L'un des personnages les plus marquants du Séfer Choftim est le Juge Guidon (Gédéon).1Le peuple juif souffre grandement aux mains des Midyanites, lorsque soudain Hachem apparaît à Guidon qui devient un nouveau juge chargé d'éliminer le joug des Midyanites. Guidon réussit dans sa mission et dirige le peuple juif avec droiture.
En analysant de près certains des épisodes impliquant Guidon, les commentateurs relèvent un certain nombre de similitudes frappantes avec le plus grand des dirigeants, Moché Rabbénou. Tout d'abord, nos Sages2 affirment que trois des dirigeants les moins importants du peuple juif : Guidon, Chimchon et Yifta'h - étaient d'importance égale avec trois des plus illustres dirigeants : Moché, Aharon et Chemouël. En comparant ces dirigeants, la Guémara compare spécifiquement Guidon3 à Moché Rabbénou, sous-entendant une profonde relation entre les deux4.
L'Alter de Kelm5 relève des qualités communes à Moché et Guidon qui ont été déterminantes dans le choix de leur rôle de leader du Klal Israël (peuple juif) qui devaient délivrer le peuple de leurs souffrances. Tout d'abord, Moché ne put se résoudre à fermer les yeux lorsqu'il aperçut un Egyptien frapper un Juif, il se mit sérieusement en danger pour sauver la victime, en raison de son empathie pour son frère juif. Quant à Guidon, les Prophètes nous révèlent qu'il coupait du bois pour son père. Rachi explique qu'il était très dangereux d'agir ainsi, car il existait un risque permanent que les Midyanites surviennent et les attaquent. Guidon affirma à son père qu'il était trop âgé pour prendre ce risque et qu'il se chargerait lui-même de couper le bois, bien qu'il fût parfaitement conscient du danger potentiel dans lequel il se plaçait.
L'Alter de Kelm explique que tout comme Moché, Guidon excellait dans la Mida (trait de caractère) de Nossé Béol 'Havéro : porter le joug de son prochain, soit de manière plus figurée, éprouver un sentiment d'empathie. Immédiatement après cet échange, le texte nous dit qu'un ange lui apparut et entama le dialogue qui s'acheva par la nomination de Guidon comme juge. L'Alter de Kelm remarque que l'ange intervint par le mérite de la remarquable Mida d'empathie de Guidon.
Il est possible d'ajouter qu'un incident semblable se déroula immédiatement après que Hachem a apparu à Moché : nos Sages expliquent qu'il était parti à la recherche d'un mouton assoiffé, et Hachem affirme qu'il s'était occupé avec beaucoup de dévouement du troupeau, ce qui lui avait valu le mérite de prendre en charge tout le peuple juif6.
Dans cet esprit, Moché et Guidon se souciaient tellement du peuple juif qu'ils parlèrent tous deux très fermement à Hachem sur la manière dont Il permettait au peuple d'endurer tant de souffrances. A la fin de la Paracha de Chémot, Moché se plaignit vivement qu'après avoir suivi les instructions de Hachem, l'esclavage des Juifs avait empiré. De la même manière, Guidon parla très fermement de la manière dont Hachem avait abandonné Son peuple. Hachem le récompensa en le nommant juge, car il avait défendu le peuple et ne s'était pas préoccupé de son bien-être personnel7.
Autre similitude entre les deux personnages : leur humilité et leur réticence à diriger le peuple en raison de cette humilité. L'humilité de Moché est bien connue, et lors de l'épisode du buisson ardent, il argumenta sans relâche qu'il n'était pas digne de diriger le peuple. De même, lorsque Hachem annonce à Guidon qu'il délivrera le peuple juif, celui-ci répond qu'il n'en est pas digne, car il est le plus jeune et le plus inférieur de la tribu de Ménaché8. Après avoir sauvé le peuple de Midiane, le peuple propose à Guidon de commencer une dynastie familiale de dirigeants, mais il décline l'offre, arguant que ce n'est pas lui qui les a délivrés, mais Hachem qui les guidera désormais9.
Le dernier parallèle entre les deux hommes est abordé par le Rav Chlomo Kluger10. Il relève que Moché et Guidon ont mené des guerres contre les Midyanites. Il suggère, sans surprise, en s'appuyant sur les nombreuses similitudes entre les deux hommes, que Guidon avait le Chorech Néchama (la racine de l'âme) de Moché Rabbénou11. Dans cette optique, il relève le verset de la Paracha de Matot où Hachem prescrit à Moché Rabbénou de se venger des Midyanites en raison de leur rôle dans la faute du Ba'al Péor. Hachem dit : « "Exerce sur les Midyanites la vengeance due aux enfants d'Israël, après avoir été réuni à tes pères. »12 Au sens simple, on pourrait comprendre que Hachem expliquait à Moché qu'après s'être vengé des Midyanites, il mourrait, mais si c'était la seule signification, Rav Kluger souligne qu'il aurait dû être écrit : « après quoi, tu seras réuni à tes pères. » Il suggère que Hachem faisait allusion à l'idée que Moché, uniquement après sa mort, pourra se venger totalement des Midyanites, en référence à sa Chorech Néchama, Guidon, qui, lui, a détruit les Midyanites dans leur intégralité13. Rav Kluger explique que Moché lui-même n'a pas eu le droit d'éliminer totalement les Midyanites : il éprouvait de la gratitude à leur égard, ayant passé une grande partie du début de sa vie à Midiane. Mais Guidon, en revanche, était habilité à le faire.
Nous avons relevé un parallèle évident entre Moché Rabbénou et Guidon. Le Zohar note par ailleurs que Guidon n'était pas un homme particulièrement brillant14, mais grâce à ses traits de caractère positifs, en particulier pour avoir parlé en termes élogieux du peuple juif, il mérita d'être le dirigeant et de bénéficier d'une grande Siyata Dichmaya, d'une aide divine. Ceci nous enseigne que la grandeur et le leadership peuvent être atteints même par des hommes ordinaires préoccupés par le bien-être de leur prochain.
1. Il apparaît dans le Séfer Choftim, chapitres 6-8.
2. Roch HaChana, 25a-b.
3. En ayant recours à l'un de ses noms adoptés, Yerouba'al : il porte ce nom pour avoir combattu la 'Avoda Zara (culte des idoles), nommé Ba'al.
4. En revanche, Aharonest comparé à Chimchon, et Chemouël, à Yifta'h.
5. Rav Sim'ha Zissel Brodie, 'Hokhma OuMoussar, 'Hélek 1, p.197, cité dans Michbétsot Zahav, Choftim, p.104.
6. Chémot Rabba, 2:2.
7. Choftim, 6:14, Rachi, Dh: Beko'hakha zé.
8. Choftim, 6:15.
9. Choftim, 8:22-23.
10. Imré Chefer, Parachat Matot, cité par Michbétsot Zahav, Choftim, p.107.
11. Ceci semble comparable à l'idée de Guilgoul (réincarnation), sans être identique : ces notions sont issues de la sphère de la Kabbale et au-delà de la compréhension de l'auteur. C'est pourquoi elles sont abordées ici au niveau simple.
12. Bamidbar, 31:2.
13. Au niveau simple de la lecture de l'épisode de Matot, il semble que les Juifs aient éliminé intégralement tous les Midyanites, et la question se pose : comment ont-ils réapparu dans le Livre de Choftim ? Une réponse : ils n'ont pas été totalement éliminés, et les survivants ont reconstruit le peuple si bien qu'à l'époque de Guidon, ils étaient à nouveau une nation puissante.
14. Zohar, 2:254b.