Une subtilité sémantique de l’hébreu se retrouve presque semblablement en français, du moins du point de vue phonétique : le terme hébraïque « Sapèr » (formé des 3 lettres, Samekh, Pé et, Rech) implique une idée de récit – quelque chose qu’on raconte (« Sipour » – récit, conte) et une idée de compte (Lispor – décompter). Y aura-t-il un rapport – plutôt phonétique que sémantique – entre « compte » et « conte », comme dans la racine hébraïque Mispar (nombre – chiffre) et Sipour, Séfer (récit – livre). Quoiqu’il en soit de cette affinité apparente ou réelle, il est symptomatique que la sortie d’Egypte aboutisse, par un compte, sur la Révélation. Ce sens du compte donne une dimension nouvelle à l’Exode. A remarquer d’ailleurs que la Torah effectue plusieurs fois des comptes : par exemple, le compte des fils de Yaaבov, à leur départ de chez Lavan, et deux fois le compte des 70 descendants de Yaaבov venus en Egypte (une fois dans Beréchith 46, 27 et une seconde fois au début de Chemot 1, 5). Ensuite, dans le désert, au début des 40 ans, un compte des enfants d’Israël a lieu, et un second compte des enfants d’Israël est effectué avant leur entrée en Canaan (Bamidbar 26, 51). Pourquoi ces comptes? Et, d’autre part, s’agit-il de compter les enfants d’Israël, ou bien les jours, c’est-à-dire le temps : non pas les créatures, mais les créatures dans le temps ? Une première réponse partielle nous est donnée, quand il est écrit dans la Torah que le compte d’un demi-sicle d’argent par personne, utilisé en particulier pour les 100 socles du Tabernacle du désert, doit éviter au peuple tout fléau lorsqu’on le comptera » (Chemot 30, 12). Il apparaît, du moins en filigrane, qu’une certaine négativité, ou peut-être un danger, est lié au compte. Le compte s’inscrit, par hypothèse, dans la pluralité, et par là est opposé à l’Un absolu. Ce qui serait négatif, ce serait de donner au pluriel une valeur absolue, alors qu’il ne peut, par définition, n’être que relatif. A ce stade, il faut distinguer le compte des créés du compte de l’individu pour soi. Au niveau de l’être pour soi, le négatif serait, on l’a dit, de donner une valeur à son moi, mais si le but est la pureté du physique, alors le compte est positif, ainsi qu’on le voit pour les jours de purification, dont il est dit : « Quand elle sera libérée de son flux, elle comptera pour elle sept jours, après lesquels elle sera purifiée » (Vayikra 15, 28). De même, le compte du nombre des peuples de l’univers sera fonction du nombre des enfants d’Israël, comme il est écrit : « Il a fixé les limites des peuples d’après le nombre des enfants d’Israël » (Devarim 32, 8).
A partir de ces données, il convient de comprendre le but du compte des créés, puisque la sortie d’Egypte s’accompagne d’un compte – essentiel pour l’avenir de l’humanité : le compte des 7 semaines du Omer, qui explique quelle est la finalité de la sortie d’Egypte : arriver à la Révélation du Sinaï. Le Gaon de Vilna fait remarquer que le terme « Mispar » - nombre a la même valeur numérique (380) que le terme מצרים « Mitsraïm » - Egypte. Il s’agissait donc, pour le peuple juif, de sortir d’un compte, selon le verset des Psaumes : « Il compte le nombre des étoiles… Son intelligence ne peut être comptée » (Tehillim 147, 4-5). A partir de cette lecture, toutes les questions posées jusqu’ici trouvent une réponse magnifique. Le Rav Moché Chapira, reprenant un enseignement du Gaon de Vilna, base cet événement comptable sur le verset de Yechayahou : « Levez les yeux vers les cieux et voyez Qui (Mi) les (Elé) a créés ». Les deux mots « Mi » et « Elé » forment, selon le Gaon, l’anagramme du terme ELOKIM (mot employé pour le Nom divin dans la « Création du monde »). Pharaon a refusé, au début, de reconnaître Qui est l’Eternel ! (Chemot 5, 2), mais quand les enfants d’Israël sortiront d’Egypte, il doit reconnaître : « Allez servir l’Eternel, comme vous l’avez dit » (Chemot 12, 31). Ils iront reconnaître le MI (valeur numérique 50) pour recevoir la Révélation. C’est cela qu’explique le prophète Yechayahou : « Voyez Qui les a créés ». Comprenons : le but de la sortie d’Egypte, sortir du nombre, pour arriver à un autre nombre, mais ce Nombre (les 49 jours du compte) doit mener à la Révélation du : « Je suis l’Eternel, ton D., qui t’ai fait sortir d’Egypte, d’une maison d’esclavage » (1er des 10 Commandements – Chemot 20, 2). Cette Révélation, but de la Création, conséquence de la sortie d’Egypte, doit en fait être comptée au service de la sainteté. Le compte n’est pas, en soi, une nécessité négative ; au contraire, si le but est de tendre à se rapprocher du Ein-Sof, c’est-à-dire de l’Infini, il devient l’élément essentiel de l’existence. Les comptes deviennent dangereux et négatifs s’ils introduisent l’idolâtrie, le culte de la matière, et oublient Qui a créé le monde. C’est pourquoi la Sefirat HaOmer a pu être une période de joie, mais aussi traversée par une épidémie (qui a frappé les 24 000 élèves de Rabbi Akiva) qui, selon les sages, avait pour but de faire pardonner la faute du veau d’Or – négation de la foi en un D.ieu créateur. Le chiffre n’est pas une valeur en soi, il est le reflet de la culture, et de la civilisation. Notre devoir est, au-delà de l’époque numérique que nous vivons, d’échapper aux dictatures numériques qui s’imposent à nous aujourd’hui. Aucune civilisation n’a été aussi marquée que la nôtre par la soumission à quelques grands réseaux sociaux. Il nous faut aujourd’hui plus que jamais nous libérer de cet esclavage et espérer voir la lumière, au but du tunnel que nous traversons tous. « Levons les yeux vers le haut » traduit l’hébreu : « Seou Marom Eyneykhem ». Ces trois lettres,Sineמ, Mem et ‘Ayin sont les 3 lettres du Chema. En disant chaque jour le Chema, voyons toujours la main du Tout-Puissant. Écoutons la parole de D.ieu, reconnaissons Sa marque dans l’univers, et croyons sincèrement en la venue proche de la Gueoula.