Le Gaon Rabbi Its’hak Zilberstein chlita pose une question intéressante et émouvante dans l’un de ses ouvrages sur le Chass, à propos des Michlo’hé Manot (envoi de présents le jour de Pourim).
Un Juif aisé avait envoyé à l’un de ses amis, lui-même un homme fortuné, un Michloa’h Manot consistant en du pain sur lequel était étalée un peu de confiture. La question était de savoir s’il s’était rendu quitte de la Mitsva par cet envoi… En général, un tel Michloa’h Manot ne faisait pas honneur au bénéficiaire, mais il s’agissait ici d’un cas très particulier. C’était une allusion au souvenir de la destruction, le souvenir d’une fête de Pourim en enfer…
Voici l’histoire : ces deux amis avaient été des compagnons d’infortune dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Tous deux étaient étendus sur leurs planches sommaires, et voici que l’un d’eux envoya à son ami un « Michloa’h Manot » : une tranche de pain sur laquelle étaient étalés les termes « Joie de Pourim » avec de la confiture. Cela relevait du pur prodige. Comment avait-il pu se procurer alors une cuillère de confiture ? On ne peut s’imaginer ce que signifiait alors un tel présent. Les deux amis ont survécu avec l’aide de D.ieu, sont montés en Erets Israël, ont fondé des familles et ont réussi également sur le plan financier. Or, chaque année, le bénéficiaire du Michloa’h Manot au camp de concentration, envoyait à son ami, en geste de gratitude, une tranche de pain tartinée de confiture, indiquant par là qu’il n’avait pas oublié son geste et ne l’oublierait jamais. Cet envoi avait été pour lui un vrai trésor, aussi bien pour son corps affamé que pour son esprit torturé. Le Rav Zilberstein le confirme : avec un tel Michloa’h Manot, il était possible de se rendre quitte…
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Autre histoire sur les Michlo’hé Manot, que j’ai entendue d’un témoin, un très cher ami, le Rav Mordékhaï Chmouel Roshetsky chlita, un assistant du Lev Sim’ha, l’Admour de Gour : « Aujourd’hui, lorsque je t’écris, je lui ai téléphoné à nouveau pour m’assurer des détails, et lui, avec son bon œil et son affection, m’a aimablement répondu. Au terme de la discussion, j’ai été profondément bouleversé. Il m’a fallu quelques minutes avant de pouvoir rédiger ceci, bien que ce ne soit pas la première fois que j’entende ce récit. »
C’était le deuxième Pourim depuis l’entrée en fonction du Lev Sim’ha. De nombreux Michlo’hé Manot affluaient à son Beth Hamidrach rue Ralba’h. On lui envoyait les plus somptueux paquets, contenant les vins les plus onéreux et les plus fins. Le Rabbi distribua la totalité aux autres. Lorsque le Lev Sim’ha arriva chez lui, il trouva un Michloa’h Manot supplémentaire : une bouteille de vin de table et un paquet de biscuits… Il s’intéressa à l’auteur de cet envoi, et on lui répondit qu’il avait été offert par les voisins. Des gens simples, intègres, modestes et malheureux. Le Rabbi demanda que l’on mette ce vin de côté et regretta de ne pas leur avoir envoyé de Michloa’h Manot le jour même. « Pourquoi n’a-t-on pas pensé à eux ?, demanda-t-il. Ils sont nos voisins depuis de longues années. »
Le vendredi soir, le Rabbi demanda qu’on lui apporte cette bouteille de vin. Il voulait réciter le Kiddouch sur ce vin-là… mais il ne se trouvait plus à la maison. Son assistant se justifia et fit remarquer que c’était un « vin simple ». Le Lev Sim’ha s’emporta et déclara : « Du vin simple ? Du vin simple ? Mais c’est du vin de gens brisés. "Les hommes au cœur brisé sont proches de D.ieu !" Ils n’ont rien d’autre et ils le donnent de tout cœur… »
Le Rabbi voulait réciter le Kiddouch particulièrement sur ce vin-là. Il avait donné les vins les plus exquis, les vins les plus anciens. Qu’importait au Tsadik la qualité du vignoble ? Il désirait ce vin-là, car des hommes simples et droits le lui avaient offert de tout cœur, ne pouvant se permettre d’offrir davantage. De plus, c’étaient des gens au cœur brisé qui sont proches du Saint béni soit-Il. On ne peut trouver mieux pour réciter le Kiddouch et réciter les louanges de D.ieu, qui a créé l’univers, sanctifié le Chabbath et béni le septième jour. Et à propos Duquel il est dit : « Sublime et saint est Mon trône ! Mais il est aussi dans les cœurs contrits et humbles. »
Le Rabbi interrogea : « Où est le vin ? » Il recherchait la volonté pure des hommes droits. « Et la joie sur les cœurs droits. » Les géants spirituels ont un tout autre regard. On peut beaucoup apprendre de ce récit, en particulier sur la manière d’apprécier ceux qui sont proches de la Présence divine, des Juifs fidèles accomplissant les Mitsvot le mieux possible en fonction de leurs moyens. Du vin simple, vraiment ??
Inutile d’en dire plus !