L’un des personnages les plus importants du Livre de Chemouël est Avner, le général des armées du roi Chaoul, qui s’était initialement opposé au roi David, mais s’était réconcilié au final avec David et l’avait reconnu comme roi légitime après la mort de Chaoul, à la place du fils de Chaoul, Ichbochet, qui régna plusieurs années après le décès de Chaoul.
Avner est décrit par nos Sages comme un Guibor, un homme puissant, et ils vantent sa force physique exceptionnelle.[1] Cependant, la définition de la Torah de Guévoura va bien plus loin que le sens superficiel de puissance physique, comme les Pirké Avot l’indiquent : « Qui est fort ? Celui qui maîtrise ses instincts. »[2] Ceci se réfère à un individu qui a la force de surmonter ses tentations le poussant à agir de manière incorrecte. Si l’on analyse en profondeur les actions d’Avner tout au long de sa vie, on remarquera que le domaine principal de sa Guévoura se situait dans sa grandeur spirituelle à conquérir son penchant dans diverses circonstances difficiles.
David décrit Avner comme étant plus vertueux que Yoav.[3] La Guémara[4] cite la Halakha selon laquelle même si l’on doit écouter le roi, l’exception à cette règle intervient lorsque le roi donne l’ordre à son sujet d’agir contre la Torah. Lorsque Yoav reçut l’ordre de David de provoquer la mort d’Ouria, Yoav l’écouta, en dépit du fait que ce fût inacceptable.[5] En revanche, lorsque le roi Chaoul ordonna à Avner[6] de tuer les Cohanim de Nov pour une injustice perçue[7], Avner refusa d’écouter, en dépit du fait qu’il fût extrêmement loyal à Chaoul durant le règne de ce dernier. De cette manière, Avner a fait preuve d’une Guévoura exceptionnelle pour surmonter sa profonde loyauté envers Chaoul, lorsque suivre le roi revenait à contredire la Torah.
Un autre aspect de cette force spirituelle est la faculté d’admettre ses erreurs et de modifier sa ligne de conduite. Avner était le fidèle général du roi Chaoul, qui investissait toutes ses forces pour défendre le royaume de Chaoul contre ses ennemis. Le roi David était perçu comme un ennemi, et même après le décès de Chaoul, Avner encouragea son fils, Ichbochet, à devenir roi.[8] Mais en se reposant sur divers événements, Avner réalisa qu’il faisait erreur en prolongeant le règne d’Ichbochet, et fit la paix avec David, se soumettant totalement au règne de celui-ci. Le Michbétsot Zahav souligne que c’est un véritable exemple d’un homme fort conquérant ses passions.
Un dernier exemple remarquable de la force d’Avner se trouve dans le commentaire d’Alchikh[9] reposant sur sa version d’un Midrach[10] traitant du décès d’Avner aux mains de Yoav. Le Midrach affirme que Yoav avait frappé Avner avec son épée d’un coup mortel, mais qu’Avner était si puissant physiquement qu’il tint Yoav dans ses mains et aurait été en mesure de le tuer, bien qu’il fût lui-même sur le point de mourir. A ce stade, de nombreux Juifs s’adressèrent à Avner pour l’implorer de ne pas tuer Yoav, car ils avaient besoin de lui pour les diriger dans leur combat contre les Plichtim. Avner les écouta, relâcha Yoav, tomba au sol et mourut. Ce fut une démonstration exceptionnelle de force morale, bien que Yoav eût tout juste frappé Avner, mais ce dernier domina le désir de se venger de Yoav pour le bien du peuple juif.
