Au cœur de la vieille ville de Jérusalem, à quelques minutes du Kotel, se cache une petite cour à l'histoire palpitante. Il s’agit de la cour du Musée de l’ancien Yichouv, situé dans le quartier juif de la Vieille ville de Jérusalem, aussi appelée synagogue du Or Ha’haïm Hakadoch. Comment une synagogue ashkénaze porte-t-elle le nom d’un illustre Sage marocain ? C’est ce que nous allons découvrir ensemble en écoutant ces pierres, dont chacune nous conte un morceau passionnant de notre passé, de la naissance du Arizal à l'étude du Or Ha’haïm Hakadoch, en passant par les enseignements du Gaon de Vilna ou les combats de l'Indépendance...
L’histoire de ce bâtiment commence fort loin, puisqu’en 1534, dans l’une de ses pièces, semblerait-il au premier étage sous la future synagogue, naît le géant de la Kabbale, Rabbi Its'hak Louria Ashkenazi, plus connu sous le nom de Arizal.
L’histoire raconte que Rabbi Chlomo Louria Ashkénazi et sa femme née Francis resteront longtemps sans enfants et ce n’est qu'après d’innombrables prières que le prophète Elie en personne vient annoncer la naissance d’un enfant très particulier. Celui-ci s'appellera Its’hak et le prophète Elie lui-même en sera le Mohel. Lorsque le huitième jour arrive, on amène le nourrisson à la synagogue et le père attend longuement malgré l’impatience de la communauté. Finalement, le prophète Elie arrivera et tiendra sa promesse de circoncire en personne l’enfant…
Or Ha’haïm
Au 18ème siècle, le Mekoubal italien Rabbi Emmanuel Haï Riki, natif de Ferrare, auteur du Michnat 'Hassidim, arrive à Jérusalem. Afin de fonder une Yéchiva à Jérusalem, il acquiert une petite maison avec une cour et un puits. Sa Yéchiva s’appelle “'Havérim Makchivim”. Après 4 ans d’efforts, il doit partir en Italie pour ramasser les fonds nécessaires au fonctionnement de l’institution. Malheureusement, au retour de deux ans de voyage, il est attaqué par des brigands qui l’assassinent le Roch 'Hodech Adar 5503 (1743).
Quasiment au même moment, après un long périple, parvient en Terre d'Israël, un des plus célèbres maîtres du judaïsme séfarade : Rabbi Haïm Ben Attar, l’auteur déjà mondialement connu du “Or Ha’haïm Hakadoch”. Ce commentaire sur le 'Houmach qui propose plusieurs approches du texte ancestral, du sens simple aux profonds commentaires inspirés de la Kabbale, des débats talmudiques aux réflexions philosophiques est étudié par le peuple juif tout entier, séfarades comme ashkénazes. D’abord installé à Akko (Acre), il décide finalement de déplacer sa Yéchiva. En effet, deux drames consécutifs ont frappé le groupe: deux de ses brillants élèves, Rabbi Chmouel Na'hman puis Rabbi Yéhouda Hacohen sont décédés subitement. Le Or Ha’haïm se rend tout d’abord à Peki’in, puis à Tibériade où le maître des lieux, Rabbi Haïm Aboulafia l’accueille à bras ouverts. Le Rav Aboulafia insiste pour que le Or Ha’haïm s’installe sur les rives du Lac de Tibériade, lui assurant qu’il serait le Rav de la ville. En effet, vu son grand âge, le Rav de Tibériade peine à animer sa communauté et à l’inciter à l'étude de la Torah.
Cette proposition ne manque pas de séduire le Or Ha’haïm qui consulte ses donateurs italiens, mais leur réponse est mitigée. Il décide finalement de rejoindre, conformément à son projet initial, la ville sainte de Jérusalem.
Quelques jours après Ticha' Béav 5502 (1742), le maître et ses élèves prennent la route et montent vers Jérusalem. Ils sont accueillis en grande pompe par les Rabbanim de la ville et la communauté hiérosolymite. Spontanément, le Or Ha’haïm est désigné comme le nouveau maître de la capitale éternelle du Peuple juif, Jérusalem.
Une cour ombragée pour l’étude de la Torah
Où la Yéchiva du Or Ha’haïm, nommée “Haïm Va'hessed” va-t-elle s’installer ? Tout simplement dans la petite cour du Mekoubal Rabbi Emmanuel Haï Riki, qui souhaitait tellement y établir une Yéchiva…
Le maître témoigne : “Bien que les locaux soient trop exigus pour contenir tous nos élèves, nous nous y sommes installés provisoirement en serrant les bancs, car cet endroit est discret, à l'abri des ennemis et des obstacles fâcheux. Nous y resterons jusqu'à ce que je trouve un lieu consacré à D.ieu qui soit suffisamment large pour nos Sages et nos disciples.”
L'étude reprend avec une énergie nouvelle, dans un esprit de pureté et de sainteté, parfaitement adapté à la ville qui les accueille.
On témoigne que les soixante élèves sont “particulièrement intelligents et couronnés de crainte de D.ieu. Le jour, ils étudient la Torah et la nuit est consacrée aux prières et supplications. Même les Sages de Jérusalem viennent leur poser leurs questions et leur exposer leurs doutes…”
Parmi les élèves du Or Ha’haïm les plus connus, on compte : Rabbi Haïm Yossef David Azoulay, plus connu sous son acrostiche du 'Hida, ou encore son élève par excellence : Rabbi Chem Tov Gabay.
De sous la synagogue, part un passage souterrain jusqu'à un Mikvé qui se trouve sous la 'Ezrat Nachim, la section des femmes située dans une autre pièce. Ce Mikvé a d’ailleurs été redécouvert récemment. Le Or Ha’haïm, chaque matin avant la prière, va s’immerger dans les eaux du bassin pour étudier et enseigner toute la journée dans la pureté et la sainteté.
