A la fin des sept jours de Soukot, nous concluons cette période de réjouissance par un dernier jour de fête appelé Chemini Atséret ; en ce jour, nous célébrons également Sim’hat Torah, à l’occasion de la clôture des Cinq Livres de la Torah. Quelle la signification de cette fête ? Et n’est-il pas problématique de « mélanger » la joie de cette fête avec celle de la Torah (ein méarvin sim’ha bésim’ha) ?
Selon le Orot Ha’Hag, la réponse réside dans ces lignes du Midrach (Yalkout Chimoni Pin’has, chap. 782) : « Rabbi Alexandri dit : [Cette fête] est à l’image d’un roi qui organisa un festin dans son palais. Pendant les sept jours de festivité, son fils, le prince, se consacra entièrement aux invités. Au terme des sept jours, le roi dit à son fils : ‘Je sais que pendant toute la période des festivités, tu t’es entièrement consacré aux besoins des invités. A présent, je souhaite que toi et moi, nous nous réjouissions pendant une journée entière. Et pour t’épargner de la peine, contente-toi d’apprêter une poule et un morceau de viande.’
De même, pendant les sept jours de Soukot, les enfants d’Israël sont absorbés par les sacrifices des nations du monde ; en effet, comme l’a dit Rav Pin’has, les soixante-dix taureaux que l’on sacrifiait au Temple tout au long de cette fête venaient en regard des soixante-dix nations. (…) Lorsque Soukot s’achève, le Saint béni soit-Il dit à Israël : ‘A présent, Moi et toi allons nous réjouir. Et pour que vous ne peiniez pas trop, Je ne vous demande en sacrifice qu’un taureau et un bouc.’
A cette annonce, les enfants d’Israël se mirent à louanger D.ieu en s’exclamant : ‘Ce jour, l’Eternel l’a désigné, consacrons-le par notre joie et notre allégresse’ (Téhilim 118, 24). Rabbi Avin dit : Mais nous ne savons toujours pas quel doit être l’objet de notre joie pendant cette fête : est-ce le jour lui-même, ou le Saint béni soit-Il ? Le roi Chlomo nous éclaira en disant : ‘C’est en Toi que nous cherchons joie et allégresse’ (Chir Hachirim 1, 4) – c’est en Toi et en Ta Torah, en Toi et en Ta délivrance ! Rabbi Its’hak ajouta : ‘Bakh’ [en Toi] – c’est-à-dire avec les vingt-deux lettres de l’alphabet avec lequel Tu rédigeas la Torah, attendu que ‘beth’ équivaut à deux et ‘khaf’ à vingt. »
Une joie pure et authentique
Ce Midrach soutient donc que Chemini Atséret est une fête pendant laquelle le peuple juif peut se réjouir de manière exclusive de la proximité de D.ieu. Ceci étant, les dernières lignes de ce texte méritent quelques éclaircissements : que signifie le doute quant à « l’objet » de notre réjouissance – le jour même ou D.ieu ? De plus, pourquoi cette question se pose-t-elle précisément à Chemini Atséret ?
D’après le Orot Ha’Hag, la réponse est que pendant toutes les autres fêtes du calendrier, nous célébrons un événement spécifique, qui s’exprime au travers d’une mitsva. Pessa’h est ainsi la période de notre délivrance, et c’est en son souvenir qu’on consomme de la matsa pendant sept jours. Chavouot commémore le Don de la Torah et Soukot les Nuées de gloire qui entourèrent nos ancêtres dans le désert. Chemini Atséret, quant à elle, ne célèbre aucun événement particulier. C’est pourquoi, particulièrement à son sujet, le Midrach s’interroge sur l’objet des réjouissances : ce jour-ci célébrerait-il également quelque événement passé, ou a-t-il une autre signification ?