Il est vrai que nos Sages critiquent Avner un certain nombre de fois, et il semble que les fautes qu’il avait faites trouvent également leur racine dans cette grande force, mais en certaines occasions, cette force a peut-être été légèrement mal employée.[11] Un exemple : lorsque Chaoul poursuivit David qu’il percevait comme une menace mortelle à son règne.[12] En une occasion, Chaoul se rendit seul dans une grotte où se trouvait également David ; or David ne tua pas Chaoul. Au lieu de cela, il coupa un coin du manteau de Chaoul sans que ce dernier ne le remarque. Plus tard, David montra ce morceau de manteau à Chaoul, pour lui prouver qu’il aurait pu le tuer et s’en était abstenu. Mais Avner persuada Chaoul que le bord du manteau de Chaoul avait été déchiré par des ronces, empêchant Chaoul de faire la paix avec David.[13] Il semble que la ferme conviction d’Avner que Chaoul était le roi légitime le poussa à agir de cette façon, mais nos Sages y trouvent à redire.
Nos Sages critiquent aussi Avner pour avoir permis au fils de Chaoul, Ichbochet, d’être roi pour une longue période. Ils remarquent qu’il avait d’abord établi Ichbochet roi, en s’appuyant sur le verset de Vayé’hi [14] attestant que deux rois seraient issus de Binyamin, et il n’y en avait eu qu’un seul. Ceci montre également la nécessite impérieuse de suivre la Torah, même si on risque de se heurter à une vive opposition et que l’on semble avoir suivi une ligne de conduite correcte. Néanmoins, nos Sages trouvent à redire au fait qu’il ait prolongé le règne d’Ichbochet de deux ans et demi de trop, ce qui avait empêché le roi légitime, David, de régner. A nouveau, il semble que ce fût la grande détermination d’Avner[15] qui ait conduit à ce mode d’action légèrement incorrect.
Nous avons vu comment Avner était un Guibor, quelqu’un qui surmonte des tentations puissantes et suit l’authentique ligne de conduite conforme à la Torah. C’est un remarquable exemple pour nous tous face à nos défis. Ses échecs nous rappellent également qu’il est essentiel de nous assurer que nos convictions et croyances ne nous conduisent pas à être trop sûrs de la justesse de nos actions. Le seul moyen de nous en assurer est de procéder à un ‘Hechbon Néfech (introspection) et à consulter des érudits en Torah qui peuvent nous aider à discerner la véritable voie de la Torah.
[1] Yalkout Chimoni, Yirmiyahou, 285.
[2] Pirké Avot, 4:1.
[3] Rois I, 2:32.
[4] Sanhédrin, 49a.
[5] Voir le texte David et Batchéva 1 pour une discussion de cet incident.
[6] Et Amassa, un autre grand général.
[7] Chaoul poursuivait David qu’il considérait comme un Mored Bémalkhout (qui se rebelle contre le roi) et les Cohanim de Nov hébergèrent David, ignorant que David fuyait Chaoul. En conséquence, il était interdit de les tuer. Or, Doëg écouta cependant les instructions de Chaoul et fit mettre à mort toute la ville. Ceci fut considéré comme une faute extrêmement grave. Voir Chemouël II, chapitre 22.
[8] Voir ci-dessous pour un développement de cet épisode.
[9] Ecrit par Rav Moché Alchikh.
[10] Yalkout Chimoni, deuxième partie, 285, cité dans Michbétsot Zahav, Chemouël II, page 85). La version que nous possédons est différente, mais le Michbétsot Zahav remarque qu’en modifiant un mot, le sens devient le même que celui d’Alchikh.
[11] Il est important de relever, comme toujours, que nos Sages amplifient les fautes des grands personnages du Tanakh, et comme nous l’avons déjà constaté, il est clair qu’Avner était un homme extrêmement vertueux, donc toute critique à son égard est à un niveau subtil, mais est amplifiée par nos Sages pour que nous puissions l’appliquer à notre vie quotidienne.
[12] Chemouël I, chapitre 24.
[13] Yérouchalmi, Péa, 1:1. Un autre exemple d’Avner empêchant Chaoul de se réconcilier avec David est décrit dans le Midrach Chokher Tov, 7:4 et le Yalkout Chimoni, Chemouël II, 3:26.
[14] Béréchit, 35:11.
[15] Sanhédrin, 20a.