Fabien : Bonjour Monsieur le Rabbin, la Torah semble assez ségrégationniste, elle encourage les Juifs à s’aimer, se respecter... mais vis-à-vis des non-juifs, je la trouve assez dure, voire méprisante. Serait-elle raciste ?
Le Rav : Bonjour Fabien. Le racisme consiste à mépriser une personne à cause de sa “race”, considérant qu’elle est inférieure à une autre. Cela est tout à fait impossible dans la Torah, puisque c’est D.ieu Lui-même qui créé les différentes espèces du genre humain. De plus, la Torah dit clairement que tous les hommes ont été créés à l’image de D.ieu, comment pourrait-elle les mépriser ?
Fabien : Pourtant, certaines sources dans la Torah semblent manifester que le Juif doit se tenir à l’écart des non-juifs, voire de les haïr…
Le Rav : C’est une vision erronée de la Torah qui dénature son enseignement, car les versets sont on ne peut plus clair à ce sujet : « N'aie pas en horreur l'lduméen, car il est ton frère »1. Les Iduméens sont les descendants d’Esaü, l’équivalent des peuples occidentaux de nos jours… Ou encore la Michna qui dit : « Aimé est l’homme car il a été créé à l’image de D.ieu »2 et vous verrez que tous les commentateurs sur place s’accordent à dire qu’il s’agit du non-juif.
Fabien : Que signifient donc tous ces enseignements concernant les non-juifs dans le traité 'Avoda Zara qui stipulent qu’on ne les aide pas à enfanter car ce serait mettre au monde un enfant à l’idolâtrie, ou pire encore qu’on ne les assiste pas s’ils sont en train de mourir ?
Le Rav : Il faut bien faire la distinction entre les non-juifs de l’époque du Talmud et ceux d’aujourd’hui. Les non-juifs mentionnés dans la Guémara sont appelé Akoum – qui sont les initiales de « servant les étoiles et les astres » –, ces personnes étaient, comme l’histoire en témoigne, des barbares immoraux qui pouvaient aller jusqu’à sacrifier leurs propres enfants pour leurs croyances fallacieuses ou se permettre les plus vils péchés pour répondre aux exigences de leurs gourous disjonctés.
Il n’y a qu’à regarder dans les chroniques de l’histoire des peuples antiques pour considérer leurs pratiques pour le moins malsaines. Prends Loki, dieu de la discorde dans la mythologie nordique qui était zoophile, Brahma chez les hindous qui harcelait sa fille, Osiris dans l’antiquité égyptienne qui avait des rapports avec ses deux sœurs, Priape chez les romains et ses envies de viols récurrentes, Zeus dans la mythologie grecque qui se transformait en animal pour avoir des relations avec des êtres humains...
Un exemple contemporain : en Inde, la loi nationale a dû faire interdire en 2000 une pratique répandue qui consistait, pour une veuve, à se jeter vivante dans le feu pour témoigner à son mari tout juste défunt son allégeance éternelle, à l’image de « Sati », héroïne indienne de l’époque du Ramayana…
C’est au sujet de ces idolâtres-là que la Torah se montre impartiale, mais ils n’existent plus depuis longtemps. D’ailleurs, le Ramban lui-même qui était médecin, recevait en consultation de nombreuses femmes non-juives qui n’arrivaient pas à avoir d’enfants afin de les aider à procréer.3 Concernant les non-juifs aujourd’hui qui, pour la plupart, respectent les 7 lois Noa’hides, la Torah va même jusqu’à les considérer parfois Tsadiké Oumot Haolam – Justes parmi les nations. Il existe toujours et de tous temps des criminels, des terroristes et d’autres détraqués parmi les nations du monde, mais le fait de les considérer comme tel n’a rien à voir avec leur appartenance ethnique ou leur race mais à leur comportement. Le prophète Eliahou a écrit : « Je prends à témoin le ciel et la terre, qu’il soit non-juif, homme ou femme, esclave ou servante, tout dépend de ses actes, ainsi l’esprit divin peut reposer sur lui. »4
Fabien : Pourtant, j’ai entendu dire qu’il n’était pas interdit pour les juifs de voler des non-juifs, ni de garder leurs objets perdus, comme cela va-t-il de pair avec ce que vous dites ?
Le Rav : Les commentateurs attribuent toutes ces lois aux non-juifs idolâtres dont nous avons parlé précédemment5. Concernant les non-juifs respectant les lois noa’hides, la règle est qu’il est obligatoire de leur rendre leur perte. Le Rambam va même jusqu’à dire qu’il y a une obligation de les soutenir (les Bné Noa’h) en cas de faillite comme vis-à-vis des Juifs…6 et si cela ne suffit pas à lever vos doutes concernant le rapport au non-juif par la Torah, considérez, je vous prie, les paroles de notre maître, le Rav ‘Haïm Vital qui sont on ne peut plus explicites : « Nous devons aimer tous les êtres humains, même les non-juifs »7
Fabien : Pourtant, la Halakha ne dit-elle pas qu'il est interdit de transgresser le Chabbath pour sauver la vie d'un non-juif, tandis que cela est permis et que c’est même une obligation pour sauver celle d'un Juif ?
Le Rav : Tu fais erreur : la Halakha dispose clairement qu’on transgresse le Chabbath pour sauver la vie d’un non-juif car dans le cas contraire, cela pourrait engendrer de l’inimitié vis-à-vis des Juifs.8
Fabien : Vous voyez, si ce n’était le fait que cela représentait une menace pour les Juifs, on ne transgresserait pas le Chabbath pour sauver la vie du non-juif !
