Nous avons relevé dans des articles précédents que l’histoire juive ne tourne pas dans le vide et très souvent, des personnages importants du Tanakh rectifient des défauts ou erreurs de leurs ancêtres. Ce principe semble particulièrement s’appliquer à Ruth et à l’ancêtre de son peuple, Loth, neveu d’Avraham Avinou. Il est instructif d’analyser d’abord le personnage de Loth et ses choix de vie et les mettre ensuite en parallèle aux décisions majeures de la vie de Ruth.
Loth a un mérite important en ce qu’il a été l’un des rares hommes à avoir accompagné Avraham dans sa quête spirituelle vers Erets Israël. Néanmoins, après les tribulations de la famine et l’épisode en Égypte où Sarah a été capturée, il semblerait que le niveau spirituel de Loth ait diminué. C’est indiqué par le fait que lorsqu’il se sépare d’Avraham, ce dernier reçoit immédiatement une prophétie, et nos Sages nous indiquent que pendant que Loth se trouvait avec Avraham, il ne pouvait bénéficier de prophétie, en raison de la présence négative de Loth. Mais, plus tôt dans la Paracha de Lekh Lékha, nous voyons qu’une prophétie a été dévoilée à Avraham, bien que Loth fût avec lui. Or, à ce moment-là, Loth n’était pas considéré à un niveau de faiblesse telle que cela empêchait Avraham de bénéficier de la prophétie.[1]
Il existe deux domaines principaux où se manifeste l’avilissement de Loth : la Gachmiout (matérialisme) et la Taava (luxure). La première indication explicite du matérialisme excessif de Loth s’exprime lorsque Loth voit le pays mécréant de Sodome et décide de s’y installer, en dépit de la dégradation morale de cette société, en raison de la prospérité de la terre.[2] En choisissant de vivre entouré d’individus mécréants, pour des raisons financières, il choisit le matérialisme aux dépens de la spiritualité. Et lorsque les anges avertissent Loth de la destruction imminente de Sodome, et qu’il doit partir immédiatement, la Torah nous dit qu’il est très hésitant à partir. Rachi explique que la raison de son hésitation tient au fait qu’il était réticent d’abandonner ses possessions bien-aimées, en dépit du danger évident qu’il affrontait.[3] Un corollaire de l’amour de l’argent de Loth se trouve dans la conduite malhonnête de ses bergers qui conduisirent ses animaux à manger sur des terres appartenant à d’autres, en s’appuyant sur des justifications fallacieuses. Une telle duplicité financière est certainement intervenue en conséquence d’un Ahavat Mamon (amour de l’argent) de leur maître, doté d’un amour profond pour le matérialisme, et il était bien plus susceptible de se lancer dans des activités malhonnêtes afin de satisfaire ses désirs.
L’inclination de Loth à une conduite immorale est révélée par Rachi : il explique que la raison sous-jacente pour laquelle Loth s’est installé à Sodome était le fait qu’ils étaient plongés dans l’immoralité.[4] Cette idée est renforcée par la conduite de Loth avec ses filles après la destruction de Sodome. Nos Sages nous enseignent que Loth lui-même s’est autorisé à être séduit par sa seconde fille (bien qu’il eût réalisé ce qui s’était passé avec sa première fille), en raison de son désir d’immoralité[5].
La conduite de la descendante de Loth, Ruth, contraste radicalement avec celle de son ancêtre. Dans le domaine de l’attachement à la Gachmiyout, le matérialisme, nos Sages nous enseignent que Ruth était une fille du Roi de Moav, or elle a délibérément abandonné une vie de prospérité pour accompagner sa belle-mère Naomi, démunie, vers un pays qui avait été sujet à la famine. De plus, contrairement à son ancêtre, elle a été extraordinairement vigilante de ne rien acquérir de manière malhonnête, comme l’indique sa prudence lorsqu’elle a ramassé les restes de gerbes dans le champ, veillant à ne pas en prendre plus que la mesure autorisée.
De même, nos Sages soulignent qu’elle était extrêmement pudique dans sa conduite en récoltant les gerbes, pour ne montrer aucune partie cachée de son corps. Les commentateurs soulignent que même lorsqu’elle aborda Boaz pour l’épouser, ses intentions furent complètement Léchem Chamaïm (pures).
Il semble que les approches divergentes au matérialisme et à la luxure entre Loth et Ruth aient servi de toile de fond aux décisions de vie radicalement différentes qu’ils ont prises à des moments-clés de leur vie.[6] Lorsqu’Avraham observe les bergers de Loth, il lui demande : « Sépare-toi s’il-te-plaît de moi. » Loth accepte de bon gré, et nos Sages affirment qu’en quittant Avraham, Loth s’est également séparé de Hachem, en disant : « Je ne veux ni Avraham ni son D.ieu ! »[7]. En revanche, lorsque Noami tente de persuader Ruth de la quitter, Ruth lui répond par une phrase célèbre qu’elle ne quittera jamais Naomi et que seule la mort les séparera.[8] La fidélité de Ruth à Naomi était révélatrice de sa ferveur envers Hachem lorsqu’elle déclara : « Ton peuple est mon peuple et ton D.ieu est mon D.ieu. » [9]
L’une des leçons de Chavou'ot est que la Torah est la source de la liberté authentique, comme l’explique l’adage de nos Sages selon lequel le vrai homme libre est le Ben Torah.[10] Une vraie relation à la Torah permet à l’homme d’éviter de se laisser tenter par les désirs illusoires de l’argent et de la luxure. Loth est l’exemple d’un homme qui ne se connecte pas réellement à la Torah, risquant de sérieusement trébucher dans ces domaines ; le personnage de Ruth en revanche est un excellent exemple à imiter, un exemple d’amour pur de la Torah et de Hachem qui lui a permis de rejeter les fortes tentations auxquelles elle a fait face.
[1] Rav Emmanuel Bernstein : L’appel du Sinaï, p.275-276.
[2] Béréchit, 13:10-11.
[3] Rachi, Béréchit, 19:16, Dh: Veyitmahamah.
[4] Rachi, Béréchit, 13:10, Dh: Boacha tsoar.
[5] Midrach Tan’houma, Balak, 17, cité par Rachi, Béréchit, 19:35, Dh: Ouvekouma.
[6] L’appel du Sinaï, p.278.
[7] Rachi, 13:11, Dh: Mikedem.
[8] Ruth, 1:16.
[9] Ruth, 1:17.
[10] Voir mon Dvar Torah sur Chavou’ot, Making Peace Between the Body and Soul, pour une discussion approfondie de ce sujet.