Après la mort du roi Chlomo, son fils Ré’havam se rendit à Chekhem pour commencer à régner au titre de nouveau souverain d’Israël. Or, avant de l’accepter comme leur roi, le peuple lui demanda de réduire la lourde charge des impôts qu’ils payaient du temps du règne du roi Chlomo. Ré’havam demanda trois jours de réflexion avant de donner sa réponse. Il consulta d’abord les anciens, qui avaient conseillé Chlomo pendant son règne. Ils lui recommandèrent d’écouter le peuple et d’alléger leur fardeau. Ils firent le raisonnement suivant : s’il commençait à les traiter de cette manière, alors à long terme, ils accepteraient avec joie de devenir ses sujets et il pourrait les dominer sans limites. Mais Ré’havam, insatisfait de cette approche, demanda l’avis de ses jeunes amis avec lesquels il avait grandi. Ils lui conseillèrent de rejeter la demande du peuple, d’affirmer son autorité sur eux et d’augmenter même la charge qui pesait sur eux. Ré’havam suivit ce conseil et annonça au peuple qu’il régnerait avec plus de sévérité que Chlomo. En réaction à cette annonce, la majorité du peuple se révolta contre Ré’havam et le royaume fut tragiquement divisé. Cette division du royaume est une sanction divine contre Chlomo, pour avoir permis à ses épouses de se consacrer à l’idolâtrie.
Bien que cette division fût destinée à avoir lieu lors du règne de Ré’havam, les commentateurs ne dégagent pas Ré’havam de la responsabilité de ses actions, et tentent d’expliquer son raisonnement face à sa conduite avec le peuple, et d’éclaircir en quoi il était erroné[1].
Premièrement, nous exposerons le raisonnement halakhique de leur argument, puis l’erreur sous-jacente qui a conduit à cette approche. Le roi a l’interdiction d’être Mo’hel Al Kévodo - de renoncer à l’honneur qui lui est dû. En effet, le roi Chaoul a été précisément puni à ce titre.[2] Quelques individus de basse classe avaient insulté Chaoul, et le peuple demanda à Chaoul de les punir, mais il s’y refusa. A titre de punition divine, la Guémara affirme qu’il a perdu par la suite une bataille.[3] En conséquence, les jeunes amis de Ré’havam firent le raisonnement qu’il était interdit à Ré’havam de répondre favorablement aux demandes du peuple, car en agissant ainsi, il serait Mo’hel 'Al Kévodo (il renoncerait au respect qui lui est dû).
Quel était le raisonnement des anciens qui avaient recommandé à Ré’havam d’écouter le peuple ? Selon une approche, l’homme qui s’apprête à régner n’a pas le statut d’un roi avant d’être officiellement accepté comme roi par le peuple.[4] Alternativement, lorsque la majorité d’une nation se révolte contre le roi, celui-ci ne peut être Mo’hel 'Al Kévodo. Nous observons ce cas avec le roi David après la répression de la révolte d’Avchalom. David pardonna à tous ceux qui avaient pris le parti d’Avchalom, bien qu’ils eussent le statut de Mored Bamalkhout (qui se révoltent contre la royauté). Les commentateurs expliquent qu’il avait le droit d’être Mo’hel 'Al Kévodo, car la majorité du peuple s’était révoltée contre lui.[5]
Il est néanmoins important de relever un principe fondamental que l’on retrouve dans tout le Tanakh. Lorsque des hommes de haute stature fautent, la source de leur faute repose généralement sur un raisonnement intelligible, mais erroné. Mais il existe normalement un facteur sous-jacent lié à un manquement subtil dans un certain domaine, qui les pousse à adopter un raisonnement défaillant. Dans le cas des amis de Ré’havam, il va de soi que les défauts de leurs traits de caractère ont été à l’origine de la conclusion selon laquelle Ré’havam devait réagir avec sévérité avec son peuple. Le Michbétsot Zahav suggère que parmi ces traits de caractère, on retrouve l’impatience et l’imprudence. En raison de leur impatience de voir Ré’havam devenir un puissant monarque, ils voulurent immédiatement affirmer son autorité sur le peuple. En revanche, les anciens excellaient dans les traits de patience et de calme, et reconnurent qu’une approché pondérée serait au final la plus gagnante.
