À l'occasion de la Hiloula de notre maître Rav Moché Shapira, l'équipe Torah-Box est heureuse de vous faire découvrir quelques paroles d'un élève à lui. Celui qui parle du Tsadik le jour de sa Hiloula, celui-ci priera pour lui ! Allumez une bougie et dites "Likhvod haRav Moché Shapira, zékhouto taguèn 'alénou" puis priez. Que son mérite protège tout le Klal Israël, Amen !
En apprenant la nouvelle du décès du Rav Moché Shapira, je me suis senti complètement hébété. Je n’étais même pas son élève ; je n’aurais jamais osé le prétendre. Mais j’ai beaucoup appris de sa Torah. Et, en tant que tel, je fus submergé par un sentiment de perte considérable.
Je me souviens parfaitement de la première fois où j’ai assisté à l’un des cours du Rav Moché à Or Saméa’h. Je n’avais jamais rien expérimenté de tel jusque-là. Or, je ne comprenais pas grand-chose de ce qui se disait ; Rav Moché donnait ce cours dans un hébreu sophistiqué.
De même que tout ce que le Rav Moché faisait ou disait était empreint de sophistication.
D’élégance, de majesté, de Malkhout Hatorah, de splendeur de la Torah.
Ce cours me parlait d’une manière et dans un langage jamais rencontrés auparavant. Avant cette occasion, j’avais été peu exposé au monde du Maharal, du Ram’hal et du Rav Tsadok. Soudain, pourtant, les pièces du puzzle semblaient bien se mettre en place. Tout était parfaitement censé. Sa diction et son sens de la précision mettaient en exergue la magnificence de ces pensées ésotériques. Sa capacité à articuler les mystères les plus profonds avec une clarté parfaite le plaçait dans la même catégorie que les penseurs et maîtres de la logique les plus brillants.
Alors non, je n’oserais pas composer de Hespèd, d’oraison funèbre. Ce ne serait pas rendre service à Rav Moché ; il veillait grandement à chaque mot sortant de sa bouche et de sa plume. Mais il reste encore beaucoup à dire.
Fait révélateur, Rav Moché nous a été enlevé le 10 du mois de Tévet. Au mois de Tévet, nous commémorons les tragédies du 8, 9 et 10 du mois. Le 8, le Roi Talmaï fit traduire la Torah en grec. Le 9, le Sofer Ezra nous a été repris. Et Névoukhadnétsar a fait le siège de Jérusalem le 10. Nos Sages nous enseignent que pendant, ces trois jours, l’obscurité s’est répandue sur le monde.
Comme le Rav Moché l’exprimait de sa manière inimitable : « Nénassé Léhavine, tentons de comprendre ». Et donc :
La traduction de la Torah en a retiré de sa profondeur, elle est devenue ainsi, d’une certaine manière, plus creuse. Dans le Lachone Hakodèch, chaque lettre contient un nombre infini d’explications, et donc plusieurs niveaux ont été perdus par la traduction, diminuant ainsi l’exclusivité de la Torah. L’infini était dorénavant relégué au fini. Première tragédie.
La Guémara (Sanhédrin 21b) révèle que le scribe Ezra méritait que la Torah soit donnée par son intermédiaire, mais Moché Rabbénou l’a précédé. Tout au long de sa vie, Ezra œuvra inlassablement pour renforcer l’étude, l’engagement et la diffusion de la Torah.
D’après le ‘Hatam Sofer (‘Hodech Tévet, p. 204), les Sifré Torah employés à l’époque étaient écrits dans une écriture différente de celle que nous possédons aujourd’hui. L’écriture sainte que nous employons de nos jours était cachée dans un Séfer Torah dans le Aron (arche sainte), et tous les secrets contenus dans les Tagim et les couronnes des lettres ont été transmis oralement de génération en génération. Il n’était jamais nécessaire de regarder dans la Torah. Les prophètes et les Sages ne la consultaient qu’en cas de nécessité. Mais lorsque l’oubli se répandit, Ezra décida qu’il était de nouveau nécessaire de transmettre la Torah en écriture Achourite (les lettres que nous employons de nos jours), avec toutes les indications et signes. Et en ce sens-là, la Torah a bien été transmise par Ezra. Avec son décès, le monde s’assombrit, car le 9 du mois de Tévet, celui qui a apporté cette lumière, nous a été pris.
Avec le décès du Rav Moché, le monde de la Ma’hchava (pensée juive) est de nouveau brumeux et flou, le monde de la Torah ressent une grande perte. Et sous bien des aspects, l’infini est une fois de plus devenu fini. Celui qui nous a apporté de la lumière n’est plus parmi nous.
