A l'occasion du Yortzeit de notre maître Rabbi Ména'hem Mendel Halperin-Morgenstern, surnommé le Rabbi de Kotzk, Rav Jean ‘Haïm est heureux de vous faire profiter de l’un de ses enseignements.
Puisque notre Paracha traite du don de la Torah sur le mont Sinaï après la libération des Hébreux d’Egypte, il n’est pas inutile de rappeler un enseignement fort singulier du Rabbi de Kotzk à ce sujet. Au sujet de la liberté, le Rabbi, célèbre pour sa rigueur et sa recherche sans compromis du Emet, enseignait : "La liberté personnelle de l’homme a une valeur plus grande que la valeur de l’étude de la Torah, et un homme d’Israël s’efforcera de se fatiguer davantage dans ‘l’affaire’ de notre liberté et de la sortie d’Egypte que dans le passage le plus difficile du Talmud."
Nous sommes, face à cette parole du Rabbi, dans la perplexité. Le Rabbi nous étonne en effet sur deux points : premièrement, y aurait-il plus important que la Torah ? En outre, y aurait-il un fondement plus important que l’étude de la Torah ?
Pourtant, nous savons tous l’importance primordiale de l’étude de la Torah, à propos de laquelle les Sages ont enseigné : "Grande est l’étude de la Torah qui nous amène à la pratique des Mitsvot" (Kiddouchin 40b) !
Comment comprendre les paroles du Rabbi ?
La liberté fatigante !
Comme à son habitude, le Rabbi nous prend par surprise. Certes, Pessa’h est une fête difficile avec tous ses nettoyages et ses préparatifs, mais une fois accoudés le soir de la fête, reconnaissons que nous nous sentons comme des fils de prince, libérés d’office. Nous nous réjouissons et chantons notre délivrance. C’est facile et agréable ! S’il en est ainsi, tentons tout d’abord de comprendre de quelle sorte de liberté et de fatigue le Rabbi veut-il donc parler lorsqu’il nous enjoint de nous "fatiguer" pour l’acquérir.
Deux sortes de liberté
Nous rencontrons dans la société religieuse de Torah deux sortes de liberté. La première, plus rationnelle, s’exprime en étudiant et pratiquant la Torah. "Ne peut être libre que l’homme qui s’occupe de la Torah", disent les Sages dans les Maximes des pères (6, 2). La seconde, ouverte sur le monde, essaye de profiter de toutes les libertés et ambitions personnelles en respectant les règles et valeurs de la Torah. "Belle est l’étude de la Torah quand elle s’accompagne de l’usage (la façon, les coutumes) du monde", nous enseignent en parallèle les mêmes Maximes des pères (2, 2).
Le chemin difficile
En réalité, chacun des partis, celui de l’attachement à la loi et celui de l’attachement au monde dans le respect de la Torah, nourrissent tous deux l’âme et l’histoire juive. Nous connaissons des personnes de grande qualité qui appartiennent à chacun des deux camps, qui vivent en parfaite harmonie et respect les uns avec les autres. Pas de radicalisation car "qu’il en fasse peu ou beaucoup (de l’occupation dans la Torah), l’essentiel est d’aligner son cœur vers le Ciel", nous dit le Talmud (Brakhot 17a). Mais alors, si les deux chemins de liberté sont connus de tous et possibles, où se trouve le chemin de liberté cachée et difficile dont parle le Rabbi ?
La liberté de l’âme
Il me semble que la liberté réelle et difficile dont parle le Rabbi de Kotzk est une liberté de l’âme. Une connaissance et une considération pour ce que nous sommes vraiment, ce que nous pouvons et aimons faire vraiment. Il s’agit de rester honnête dans notre cheminement de Torah, de dégager notre essence et notre mission de vie et d’éviter la radicalisation et les pièges aussi bien de la "religiosité" que de la "modernité".
L’air pur
Dans le jubilé (Yovel), année de la liberté, la Torah a choisi un oiseau pour symboliser l’idée de la liberté. Cet oiseau est le moineau. Oui, vous ne rêvez pas ! Liberté se dit aussi "moineau" (Dror) dans la Torah. Le Ibn Ezra nous explique que le moineau ne chante (ce qui constitue donc son essence et sa mission) que s’il est libre ; si on le capture, il refusera la nourriture et se laissera mourir.
Sur ce que nous sommes vraiment, notre liberté intérieure, il en relève de notre survie de le découvrir et de l’exprimer. C’est une question de vie et de mort !
C’est sans doute la raison pour laquelle le Rabbi de Kotzk invite l’individu à s’atteler, à "se fatiguer" littéralement, à l’acquisition et le maintien de cette liberté.