L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.
Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.
Résumé de l’épisode précédent :
Après s’être remis de sa rencontre avec le prince égyptien Ankhéfènie, Eliakoum, le jeune esclave hébreu intrépide retourne dans son baraquement, heureux d’être toujours en vie.
La petite porte en bois du baraquement se mit à grincer.
« Où étais-tu Eliakoum ? Maman s’est inquiétée toute la journée… », lui chuchota Rivka pour ne pas réveiller sa mère et sa sœur qui dormaient à côté.
« J’étais quelque part… d’où je t’ai rapporté un petit cadeau ! », lui répondit-il, le sourire malicieux. Depuis que leur père était décédé sur un des chantiers de travail, c’est lui qui s’occupait de la petite famille.
Il sortit de son châle un morceau de pain sec qu’il fit tournoyer entre ses doigts.
« Génial ! » s’exclama la jeune fille. « J’avais tellement faim aujourd’hui, que je n’arrivais pas à dormir… ».
« Laisses en un peu à maman et à Sarah. Demain, j'essaierai de vous en apporter encore un peu ».
« Ne prends pas de risques Eliakoum, tu sais que la santé de maman est fragile... », dit-elle l’air attristé.
« Ne t’inquiète pas et mange » répondit le grand frère.
« Tu sais », lui dit-elle le pain à la bouche, « Rabbi Aboulkabat Halévy dit que nous sommes très proches de la venue du Machia’h. Tous ces décrets, toutes ces horreurs que nous font subir les Égyptiens… il dit que nous approchons de la fin, Eliakoum… ». Une lueur d’espoir illuminait ses yeux marqués.
« Je l’espère, ma sœur… je l’espère. J’ai entendu dire que les égyptiens envoyaient leurs propres enfants à Goshen pour essayer d’attraper des nouveaux-nés dans le but de les noyer dans le Nil », dit-il le cœur serré. « Faites attention à vous, ne sortez pas du baraquement ».
Elle regarda son frère droit dans les yeux, l’air triste : « Tu crois qu’il viendra ce sauveur, Eliakoum, je doute de plus en plus de la prophétie, mon cher frère. Et si D.ieu nous avait oubliés ?! ? ». Elle attendait l’approbation de son frère.
Son frère posa sur elle le même regard que son père autrefois.
« Je sais que c’est dur à croire, mais nous ne devons pas vaciller Rivka
surtout pas maintenant »
« Je… je ne vacille pas Eli…je me dis juste que nous subissons tellement de malheurs, tout est noir ici à Goshen. D.ieu ne se serait- Il pas rétracté de la promesse qu’Il fit à Avraham notre père ? »
Il se tenait silencieux un instant qui parut interminable. Avant de reprendre.
«Un jour, moi aussi, j’ai demandé à Papa, comment nous pourrions être sûrs que D.ieu ne nous a pas oublié dans cette tourmente. Papa m’a souri gentiment, comme si toutes les vicissitudes d’Egypte ne l’affectaient pas. Il me demanda : “Sais-tu ce que D.ieu promit à Avraham ?« Savoir tu sauras, que ta descendance sera étrangère sur une terre qui (ne sera) pas la sienne. Ils seront asservis, et opprimés pendant quatre cents ans »
« Quatre cent ans Eliakoum, on ne tiendra pas dans cette enfer si longtemps… » Des larmes du désespoir ruisselaient sur sa jeune peau. »
- Un instant Rivka écoute… « Puis D.ieu dit à Avraham « Et aussi la nation qu’ils serviront, je la jugerai. Et ensuite, ils sortiront avec de grands biens. » Sache ma sœur, qu’au moment où ses paroles furent annoncées à Avraham notre père, aucun Hébreu ne connaissait l’Egypte, c’était une une prophétie, que tout le monde peinait à comprendre. Puis au fil, des années, D.ieu articula toute l’histoire et nous voilà ici ma sœur.
- Que veux-tu dire ?
- Je veux dire, que nous sommes les témoins vivant de cette prophétie Rivka, qui s’est réalisé dans ses moindres détails pour le moment. Je
sais qu’elle se réalisera entièrement, et nous serons sauvés « avec de
grands biens ».
- Quatre cents ans Eliakoum, c’est impossible, nous mourrons tous d’ici là…
- Le Rav Aboulkabat Halévi, dit qu’il a reçu de Lévi fils de Yaacov en personne, que le décompte débuta à la naissance d’Its’hak ».
- C’est-à-dire Eliakoum, combien de temps nous reste- t-il ?
- Peu de temps Rivka, peu de temps.
Ella lâcha enfin, lasse. « Tu crois que nous nous en sortirons maman, Sarah, toi et moi ? »
« J’en suis sûr Rivka ! » Il voulait la convaincre, comme son père l’aurait fait autrefois. « D.ieu mettra fin à nos souffrances…Finis ton pain et va te coucher, demain une rude journée nous attend. Et souviens-toi bien que D.ieu est avec nous…N’en doute jamais ! ».