Une disparition prématurée
Il y a aussi un second étage où le maître s'isole pour étudier les sujets les plus secrets.
Enfin, dans la cour, se trouve un grand figuier auquel est attachée une histoire peu commune. Malgré plusieurs tentatives pour réglementer les horaires de cueillette des fruits de l’arbre, les passants s’obstinent à venir cueillir des figues à toutes heures du jour et de la nuit, faisant grand bruit et dérangeant l'étude de la Yéchiva. Rabbi Haïm maudira l’arbre, jusqu’alors prolifique, qui ne produira plus que des fruits non comestibles. Cet arbre, comme en témoigne Ya'akov Goldman (Haasif 1887), ne sera coupé qu’en 1867, muet témoignage de l’importance de l'étude de la Torah aux yeux du maître.
Cette période de sérénité prend tristement fin, beaucoup trop vite. Moins d’un an après son arrivée à Jérusalem, le Or Ha’haïm Hakadoch est rappelé auprès d’Hachem le 15 Tamouz 5503 (1743), âgé à peine de 47 ans. Il sera enterré sur les flancs du Mont des Oliviers, face à la porte de la Miséricorde par où le Machia'h doit rentrer à Jérusalem.
À la mort de Rabbi Haïm Ben Attar, c’est son oncle, Rabbi Moché Ben Attar qui prendra la suite, mais il décédera moins d’un an plus tard. Le gouvernement turc saisira le bâtiment pour dettes, qui restera désert de longues années.
Au début du 19ème siècle, ce bâtiment aux pierres si imbibées de sainteté va revenir à la vie. Ce sont, cette fois ci, des Ashkenazim qui vont lui rendre sa splendeur d'antan. Rabbi Ména4hem Mendel de Chiklow, à la tête d’un groupe d'élèves du Gaon de Vilna, réalise le projet de son maître : s’installer à Jérusalem pour accélérer la délivrance par “un éveil d’en bas”.
En 1815, suite à une longue organisation et un passage à Tibériade puis Safed, ils souhaitent faire renaître la communauté ashkénaze dans la ville sainte. Au début, ils préfèrent se faire passer, voire même se déguiser en séfarades, pour échapper à la poursuite des musulmans qui leur réclament les dettes laissées par la communauté ashkénaze de Rabbi Yéhouda Hassid en 1700 ! Certains iront même jusqu'à changer leur nom, comme la famille Betchess adoptant le nom à consonance séfarade de Bassan… En 1836, après plus de vingt ans, grâce à l’intervention de la communauté séfarade et des consuls de Russie et d’Autriche, les poursuites pour dettes seront abandonnées, et un firman, un décret de Mouhamad Ali Pacha leur permettra officiellement de s’installer dans la ville. Ils fondent le Collel des Prouchim aussi appelé “Collel Vilna”.
Au début, ils ne prient que durant la semaine dans la cour de Rabbi Emmanuel Haï Riki, car ils n’ont pas la permission des autorités d’y officier le Chabbath et les fêtes. Par la suite, le bâtiment fonctionne toute la semaine et la voix des prières et de l'étude, surtout Kabbalistique, y retentit à nouveau jour et nuit, sept jours sur sept.
Mais de nouveaux jours difficiles arrivent… En 1948, le responsable de la synagogue du Or Ha’haïm s’appelle Rav Mordékhaï Weingarten. Pendant la guerre d'indépendance de l’État d'Israël, la synagogue servira de base à la Haganah, pour protéger le quartier juif des attaques venant du quartier arménien de la Vieille Ville. Lorsque la Vieille ville tombe, le bâtiment est capturé par les Jordaniens qui le laissent abandonné jusqu’en 1967.
Lors de la réunification de la ville après la Guerre des 6 jours en 1967, la famille Weingarten rachète la maison et la rénove entièrement, ainsi que la cour intérieure. Ils y fondent, dans une partie du bâtiment, le “Musée de l’ancien Yichouv”, qui commémore le mode de vie des Juifs de Jérusalem avant la Guerre d'indépendance et la chute de la ville.
Le bâtiment a gardé sa structure originelle, et n’a pas subi de modifications majeures depuis sa construction. Il s’y trouve plusieurs salles qui donnent toutes sur une petite cour intérieure. Comme dans les anciennes cours de Jérusalem, au centre de la cour, un puits a été foré, destiné à recueillir l’eau de pluie et abreuver les habitants lors des longues périodes de sécheresse.
La 'Ezrat Nachim (section féminine) se trouve dans une pièce séparée, sous laquelle on a retrouvé le Mikvé du Or Ha’haïm, relié à la synagogue par un souterrain. On peut encore retrouver la salle à l'étage, ou le Or Ha’haïm s’isolait pour étudier.
Aujourd’hui, fonctionnent dans le bâtiment deux synagogues : la première séfarade du nom de “Synagogue du Ari” et la seconde ashkénaze du nom de “synagogue du Or Ha’haïm”.
La synagogue elle-même, palpite de vie spirituelle : un Collel de la 'Hassidout Karlin, et depuis 2022, un second Collel du nom de “ Zihron 'Hahaïm”, qui fonctionne toute la journée, accomplissant ainsi le testament du Or Ha’haïm Hakadoch dans son livre “Pri Toar” : “que cette maison d'étude existe toujours, même après ma mort”…
Rabbi Pin'has de Kourits (1726-1791, élève du Ba(al Chem Tov) disait : “Si un jour, j’allais à Jérusalem, je resterais toute la journée dans la synagogue du Or Ha’haïm, et toute la nuit au Kever Ra'hel, sur la tombe de notre Matriarche Ra'hel”…