L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum, à un prince égyptien, Ankhéfhéni, sensible à la souffrance humaine.
Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.
« Si tu n’étires pas plus l’arc, tu n’arriveras à rien… »
« Qui va là ?! » lança l’égyptien d’une voix sèche et menaçante. Il regardait çà et là, ne sachant pas d’où venait la voix de son interlocuteur.
Quelques instants plus tard, des craquements de branches se firent entendre derrière lui.
Une silhouette élancée se dessina sur le mur. Celle d’un homme agile, au maintien fier et robuste. Le prince égyptien de retourna. L’homme, un esclave hébreu selon toute vraisemblance, avait un regard profond. Bien qu’il se trouva nez à nez avec un égyptien, un prince de surcroît, il dégageait plein d’assurance.
« Que me veux-tu l’hébreu ?! » dit l’égyptien d’un ton dur et méprisant.
« Je ne vous veux rien mon maître, mais à force de vous voir rater vos cibles, je me suis dit qu’un petit conseil serait le bienvenu... »
« Je n’ai nullement besoin de tes conseils l’hébreu, retourne travailler immédiatement, je pourrais te faire tuer ! » lui lança-t-il tout en se retournant vers sa cible de fortune.
« Je ferai selon vos désirs, Maître. Mais si vous comptez vous présenter aux jeux de la capitale, vous risqueriez une sacrée honte avec un tel maniement de l’arc… », dit–il en s’éloignant avec nonchalance.
L’égyptien interloqué se pinça légèrement les lèvres, réfléchit un instant, puis…
« Attends l’hébreu ! Tu prétends savoir manier l’arc ? Je croyais que les esclaves ne savaient rien faire d’autres que des tâches insignifiantes… ? » Sa voix quoique méprisante se trouvait moins belliqueuse à présent.
« Vous croyez beaucoup de choses sur nous, mais vous en savez si peu… Donnez-moi votre arc » rétorqua-t-il le ton un peu las, la main tendue.
L’égyptien se méfiait. Il avait grandi avec l’idée que les hébreux étaient des sous-hommes. Ils étaient nocifs pour la société, dangereux, sournois… toujours aspirant à la vengeance. Comment donner à ce jeune hébreu une arme qui pourrait se retourner contre lui ?
« Que me garantit que tu ne l’utiliseras pas contre moi ? » finit-il par lâcher.
« Rien ! mais dans la vie, il faut savoir prendre des risques… », lui dit-il en le fixant droit dans les yeux, imperturbable.
Étonnamment, la réponse plut à l’égyptien. Peut-être l’insolence qui émanait de son interlocuteur ou son assurance…
Il lui tendit l’arc non sans une pointe d’appréhension.
Le jeune hébreu s’en empara avec une agilité déconcertante. Il enfonça ses pieds dans le sol aride, étira l’arc jusqu’à toucher le bout de son nez, puis sans la moindre hésitation, il décocha la flèche d’un coup sec. Elle se planta à grande vitesse en plein milieu de la cible d’argile que l’égyptien avait confectionnée.
La cible était placée à la distance réglementaire des jeux de la capitale, et le diamètre de la cible était encore plus petit que la taille conforme. Pourtant, son tir était parfait, net et précis. Un véritable expert.
Après qu’il eut achevé son tir, il regarda un instant vers la cible, puis jeta l’arc dans les mains de son propriétaire décontenancé.
« Si je peux me permettre », ajouta-t-il, « vous devez étirer l’arc plus vers vous, jusqu’à toucher le bout de votre nez, puis, bien visser les pieds dans le sol, et surtout assurez-vous qu’ils soient bien parallèles ». Il se dirigea vers la colline qui surplombait la vallée pour regagner son baraquement.
« Attends un instant l’hébreu, peut-être que tu pourrais m’apprendre ta façon de manier l’arc ? », demanda l’Egyptien.
« Vous l’avez dit, j’ai des corvées à faire… », rétorqua l’esclave d’un ton espiègle.