L’étendue des connaissances du Rav Moché était immense, trop imposante à concevoir. Littéralement parlant, il savait tout - Kol Hatorah Koula - et citait textuellement des sources ésotériques les plus obscures. Il maîtrisa le Nakh dès son jeune âge, et ses mots sacrés devinrent un jeu pour lui. Il remarquait des ressemblances dans les mots et expressions de la Torah et reliait ces concepts les uns aux autres, tissant une magnifique tapisserie de Torah, révélant des anecdotes, des perles de sagesse, découvrant des niveaux de vérité cachée dans les lettres de la Torah, dans son incomparable style de « Ba’al Hatourim ». Comme les lettres de l’Alef-Beth doivent danser pour accueillir sa Néchama élevée !
Lorsqu’on rencontre une notion extrêmement brillante du Mégalé Amoukot ou du Rav Chimchon Méïr Ostropolia, quelques éléments de base du vocabulaire du Rav Moché, nous rationalisons que ces Kabbalistes ont vécu il y a des centaines d’années, et leur génie semblait friser le Roua’h Hakodech. Mais Rav Moché a vécu dans cette génération, parmi nous. Et pourtant, il était particulier, unique, intouchable.
Une fois, Rav Moché a séjourné dans notre quartier et un ami proche a eu le privilège de l’héberger. Il m’a raconté que le Rav Moché n’a pas du tout utilisé le lit mis à sa disposition, il a étudié toute la nuit. Quelle humilité de contempler un tel génie allié à une telle assiduité.
Oy, Mi Yitèn Lanou Témourato. Qui pourrait le remplacer !
Mais Rav Moché avait un autre aspect. Cela apparaissait en contraste frappant avec les regards sans complexe que l’on recevait lorsqu’on interrompait son cours par des questions dénuées de pertinence. Le cœur immense du Rav Moché a transformé la vie de nombreuses personnes. Sa stature royale, la manière dont il caressait sa barbe et se tenait, cède la place à une image totalement différente. Oui, son cœur était aussi large que son esprit.
Un homme qui traversait une passe difficile confia plus tard qu’en subissant ces épreuves, il s’adressa au Rav Moché pour être guidé et obtenir son affection et son soutien. Il me raconta qu’il n’était pas inhabituel pour Rav Moché de venir chez lui, d’entrer dans la cuisine, de retirer sa redingote, et de sortir une poêle pour préparer des œufs pour son élève brisé. Il se lia profondément à lui et lui donna la chaleur et l’affection dont il avait besoin pour persévérer et tenir bon.
Cette anecdote est conforme au caractère du Rav Moché, émotionnellement incapable de descendre du bus lorsqu’il arriva à Auschwitz il y a quelques années. Pendant plus d’une demi-heure, il se tint sur les marches du bas, tremblant, incapable de fouler le sol imbibé de sang de ce purgatoire sur terre. Son cœur pur ne pouvait simplement pas tolérer le mal. Et Rav Aubrey Hersch, le brillant historien et guide, qui voyageait souvent avec Rav Moché, raconte que lorsque le Rav Moché finit enfin par faire face aux sites de destruction du judaïsme européen, il commença à prononcer les prophéties tragiques de Isaïe.
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La fille de Rav Moché, Choulamit, décéda des suites d’une longue maladie. Un élève se rappelle comment le Rav Moché avait récité un Hespèd dont lui seul était capable. Il cita la Guémara selon laquelle si deux personnes forment un partenariat et que l’un d’eux veut se retirer, il ne peut le faire que s’il a la permission de l’autre partenaire. Rav Moché leva les yeux au Ciel et, avec une grande émotion, s’écria : « Mi Natane Lékha Réchout - Qui T’a donné la permission ? » Il indiquait par là que le Tout-Puissant, partenaire dans la vie de sa fille, s’était retiré de l’accord, et qui Lui en avait donné la permission ?
Mais ensuite, Rav Moché se ressaisit et cita un Rachba qui stipule que si la séparation des partenaires est bénéfique pour l’une des parties, alors cette partie peut dissoudre le partenariat. Avec une grande résignation, Rav Moché donna publiquement la permission au Partenaire d’agir comme Il l’entendait. Néanmoins, seulement à la condition que la mort de sa fille serve de mérite au reste des associés.
En écho à ce sentiment puissant, nous nous écrions : « Ribono Chel ‘Olam, comment peux-Tu prendre Rav Moché du Klal Israël ? Qui pourra cristalliser Ta Torah ? Qui pourra faire briller et resplendir ces lettres ? »
Malheureusement, nous n’avons pas de réponses, et, à présent, le reste des associés sont brisés au-delà de toute mesure.
Yéhi Zikhro Baroukh, que son souvenir soit une bénédiction.
Rav Yé’hiel Spero
Yated
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