La Guémara nous enseigne que le Beth Hamikdach fut détruit parce que les gens étaient exigeants et traitaient les autres de manière trop rigoureuse[1]. Une telle information est difficile à comprendre – on aurait pensé que l’indulgence est une qualité louable, mais pas une obligation et que l’inverse ne mérite pas une sanction si sévère. Pourquoi les Juifs furent-ils punis si durement pour avoir été trop exigeants les uns envers les autres ?
Dans la Paracha de Vaét’hanan, la Torah nous enjoint : « Tu feras ce qui est droit et bon aux yeux d’Hachem, afin qu’Il te fasse du bien (« Hayachar Véhatov ») et tu viendras hériter de la terre qu’Hachem a promise à tes ancêtres. »[2] Ce verset nous apprend qu’il ne faut pas être Médakdek (rigoureux, intolérant), mais plutôt Mévater (indulgent) sur les choses qui nous reviennent de droit dans certaines situations. Par exemple, si l’on trouve un objet perdu qu’il est permis de garder selon la Halakha, mais dont on connait le propriétaire, il convient de le rendre.[3] Autre exemple : si un terrain est à vendre, les acheteurs potentiels doivent donner la priorité à celui qui vit à côté de la propriété, parce qu’il en retirera le plus grand gain[4]. D’une manière générale, il convient d’aller au-delà de la stricte loi.
Si les gens ont du mal à être indulgents, cela montre une certaine faille dans leur 'Avodat Hachem. Rav Its’hak Berkovits explique (sur la base de l’interprétation du Ramban sur le verset précité) qu’un homme peut respecter toutes les Mitsvot, et rester « Ménouval Birechout Hatorah » — cela signifie qu’il fait attention à ne transgresser aucun interdit, mais qu’il ne souhaite pas s’améliorer dans les domaines qui sont « Réchout », comme le fait de manger ou de dormir. Il croit en la véracité de la Torah et est conscient qu’elle doit donc être respectée, mais il ne se soumet pas au mode de vie qu’elle impose – il ne cherche pas à s’élever spirituellement, ses objectifs sont mondains et matériels.
Il en est de même dans les relations interpersonnelles ; l’individu peut savoir qu’il est nécessaire de suivre les commandements de la Torah, sans pour autant vouloir s’imprégner des Hachkafot qu’ils contiennent. Il sera donc toujours conforme à la loi, mais dès qu’il pourra tirer un quelconque bénéfice matériel, il fera tout pour l’obtenir. La Torah nous demande de développer une réelle Ahavat Israël (amour de son prochain) et de considérer l’autre comme on aurait aimé être traité – avec indulgence et compassion. Ainsi, si un objet de valeur a été perdu, il ne faut pas hésiter à le rendre, même si l’on n’en est pas obligé. Aussi, si un indigent doit à quelqu’un une grosse somme d’argent, ce dernier doit agir avec flexibilité et miséricorde.
Ceci nous aide à comprendre pourquoi la sanction fut si sévère quand les Juifs étaient intransigeants les uns envers les autres – ils ne comprirent pas le sens du « Hayachar Véatov » ; il n’est pas permis de traiter son prochain de manière dure et impitoyable, car ceci n’est pas en accord avec le comportement Ben Adam La’havéro exigé par la Torah.
Les commentateurs soulèvent une autre difficulté sur la Guémara qui affirme que le Beth Hamikdach fut détruit à cause de l’attitude rigoureuse des Bné Israël. D’autres Guémarot donnent des raisons différentes, comme le meurtre, l’idolâtrie, la débauche ou la haine gratuite. Rav Its’hak de Volozhin[5] répondit à cette question après avoir été témoin de l’incident suivant. Quelqu’un avait calomnié son ami et était venu, la veille de Kippour, implorer son pardon. La victime refusa de l’excuser, puisque selon la Halakha, on n’est pas tenu de pardonner la calomnie. Rav Its’hak déclara alors qu’Hachem agit mesure pour mesure avec le peuple juif : si ce dernier est Médakdek et n’essaie pas d’aller au-delà de la stricte loi, comment espérer qu’Hachem nous accorde le même traitement et qu’Il pardonne la haine gratuite, le meurtre, l’idolâtrie et l’immoralité ?
Puissions-nous tous mériter de traiter notre prochain comme nous aurions souhaité être considérés et qu’Hachem réagisse pareillement à notre égard.
[1] Baba Métsia, 30b.
[2] Parachat Vaét’hanane, Dévarim, 6:18.
[3] Baba Métsia, 30b.
[4] Baba Métsia, 108a. C’est ce que l’on appelle « Din Débar Metsra ».
[5] Plusieurs autres commentateurs expliquent cette Guémara de cette façon. Parmi eux, le Maharal, le Ben Ich ’Haï (dans Ben Yéhoyada) et le ’Hafets ’Haïm.