« Si je m’arrangeais pour te faire congédier le temps de m’enseigner, tu serais prêt à m’apprendre le maniement de l’arc ? Je te payerai un prix convenable. »
La proposition était alléchante, travailler pour un salaire, il pourrait acheter de la nourriture pour sa mère et une couverture pour ses petites sœurs… Il resta silencieux le temps de réfléchir. Mais comment serait-il possible de côtoyer un égyptien ? S’il se faisait attraper, ce serait le cachot à coup sûr !
Alors qu’il était plongé dans ses pensées, l’air hésitant, des voix interrompirent ses réflexions. C’était de l’égyptien… Son cœur se mit à battre plus vite. Des gardes qui arpentaient les plaines à la recherche de fuyards hébreux comme lui, il y en avait disséminés dans toute l’Egypte. Ils traquaient les esclaves et les battaient sur place à coups de bâtons cloutés s’ils n’étaient pas sur leurs lieux de travail…
La plaine dans laquelle il se trouvait était un terrain plat et aride qui s’étendait à perte de vue sans la moindre parcelle d’ombre derrière laquelle se cacher. La seule issue était la colline surplombant la plaine, mais c’était de là justement que venaient les voix inquiétantes.
Les voix se rapprochaient. L’hébreu regardait son nouvel acolyte de plus en plus inquiet. Son teint de peau et sa tenue traditionnelle ne tromperait personne. De plus, son égyptien était teinté d’un fort accent cananéen. Le sang des hébreux avait très peu de valeur pour les égyptiens, le menu bétail valait plus cher que le plus robuste des esclaves. Ils les bastonnaient pour se défouler. Le jeune hébreu savait bien que s’il se retrouvait nez à nez avec l’un d’eux, il n’aurait d’autre choix que de subir la pluie de coups qu’ils lui assèneraient sans même pouvoir se défendre, car ils réserveraient le même sort à toute sa famille s’il opposait la moindre résistance.
Son cœur battait à tout rompre, ses jambes tremblaient, son sourire fier s’était transformé en un pincement angoissé.
Ils apparurent. C’était bien deux gardes égyptiens. Deux colosses, torse nu, avec machette et fouet à leurs ceinturons se tenaient devant lui. L’un deux avait une cicatrice qui traversait tout le long du visage, crâne rasé, l’air cruel. L’autre avait le regard vide et froid, il lui manquait toutes les dents de devant, sûrement les séquelles d’une rixe qui avait mal tournée.
Ils ne prêtèrent même pas attention à l’Egyptien qui se tenait au côté de l’hébreu tellement leur stupéfaction était grande, mêlée à leur soif de violence. Ils s’arrêtèrent tous deux un instant sans dire mot, sidérés de croiser un esclave hors de son lieu de corvée.
Les regard cruel : « Mais qu’est-ce que tu fais là vermine, je vais te donner une bonne correction ! »
« Je ne vais faire qu’une bouchée de toi », dit-il, sortant sa machette.
Seulement une vingtaine de mètres séparaient les deux hommes. L’hébreu était immobile, pétrifié, mais il ne manifesta aucun signe extérieur de peur. Tout son corps était tendu, il était prêt à tout…
L’égyptien s’avançait nerveusement les yeux possédés par la rage. L’hébreu, lui, enfonça ses pieds dans le sol, pour assurer la stabilité de sa position, les poings fermés…
C’est alors que très calmement, l’égyptien qui se tenait à côté de l’hébreu pénétra dans le champ de vision du garde. Quelques dix mètres séparaient les deux adversaires.
L’agresseur se figea violemment, immobile. Nez à nez avec l’égyptien. Leurs regards se croisèrent durant moins d’un millième de seconde, cela suffit pour que le colosse abaisse lourdement son genou à terre, le souffle haletant. Son collègue en fit de même.
« P... Prince… », balbutia-t-il. « Je…je ... »
« Silence ! » répliqua l’homme d’un ton glacial. « Comment oses-tu te comporter de la sorte devant ton seigneur ?! »
« Je…je… ». Son fond ruisselait de peur.
