Chaque année, à cette période, on parle abondamment du sentiment prédominant à Eloul et de la crainte du jugement en vigueur dans les générations passées, l’atmosphère particulière et sérieuse qui régnait même chez les Juifs simples, en déplorant qu’aujourd’hui, il nous manque tout cela. Cette régression dans ce domaine est-elle uniquement due à l’opacité des sentiments qui provient de la faiblesse progressive des générations ? Dans l’ouvrage Léhitaden Béahavatékha est rapportée une histoire intéressante, qui dévoile un aspect différent de ce sujet.
Une année, à Roch ‘Hodech Eloul, le Roch Yéchiva de Or Israël, le Gaon et Tsadik Rabbi Ya’acov Neiman, s’adressa à un Juif simple de Péta’h Tikva : « Reb Moché, sais-tu qu’aujourd’hui nous sommes Roch ‘Hodech Eloul, c’est bientôt Roch Hachana, le jour du jugement, au cours duquel tous les hommes défilent devant Lui l’un après l’autre… Allons, faisons Téchouva ! »
Le Juif fixa son regard sur le Rav et répondit : « Pardonnez-moi, votre honneur, mais au cours de ma vie, j’ai déjà vécu 63 fois le mois d’Eloul, 63 fois Roch Hachana, et 63 Yom Kippour - et jamais, jamais, je n’ai eu de quoi me repentir ! Je ne suis pas un fauteur !!! A part ça, je suis parfaitement prêt pour Roch Hachana, j’ai acheté toutes les variétés de pommes : Yonathan, Alexandre, Smith, et cette année, j’ai acheté une tête d’agneau plutôt que de poisson… ».
Rabbi Ya’acov comprit à qui il avait affaire… il était impossible de convaincre un tel homme, sa tentative était vouée à l’échec, mais, dans l’enceinte de la Yéchiva, il pouvait s’exprimer, et c’est ce qu’il fit.
Au cours d’introduction, il monta sur l’estrade de la Yéchiva et, du plus profond de son cœur, s’écria : « Rabbénou Nissim Gaon, dans son Vidouï (aveu des fautes) dit ceci : "Maître de l’univers, si j’étais là pour énumérer mes fautes en détail, le temps s’écoulerait et je n’aurais pas fini de les énoncer". Rabbénou Nissim Gaon, un homme d’une sainteté extrême, d’un niveau très élevé, affirme que s’il voulait détailler ses fautes, le temps s’écoulerait avant de les avoir toutes énumérées ! En revanche, cet homme, qui consacre à peine une heure par jour à son monde spirituel, affirme avec confiance n’avoir commis aucune faute pendant 63 ans ! Et il prend ses propos au sérieux, est-ce possible ?? ».
Rabbi Ya’acov donna une réponse simple et claire, mais commençons d’abord par une histoire relatée par le Rav Yé’hezkel Jungreis. Il y a plus de vingt ans, un article dans le journal portait sur une opération initiée par la municipalité de Tel-Aviv dans le but de collecter des vieux objets rassemblés dans les cours des maisons. L’une des cours était particulièrement vaste et appartenait à un vieil homme, résident de la ville, dont l’activité quotidienne, pendant des dizaines d’années, avait été : « collecteur de brocantes ». Le Juif se déplaçait en tricycle pendant toute la journée, faisait les poubelles, fouillait dans les piles de détritus et cherchait sans relâche jusqu’à ce qu’il trouve la vieillerie qui lui plaisait, qu’il mettait dans sa charrette et roulait à toute vitesse vers sa cour pour l’y entreposer. Il travailla péniblement ainsi pendant 30 ans, accumula dans sa cour des piles de vieilleries, dont la hauteur atteignait près de trois étages d’un bâtiment dans un rayon de 300 mètres ! Pour évacuer la cour, la municipalité eut besoin de plus de 150 camions-poubelles !