Dans cette veine, la Guémara déduit un principe important des actions des jeunes hommes et des anciens. Elle dit :
« Si un ancien te demande de détruire et des jeunes (te disent) de construire, détruis et ne construis pas, car la destruction des anciens construit, tandis que la construction des jeunes détruit. Un exemple de ce principe : Ré’havam, fils de Chlomo. »[6]
Pour comprendre cette Guémara à un niveau élémentaire : lorsqu’une personne avisée recommande une approche qui semble impliquer un renoncement ou une perte, il faut la suivre, car au final, elle finira par prouver qu’elle était constructive. Mais si, en revanche, une personne irréfléchie suggère une approche qui semble avoir des bénéfices, elle aura au final un effet préjudiciable. L’histoire de Ré’havam le prouve : le conseil des hommes sages pouvait laisser entendre que Ré’havam devrait renoncer à son pouvoir, mais en réalité, cette approche aurait renforcé son pouvoir. En revanche, le conseil prôné par les jeunes gens semblait conférer plus d’autorité à Ré’havam, mais il a débouché en réalité sur une perte massive de pouvoir.
Le Rebbe de Kotsk explique ce texte au niveau du Drouch (homilétique). Lorsque la Guémara, dit-il, déclare que « la construction des jeunes gens détruit », cela signifie qu’un imbécile se construit par la destruction, c’est-à-dire en écrasant les autres. Si on applique ce principe au récit de Ré’havam, les jeunes gens ont estimé par erreur qu’en remettant le peuple à sa place, en les traitant avec sévérité, Ré’havam se grandissait. Cette attitude était erronée, car on ne peut réussir en rabaissant les autres, cela contribue uniquement à accroître l’hostilité et n’améliore pas le sort de celui qui rabaisse. Ceci nous enseigne une leçon de vie qui peut s’appliquer à de nombreux domaines. Un exemple est lié au Lachone Hara', la médisance. L’une des raisons principales pour laquelle les gens critiquent les autres tient à ce qu’ils ont le sentiment qu’en rabaissant autrui, ils se grandissent, mais en réalité, ils ne font que se rabaisser en se concentrant sur le négatif.
Dans cette optique, il est possible d’ajouter que l’autre partie de la Guémara affirmant : « La destruction des anciens construit » peut être interprétée ainsi : les hommes intelligents agissent avec humilité, en s’abaissant à leurs yeux et en se soumettant aux autres. En conséquence, ils se construisent en tant que peuple. C’est la bonne voie à suivre pour grandir : non pas en écrasant les autres, mais en travaillant sur ses propres traits de caractère, en particulier l’humilité qui est l’un des plus importants.
L’exemple tragique de Ré’havam nous rappelle l’importance des traits d’humilité et de patience, et surtout, de chercher conseil auprès des sages et non des sots.
[1] On pourrait s’interroger : le verset établit que la raison pour laquelle Ré’havam n’a pas écouté le peuple tenait à la prophétie selon laquelle le royaume serait divisé, sous-entendant que Ré’havam n’avait pas de libre arbitre à ce sujet. Or, les commentateurs (voir Michbétsot Zahav, Mélakhim, p. 507) expliquent que Ré’havam désirait ignorer la requête du peuple, mais qu’il avait peur d’agir ainsi. En conséquence, Hachem renforça son cœur pour qu’il agisse véritablement comme il le souhaitait. Cette approche est similaire à celle de certains Richonim face à l’épisode où Hachem endurcit le cœur de Pharaon lors des dix plaies. Ils expliquent que Pharaon voulait ignorer la demande de Moché de libérer le peuple, mais il en avait trop peur, et en conséquence, Hachem lui conféra la force de surmonter sa peur naturelle des conséquences de ses actions.
[2] Voir Chmouël I, chapitre 11.
[3] Yoma, 22b.
[4] Voir Michbétsot Zahav, Mélakhim I, pp.504-5.
[5] Michbétsot Zahav, Mélakhim I, p.505.
[6] Méguila, 31b.