« T’ai-je donné la parole, insolent ?! »
« Tu devrais être châtié par le djenen pour t’être emporté de la sorte devant ton seigneur », lui dit-il tout en se rapprochant. « Mais je te laisserai la vie sauve pour cette fois, car tu croyais bien faire ». « Regarde-moi, garde du Pharaon ! » tonna-t-il.
L’homme effrayé leva les yeux vers son seigneur avec soumission.
« Ne dis mot sur ce que tu viens de voir aujourd’hui, sinon c’est de ta vie que tu le payeras. Vas t’en maintenant ! »
L’homme se releva avec déférence, il se maintenait courbé, et s’éloigna face à son maître pour ne pas lui tourner le dos. Une fois hors de portée de sa vue, ils coururent lui et son collègue à toutes jambes dans un nuage de poussières qu’ils laissèrent derrière eux.
Le prince Égyptien n’avait pas lâché son arc durant toute la durée de l’incident. Il était resté très calme, totalement maître de lui-même. Cet épisode n’avait nullement affecté son humeur. Il avait l’habitude de la violence égyptienne ; en Egypte, la plupart des hommes étaient sauvages. Lui était impassible comme toujours. Il était de stature moyenne mais il était toutefois robuste. Il avait le teint mat, typé égyptien, mais plus adouci que l’égyptien moyen.
Son regard était fier et son allure dégageait une grande noblesse. C’était l’un des fils du Pharaon. Son préféré en réalité. C’est avec lui que Pharaon s’entretenait le plus souvent, il était attentif à ses jugements, prenait note de ses conseils. Dans le palais, il était réputé être un homme de paix et de sagesse.
Après que cet épisode fut achevé, le prince tournait encore dos à son interlocuteur. Il avait pris soin de dissimuler ses habits royaux ainsi que les bijoux scintillants qu’il portait d’ordinaire, mais son visage était connu des dignitaires et des fonctionnaires égyptiens. Il se retourna lentement vers l’homme qui se tenait à quelques mètres de lui.
Ce dernier avait le genou à terre, l’échine courbé, il attendait les consignes…
« Relève-toi l’hébreu », lui dit-il d’une voix calme.
L’hébreu sentait qu’il ne risquait rien. Il avait perçu une pointe d’humanité dans le regard impassible du prince. Il se releva, prenant bien soin de ne pas fixer le dignitaire dans les yeux.
« Je m’appelle Ankhéfhéni », se présenta le prince. « Je suis le fils de la troisième femme du Pharaon. Je dirige les arts et la culture de l’Egypte. Tu n’as rien à craindre de moi. » Le ton de sa voix était à présent tout à fait neutre, il parlait comme à son égal.
« Comment te nommes-tu l’hébreu ? » interrogea-t-il.
« Je…je m’appelle Eliakoum, fils de Amitaï de la tribu de Binyamin. » L’hébreu ne décrochait plus les yeux du sol. Il n’avait jamais parlé à un égyptien de sang royal.
« Quel est ta tâche dans le royaume ? », demanda le prince.
« Je suis porteur de pierre, vers la ville de Ramsès, votre majesté ».
Le prince reprit : « Les jeux de la capitale se joueront dans trois mois, et cette fois-ci le Pharaon a décidé que je devais y participer. Je ne suis pas familier au maniement de l’arc, et je ne supporte pas l’arrogance de mes précepteurs. Mais tu vas m’apprendre. Je m’arrangerai pour tu sois en sécurité dans le palais. Demain, lorsque le soleil se couchera, rends-toi à la place de Tamèné qui surplombe le marché. Je t’attendrai dans la galerie des peintures de Shinkorè »
L’hébreu, le souffle encore coupé, répondit : « Mais mon seigneur…Je… je suis un hébreu, comment pourrais-je me rendre à Tamèné...?! »
Le prince lui jeta un regard amusé : « Dans la vie, il faut savoir prendre des risques… Tu te rappelles l’hébreu ? »
La suite, dimanche prochain...