L’article relatait que lorsque le vieil homme reçut une lettre lui annonçant cette évacuation, il annonça à tout celui qui voulait l’entendre qu’il ne permettrait pas que l’on touche à un seul de ces objets, et qu’on n’essaie pas de le déshériter de ses biens… Au début, il tenta d’empêcher l’évacuation par ordonnance du tribunal, mais en vain. Et à l’arrivée des ouvriers chargés de l’évacuation, il les arrêta avec son corps, tapa des pieds et des mains et tenta de bloquer l’entrée des camions, jusqu’à ce que la municipalité l’arrête par un mandat, ne pouvant résister à une telle opposition féroce…
Au final, l’opération fut un succès et la cour fut totalement dégagée. Elle se transforma au point de devenir méconnaissable, car, à la place du chaos qui régnait, la municipalité envoya des ouvriers qui s’investirent beaucoup pour transformer la cour en un joli espace : on installa de grandes pelouses vertes où poussaient de belles fleurs et de beaux arbres. Un système d’arrosage automatique fonctionnait une fois tous les deux jours et donnait vie à la végétation. On installa également des bancs confortables pour le vieil homme, et le lieu était vraiment plaisant. Au bout de quelques mois, l’un des journalistes décida de retourner chez le monsieur pour voir comment il vivait dans ces nouvelles conditions de vie… Il s’approcha de la cour et que vit-il ? Le vieil homme, assis dans son merveilleux jardin, se délectait de sa beauté. Il s’approcha délicatement de lui et lui demanda comment il se sentait. L’homme lui répondit avec un grand sourire : « Que puis-je dire ?... Il y a une vie après la mort ! Au bout de 30 ans, j’ai eu le plaisir de découvrir que le soleil commence à briller dès cinq heures du matin, et non pas à partir de dix heures, jusque-là, les vieilles bricoles recouvraient la lumière du soleil jusqu’à dix heures… De plus, pendant trente ans, j’ai eu des problèmes de respiration, car les quantités de poussière étaient terribles ici, des serpents et des rats étaient mes invités permanents… et les insectes et les puces emplissaient ma maison par milliers. A présent, je ne souffre plus d’essoufflement, et les serpents et rats ne sont plus là. L’air pur m’emplit les poumons et ma santé est meilleure… En bref, en un jour, j’ai gagné 30 ans… »
Posons-nous la question : où était ce monsieur pendant trente ans ? Ne voyait-il pas que sa cour était bourrée de rats et de serpents ? Ne voyait-il pas que sa maison était emplie d’insectes ? Comment n’avait-il pas senti qu’il vivait dans un dépotoir public ? La réponse est très simple : celui qui vit dans la poubelle ne le sent pas !!! Un éboueur se tient derrière le camion-poubelle rempli de déchets, respire profondément cette odeur de détritus, et pense qu’il n’y a pas d’atmosphère plus pure que cela… Il est tout content en disant : « Qui a besoin de parfum industriel lorsqu’il y a une odeur naturelle de la nature… »
Rav Ya’acov Neiman s’écria : « Lorsque le mauvais penchant vit avec l’homme, il n’est pas son invité, mais il finit par devenir lui-même ! En conséquence, l’homme ne ressent pas du tout que le mauvais penchant se trouve avec lui ! Il est totalement plongé dans ses penchants comme un homme plongé dans des montagnes de déchets dégageant une mauvaise odeur, et ne sent pas cette terrible odeur étouffante ! Imaginons deux femmes assistant à un mariage. Toutes deux portent de magnifiques tenues soignées. Un serveur passe devant elles en tenant à la main un plateau rempli de pommes de terre grillées recouvertes d’une sauce graisseuse de couleur orange… Soudain, le plateau glisse de ses mains et son contenu se déverse sur leurs habits… L’une nettoie les taches avec une serviette et déclare : "Ce n’est pas grave", tandis que la seconde est totalement effondrée ! Pourquoi ? Quelle est la différence entre elles ?
La première était une membre de la famille éloignée et s’était habillée en fonction - de jolis vêtements, mais sans excès, et la tache n’était pas si apparente. De toute manière, elle allait quitter la salle bientôt et personne ne s’en apercevrait… Mais la seconde est la mariée ! La mariée elle-même ! Elle est vêtue d’une robe blanche éclatante comme la neige, et chaque tache de graisse orange défigure affreusement la robe ! Elle est au centre de l’attention, c’est le jour de son mariage, tout le monde fait la fête autour d’elle, et elle a l’air terriblement négligée ! »
Rabbi Ya’acov Neiman explique : « L’âme de Rabbénou Nissim Gaon est pure et éclatante ! La moindre atteinte du mauvais penchant crée chez lui une terrible tache, car il comprend l’essence d’une âme propre, son esprit s’émeut même d’un léger affaiblissement, et il s’écrie vers le Ciel : "Le temps s’est écoulé et la liste des fautes n’est pas finie." Mais un homme tel que ce Juif de Péta’h Tikva n’a pas le sentiment de devoir se repentir… et pourquoi ne sent-il rien ? Il est empli de taches de couleur orange, et les fautes ne se voient pas sur lui en raison de leur grand nombre, et il finit par incarner lui-même la faute ! »