La réponse à cette question, le Midrach la découvre dans les versets du Cantique des cantiques : « C’est en Toi que nous cherchons joie et allégresse » – la joie de ce jour est purement consacrée à notre proximité avec D.ieu, sans qu’aucun prétexte ne vienne la justifier. Comme le dit le Midrach : « A présent, Moi et toi allons nous réjouir ! »
Or quel est le lien le plus fidèle unissant D.ieu à Son peuple ? Nulle autre que la Torah, comme la célèbre sentence extraite du Zohar : « Israël, la Torah et le Saint béni soit-Il ne font qu’un » (d’après Zohar A’haré Mot 73). C’est pourquoi pour ce Midrach, chercher la joie « en D.ieu » s’exprime « en Toi et en Ta Torah » – car se réjouir avec la Torah est le moyen le plus fidèle de se réjouir avec le Créateur.
Dès lors, il n’y a plus lieu de demander pourquoi mêlons-nous la réjouissance de cette fête avec celle de la Torah. Ces deux supports de joie n’en forment en réalité qu’un, puisque la plus pure expression de réjouissance à l’égard du Créateur réside dans la Torah.
La pluie à Soukot
Nos Sages enseignent que si la pluie tombe pendant Soukot, il s’agit d’un mauvais présage pour le peuple juif. « A quoi cela ressemble-t-il ? demande le Talmud. A un serviteur qui viendrait couper le vin de son maître, et ce dernier lui jetterait la carafe d’eau au visage » (Souka 28/b).
Le Gaon de Vilna nota une ambiguïté dans la parabole de cette michna : pourquoi n’y parle-t-on pas plus simplement d’un serviteur présentant une coupe de vin à son maître, et ce dernier le lui jetterait au visage ? Que sous-entendent l’idée de « couper le vin », et le fait que le maître jette précisément une « carafe d’eau » au visage de son serviteur ?
D’après lui, la réponse réside dans l’idée suivante : nous savons que les Jours de Pénitence – qui s’étendent de Roch Hachana à Yom Kippour – sont une période de Rigueur divine, pendant laquelle l’humanité est jugée. La fête de Soukot incarne quant à elle la Miséricorde divine : avec les nombreuses mitsvot que l’on y accomplit – la souka, les Quatre espèces, etc. –, nous nous efforçons d’assouplir le Jugement scellé à Yom Kippour.
C’est ce qu’évoque le fait que le serviteur « coupe » le vin de son maître avec de l’eau. Ce faisant, il s’efforce d’adoucir l’âpreté du vin et de le rendre plus doux. Lorsque la pluie tombe pendant Soukot, cela n’est pas le signe que D.ieu refuse notre service du tout au tout, mais qu’Il n’entend pas adoucir le Jugement de Yom Kippour. C’est pourquoi Il ne jette pas « le verre de vin » au visage du serviteur, mais bien la « carafe d’eau » avec laquelle ce dernier espérait atténuer l’Attribut de Rigueur.
Contre le aïn hara
On raconte qu’une année, Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev – le « défenseur du peuple juif » – était assis dans sa souka, entouré de nombreux ‘hassidim. Soudain, un violent orage éclata et des pluies torrentielles s’abattirent sur la région. Toutes les personnes présentes dans la souka s’affligèrent à ce constat. Mais Rabbi Lévi Its’hak réagit vivement : « Nous ne devons pas nous attrister à cause de la pluie ! Au contraire, j’y vois pour ma part un signe favorable ! »
A l’étonnement de ses ‘hassidim, il s’expliqua ainsi : « A quoi pourrait-on comparer notre situation ? A celle d’un enfant prodige, que sa mère souhaite à tout prix protéger du mauvais œil. Que fait-elle pour cela ? Sans hésitation, elle lui crache au visage ! De même, aux yeux du Saint béni soit-Il, nous sommes sortis de Yom Kippour purifiés de toutes nos fautes. Mais Il craint que notre état de perfection nous attire le ‘mauvais œil’ : c’est pourquoi Il nous envoie ces pluies torentielles, pour nous préserver des attaques du mauvais penchant… »