Le livre de Daniel relate l'histoire dramatique de ‘Hanania, Mishaël et Azaria, trois serviteurs juifs du méchant roi babylonien Nabuchodonosor. Le roi ordonna à tous ses sujets de se prosterner devant une énorme statue de lui-même. Tout le monde s'est incliné, y compris le peuple juif, à l'exception de ‘Hanania, Mishaël et Azaria[1]. En guise de punition, ils ont été jetés dans une fournaise ardente, mais Hachem les a miraculeusement protégés et ils sont ressortis indemnes, provoquant un grand Kiddouch Hachem (sanctification du Nom Divin).
Comme toujours, les histoires du Tanakh sont censées nous enseigner des leçons pratiques qui peuvent être appliquées à nos vies, mais il semble difficile de chercher à imiter une Messirout Néfech (sacrifice de soi) si remarquable, qui méritait de tels miracles. Cependant, il semble qu'il y ait encore des leçons de vie que l'on peut appliquer à chaque personne, à son niveau.
La Guémara nous révèle le raisonnement qui a conduit ‘Hanania, Mishaël et Azaria à conclure qu’ils devaient refuser de s’incliner devant Nabuchodonosor, même si de nombreux commentateurs ont expliqué qu’ils n’étaient halakhiquement pas tenus de donner leur vie pour cela, car s’incliner devant la statue ne constituait pas un acte réel d’idolâtrie[2]. Ils ont fait un raisonnement fascinant de "Kal Va’homèr" ("à plus forte raison") à partir d’un événement qui s’était déroulé plusieurs centaines d’années plus tôt, à l’époque des dix plaies.
Après la première plaie du sang, Moché Rabbénou a averti Pharaon que s'il continuait à refuser la demande d’Hachem de laisser le peuple juif quitter l'Egypte, il y aurait alors une nouvelle plaie : "Et le fleuve sera envahi de grenouilles ; elles vont se lever et iront dans vos maisons, vos chambres à coucher, sur vos lits, et dans les maisons de tes serviteurs et de ton peuple, et dans vos fours et dans vos bols à pétrir."[3] Après le refus de Pharaon, les grenouilles ont effectivement envahi l’Égypte, y compris les fours des Égyptiens.
‘Hanania, Mishaël et Azaria ont appris de l’exemple des grenouilles entrées dans les fours d’Égypte qu’eux aussi devraient être prêts à être jetés au feu. Ils se sont dits que si les grenouilles qui n’avaient pas la Mitsva de Kiddouch Hachem, étaient néanmoins disposées à aller dans un four en flammes dans le but de sanctifier le nom de D.ieu, à plus forte raison ("Kal Va’homèr") ceux qui, en tant qu’êtres humains, ont été ordonnés par la Mitsva de Kiddouch Hachem, deaient être disposés à être jetés au feu[4].
Le Darké Moussar relève une grande difficulté sur cette Guémara : le raisonnement des trois hommes était fondé sur le fait que les grenouilles n’avaient pas reçu l’ordre de mourir en Kiddouch Hachem, alors qu’il leur était ordonné de le faire. Cependant, le fait que Moché informe Pharaon que les grenouilles entreraient dans leurs fours constituait un ordre pour les grenouilles ; par conséquent, il a été ordonné aux grenouilles d’aller dans les fours. Cela étant, comment ‘Hanania, Mishaël et Azaria pouvaient-ils apprendre des grenouilles qu’ils pouvaient se permettre de se jeter dans le feu ?!
Il explique que bien qu’Hachem ait ordonné aux grenouilles d'entrer dans les fours, il ne les a pas limités aux fours : les chambres, les lits et les bols à pétrir étaient inclus dans la liste des endroits où les grenouilles pouvaient aller. Par conséquent, chaque grenouille avait le choix de l'endroit où elle irait, et pouvait donc décider de choisir l'option la plus confortable, que ce soit dans un lit ou dans un bol à pétrir. Néanmoins, de nombreuses grenouilles ont bien choisi de risquer leur vie pour que l’ordre d’Hachem soit exécuté. Etant donné donc que chaque grenouille n’avait pas été ordonné d’entrer dans le feu et que bon nombre d'entre elles l’avaient fait, ‘Hanania, Mishaël et Azaria ont appris qu’à plus forte raison devaient-ils eux aussi être prêts à être jetés au feu[5].
La grandeur de ‘Hanania, Mishaël et Azaria était qu’ils auraient facilement pu ignorer l’exemple des grenouilles, affirmant que celles-ci n’avaient pas d’autre choix que de pénétrer dans les fours, alors qu’ils étaient techniquement autorisés à s’incliner devant la statue et à ne pas être jetés dans le feu. Cependant, ils ont été assez honnêtes pour reconnaître que si les grenouilles étaient disposées à entrer dans le feu au nom du Kiddouch Hachem, ils en étaient d'autant plus obligés. En outre, ils auraient pu penser que, puisqu'il était techniquement autorisé de s'incliner devant la statue, ils pouvaient le faire, et peut-être que quelqu'un d'autre refuserait de s'incliner et ferait un Kiddouch Hachem. Pourtant, à l'instar des grenouilles entrées dans les fours, ils n'ont pas échappé à leur responsabilité dans l'espoir que quelqu'un d'autre la prenne, mais l'ont assumé eux-mêmes, sans aucune excuse.
Une autre leçon à tirer de ‘Hanania, Mishaël et Azaria réside dans la manière dont ils ont agi après le miracle de leur survie dans le feu. Le Midrash dit qu'ils ne sont plus jamais mentionnés dans le Tanakh après cet épisode, alors où sont-ils passés ? Il répond qu'ils sont allés apprendre la Torah de Yéhochou’a ben Yéhotsadak[6]. Ils auraient pu réagir de diverses manières à ce grand miracle qui a été annoncé dans le monde entier. Ils auraient pu l’utiliser pour améliorer leur position dans le palais du roi, avec de bonnes intentions.
Cependant, au lieu de cela, ils ont fui la gloire et le pouvoir et sont allés apprendre la Torah. Lla question qui se pose est de savoir pourquoi ils sont allés apprendre la Torah maintenant ? Peut-être est-il possible de répondre qu'ils voulaient s'inspirer du miracle et l'appliquer à la tâche la plus importante qu'une personne puisse faire : étudier la Torah. Ils ne se sont pas reposés sur leurs lauriers, ils se sont plutôt efforcés de se développer davantage dans leur ‘Avodat Hachem (service Divin).
‘Hanania, Mishaël et Azaria nous enseignent l’importance de prendre la responsabilité de nos actes lorsque nous faisons face à des défis et lorsque nous répondons au succès et à l’inspiration.
[1] La Guémara (Sanhédrin 93a) dit que Daniel n'était pas présent à ce moment-là, et n'a donc pas été soumis au dilemme de se prosterner devant la statue.
[2] Voir Tossefot, Pessa’him 53b
[3] Chémot 7,28
[4] Pessa’him 53b
[5] Darké Moussar, Vaéra p. 105-6
[6] Béréchit Rabba 56,11