Le Rav : Effectivement, mais cela ne veut pas dire que sa vie a moins de valeur que celle du juif.
Fabien : Ah bon ?
Le Rav : Je m’explique. La vie n’est pas la valeur suprême de l’existence. C’est sans doute l’une des plus importantes, mais pas la valeur absolue. J’en veux pour preuve que, depuis la nuit des temps, les hommes sacrifient leur vie pour leurs idéaux, pour défendre leur pays, leur peuple, leur liberté ou leur famille. Certaines causes outrepassent dans certains cas la vie elle-même. La Torah, elle aussi, nous enseigne qu’il y a des choses qui précèdent la valeur sacrée de la vie, comme les trois péchés sur lesquels la règle est de se laisser tuer plutôt que de les transgresser9. La question est donc de savoir quelles sont les valeurs fondamentales pour lesquelles la vie vaut la peine d’être sacrifiée. Lorsque la Halakha nous dit que nous devons transgresser le Chabbath pour sauver la vie d’un Juif, nous avons l’impression que la raison est que la vie est la valeur ultime qu’il faut à tout prix préserver. Or, la Torah en révèle l’essence lorsqu’elle dit « Transgresse un Chabbat pour qu’il en garde plusieurs »10 : la raison pour laquelle nous transgressons le Chabbath pour sauver la vie d’un Juif vise à lui permettre d’en observer d’autres. Sans cela, le Chabbath n’aurait pas dû être enfreint… même pour un Juif.
Donc, dans cette Halakha, la différence vis-à-vis de la transgression du Chabbath n’est pas la valeur de la vie du Juif face à celle du non-juif, mais à la valeur du Chabbath lui-même que le Juif sera à même d’observer s’il garde la vie sauve.
Fabien : J’ai entendu dire que les non-juifs n’avaient pas d’âme !
Le Rav :Il s’agit encore d’idées reçues. Le Ram’hal dit : « D.ieu voulut qu’ils aient (les non-juifs) une âme semblable à celle des Juifs, bien qu’elle ne soit pas au même niveau, de même qu’ils aient des commandements par lesquels ils acquerront la réussite matérielle et spirituelle, ce sont les sept lois noa’hides. »11
Fabien : Donc, la Torah dit bien que les non-juifs ont une âme différente de celle des Juifs !
Le Rav : Absolument, tout comme au sein du peuple juif il y a des différences, mais qui n’ont rien de discriminatoires. Les Kohanim sont différents des Lévites, les Lévites du Israël (du juif classique), les hommes des femmes etc., chacun selon le rôle qu’il s’est vu attribuer par le Maître du monde.
Fabien : Vous parlez d’égalité, mais les Juifs se proclament le peuple élu quand même !
Le Rav : Ce n’est pas eux qui le proclament, mais le Créateur en leur attribuant Sa Torah. Souvenez-vous que cette affirmation a fait couler tant de sang chez les Juifs qu’il serait douteux de prétendre qu’ils se la soient attribuée eux-mêmes. De plus, le don de la Torah en présence de millions de témoins est admis par toutes les nations comme étant un fait historique irréfutable, alors personne n’accuse les Juifs de s’être attribué ce titre honorifique. Et comme tout le reste, cela ne relève pas d’une supériorité sur les autres nations, mais d’une responsabilité redoublée que le peuple juif a vis-à-vis de ces derniers.
Fabien : Que voulez-vous dire ?
Le Rav : Je veux dire que le peuple juif a reçu la Torah pour l’appliquer dans un premier temps, mais aussi pour transmettre son enseignement aux nations. Pour cela, le peuple juif endosse une grande responsabilité, qu’il est le seul parmi tous les autres peuples à avoir acceptée lors du don de la Torah. Ainsi, nous avons le devoir d’enseigner aux nations du monde la loi du monothéisme, celle qui bannit le meurtre et l’adultère, faisant endosser du même coup un rôle lourd de conséquences pour le peuple l’enseignant, mais dont la mission sacrée est le but existentiel. Cette mission pour le moins risquée car s’opposant aux bas instincts, a coûté la vie à plus d’un Juif. N’attribue-t-on pas à Hitler, maudit soit-il, ainsi qu’à ses acolytes des déclarations selon lesquelles les Juifs avaient apporté un handicap à l’humanité – la conscience de ses actes ?
C’est dire que le combat pour la morale et la droiture n’est pas une idylle sans risque, mais le peuple juif l’a accepté pour le bien de l’humanité tout entière, ce qui lui vaut une grande responsabilité aux yeux du Maître du monde…
1 Deutéronome 23, 8
2 Maxime des pères, chapitre 3
3 Responsas du Rachba, première partie alinéa 120, voir aussi Rabbi Akiva Eiger sur Choul’han Aroukh 125 alinéa 2
4 Tana Débé Eliahou Rabba, chapitre 9
5 Meiri Baba Metsia, Sefer ‘Hassidim 458, Be’er Hagola 261, Smag commandement 74 etc.
6 Rambam, lois sur les rois, chapitre 10 alinéa 10
7 Chaaré Kédoucha, première partie, 5e portique
8 Choul’han Aroukh 330, Michna Beroura alinéa 8
9 L’idolâtrie, le meurtre et les relations interdites.
10 Traité Yoma, page 85
11 Derekh Hachem, seconde partie chapitre 4