c’est derrière nous que se trouvent nos références, à l’inverse de l’Occident qui n’a que faire de la vieillesse et aspire uniquement à une jouvence éternelle.
Mais, soyons réalistes, si les enfants ont reçu l’ordre de respecter leurs géniteurs, des parents avisés devront eux tout faire pour ne jamais être un poids pour leur progéniture. Ce conseil de nos Sages vient mettre en lumière les tréfonds de l’âme humaine qui, c’est un fait, rechigne à ses obligations même envers ses propres parents.
Le Chla Hakadoch, commentateur et érudit du 16ème siècle, à qui on doit la merveilleuse prière pour la réussite de l’éducation des enfants dite veille de Chavou'ot, met en garde les parents de ne pas – écoutons bien !! - « distribuer leurs biens à leur progéniture de leur vivant, car un homme sage voit loin et doit savoir que le sort peut basculer. Il peut tout perdre, et sera alors obligé de vivre aux dépens de ses enfants ». Situation qu’il qualifie de « plaie comme il n’en existe pas d’autres dans ce monde, difficile comme l’enfer et amère comme le Chéol ». Donc aucun père sensé ne devrait jamais se mettre lui-même dans une telle situation.
Le Chla Hakadoch, auquel ce sujet tient à cœur, raconte l’histoire d’un homme qui s’était enrichi et avait distribué sa fortune à ses enfants de son vivant. Sa vieillesse arrivée, il n’avait même pas de pain pour se nourrir et était devenu l’obligé de ses fils : le malheureux père se trouvait balloté comme un fardeau entre eux. Il se ressaisit et dans un éclair de lucidité, leur dit : « Sachez que j’ai un coffre caché quelque part, bien verrouillé, et vous ne l’ouvrirez qu’après ma mort. » Les enfants, apprenant que leur père avait encore des biens, commencèrent à l’honorer. Une fois le vieil homme décédé, ils ouvrirent le coffre dans lequel se trouvait une lettre disant : « Celui qui distribue son argent à ses enfants alors qu’il est encore de ce monde, mérite qu’on le fouette... »
Le Gaon de Vilna va dans le même sens et alors qu’il rend visite à sa mère, la Tsadékèt Rabbanite Treina, il la trouve en pleurs et lui demande ce qu’il se passe.
Elle répond qu’elle sent la fin venir et elle ne sait pas quel sera le verdict de son jugement devant le Tribunal Céleste. Le Gaon la rassure et lui dit : « Une fois en Haut, chère mère, dis que tu as vécu dix ans à la table de ton fils : toutes tes fautes seront pardonnées ! »
Incroyable ! A savoir, que cette situation est tellement pénible qu’elle en devient une Kaparat 'Avonot (expiation de fautes). Ni plus, ni moins, et de la bouche du Gaon.
Alors d’où vient cette nature rebelle, ingrate de l’enfant par rapport à ses parents ? Nous trouvons plusieurs sources à cela, ramenées par des autorités juives de premier plan, plus intéressantes les unes que les autres, qui dévoilent les labyrinthes de l’âme et du caractère humain.
Ingratitude quand tu nous tiens...
L’Admour Rabbi Méir Yé'hiel de Ostrowtza, y voit une loi génétique. Il explique que le premier homme, Adam, issu de la terre, n’a pas eu de parents à proprement parler, de chair et de sang. Il n’a pas de filiation généalogique, il n’a jamais eu de géniteurs à respecter et il n’a donc pas pu léguer à sa descendance cette inclination de gratitude à l’ancêtre. Par contre, lui-même qui a été père, a pu transmettre le dévouement paternel à sa progéniture, puisqu’il l’a expérimenté concrètement.
Le Gaon Rabbi Avraham Falaggi pense que l’injonction du respect des parents réveille immédiatement chez l’enfant un Yétser Hara' de ne pas y obéir. Alors que le père, qui n’a pas l’ordre de s’occuper de ses enfants, en tous cas pas après un certain âge, ne subit pas le boomerang du mauvais penchant.
Dans le livre ’Hidouché Torah, Rav Itting rapporte que les enfants mariés prétexteront toujours que la présence du parent dérange leur conjoint et qu’il est donc impossible (Chalom Bayit oblige...) de l’héberger sans provoquer des remue-ménage dans la famille. Excuse ou vérité, voici encore un cas de figure pour s’échapper de la Mitsva avec relativement bonne conscience.
L’Admour Rabbi Pin'has de Koritz dit quant à lui, dans une dimension plus mystique, que le monde est régi par les énergies de compassion ('Hessed) d’une part, et de justice (Din) de l’autre. Le courant positif qui coule de père en fils est celui du 'Hessed alors que celui contraire, qui remonte de fils à père à rebrousse-poil, est Din. Ceci expliquerait pourquoi le flux passe parfois si mal dans ce sens…
Soldats juifs à barbe blanche...
On rapporte une histoire édifiante qui s’est déroulée dans la cour de Rabbi Guerchon ‘Hanokh de Radin. A l’époque, le gouvernement permettait d’éviter l’enrôlement des jeunes en payant des sommes colossales. Les parents juifs, sans moyens, étaient prêts à vendre leur dernière chemise pour arriver à réunir la somme exigée par les autorités russes, pour éviter à leurs fils un enrôlement cruel, qui mettait en danger leur vie physique et spirituelle.
Un homme vint rendre visite à l’Admour et épancher sa peine, n’arrivant pas, malgré tous ses efforts, à réunir la somme exigée. Le Rabbi, avec un soupir et une pointe d’humour répondit : « Dans tout le malheur, remercions le Ciel que le décret soit sur les fils. S’il avait été sur les pères, j’ai bien peur que tous les soldats juifs de l’armée du Tsar auraient eu une longue barbe blanche… Car quel fils aurait donné son argent pour sauver son père… »
Rude réalité de la nature humaine.
Et pour finir, le 'Houmach lui-même rapporte dans la Paracha que nous venons de lire, que Yossef a nourri son père Ya'akov Léfi Hataf (Béréchit 47,12) - littéralement comme un petit enfant, témoignant de la grandeur de Yossef qui s’est occupé de son géniteur lorsqu’il l’a reçu au palais de Pharaon, comme un père le ferait avec son fils ; la Torah elle-même signale que c’est exceptionnel.
Nous avons tous vu des cas remarquables de dévouement d’enfants à leurs parents. Cependant, ne nous cachons pas une réalité : l’ancien, pourtant trésor d’expérience, de sagesse, passeur irremplaçable des traditions, peut être perçu comme une charge. Et s’il en était ainsi dans les générations passées, que dire de nos jours ?
Souhaitons avoir le mérite de voir nos enfants accomplir la Mitsva qui leur incombe. Mais nous, parents, ne pêchons pas par naïveté et sachons être prévoyants.
Un homme avisé en vaudra toujours deux.
(sources : Moussaf Yated Vayigach)