Elle se leva du petit tas de briques d’argile qui leur servait de table à manger et regagna son lit de paille près de sa jeune sœur.
Eliakoum, resté là un instant plongé dans ses pensées, se raccrochant à la foi de ses ancêtres, celle qui dit qu’un beau jour, un sauveur envoyé de D.ieu délivrera le peuple opprimé. Il s’efforçait d’y croire et se battait pour chasser les doutes de son cœur.
De l’autre côté du palais, les festivités battaient leur plein. Un banquet fut organisé en l’honneur de l’anniversaire du prince Ankhéfènie qui fêtait ses trente ans. Sa mère, la troisième reine du palais, était assise en tête de l’immense table dressée en l’honneur de l’anniversaire de son fils aîné. Le prince était assis à sa droite, et tous deux surplombaient les quelques centaines d’invités triés sur le volet, venus de tout le royaume pour se réjouir de la cérémonie royale. Le gratin de la noblesse égyptienne était présent. Les ministres du Pharaon, les astrologues, les mages, les généraux d’armées, tout le beau monde était là. Le Pharaon en personne allait faire son apparition en fin de repas, lorsqu’Ankhéfènie ferait son discours.
C’était le deuxième fils du royaume de Pharaon. Son frère Onèrat, fils de la deuxième femme de Pharaon était tétraplégique ; le royaume s’efforçait de le maintenir à l’abri des regards. Il était la honte de Pharaon.
Ankhéfènie portait en lui les espoirs de la couronne ; son père, l’empereur, le portait en grande estime.
La salle de réception était somptueuse : mosaïque sur les murs, rideaux de soie blanc plongeants, torches en or pur sur les piliers, allumées d’un feu qui semblait rouge vin. Les tables étaient toutes faites en bois de chêne poli, sur lesquelles des gravures en or fin représentaient des divinités égyptiennes. L’odeur des sangliers chauds réchauffait la salle, et les pichets en cristal de vin rouge coloraient les tables…
La soirée était vibrante et les sourires des convives étaient encouragés par les mets exquis des chefs de cuisine. Les courtisans s’étaient vêtus de leur plus beaux habits.
La reine était méconnaissable comme à son habitude sous son épais maquillage de galène, son visage était entièrement peint et ses yeux étaient mis en relief par un trait de khôl noir. Son fils, le prince, était lui aussi maquillé pour l’occasion à la façon royale. Bien qu’il n’aimait pas être maquillé, il s’était prêté au jeu pour les besoins de la soirée.
« Tu as vu Ankhéfènie, tous ces gens sont venus voir le futur Pharaon », lui dit sa mère avec fierté. Elle savait bien que si le trône était promis à son fils, et elle aurait les pleins pouvoirs au royaume.
« Ils sont juste venus déguster la meilleure viande du royaume et boire le plus bon vin d’Egypte », répondit le prince désabusé.
« Regarde-les, mère, ils sont vautrés dans l’alcool, exhibant leurs femmes à demi-nues devant leurs concurrents, ivres jusqu’à n’en plus savoir leur noms... leur comportement est bien loin de la grande Egypte ».
« Arrête tout de suite, Ankhé, ne te mets pas à dos la bourgeoisie, nous avons besoin d’eux pour régner ! ». Elle serrait les dents pour ne pas que se lisent les mots sur ses lèvres.
Il soupira en écoutant les paroles de sa mère, avide de pouvoir. Ils avaient déjà eu cette conversation maintes fois, mais il n’y avait rien à y faire, la reine était obnubilée par la gloire du trône et rien ne l’arrêterait.
Les hommes de la garde royale firent tonner les bruits de tambours annonçant la venue du Pharaon.
Les hommes de la garde du Pharaon entamèrent leur entrée dans la salle, sous les yeux magnétisés des participants qui gardaient un silence de marbre.
Le cor sonna, le public se leva sans un mot. Un beau jour, une personne eut le malheur de laisser échapper une cuillère de ses mains lors d’une des entrées pharaoniques. Le bruit du couvert d’argent sur le sol carrelé lui coûta immédiatement la vie. Cet épisode resta gravé dans les chroniques de la cour.
Deux gardes massifs au visage masqué par des casques dorés gravés en forme de visage humain se placèrent devant le convoi en forme de chambre forte qui abritait le monarque. Deux autres gardes se tinrent des deux côtés de la chambre ambulante, et quatre autres gardes portaient le convoi à bras le corps. Ils le posèrent délicatement sur une estrade de pierre blanche.
La porte s’ouvrit. Les convives retenaient leur respiration.
Il posa sa chaussure faite de papyrus brodé en or fin sur la première marche. Sa robe était cousue en fils d’or blanc, nantie de diamants, elle était rembourrée par d’épaisses couches de tissus qui dégageaient une impression de robustesse.
Pharaon était très petit. Sa taille était complexait l’Egypte. D’ailleurs, il était constamment porté par des gardes sur un grand plateau d’argent en forme d’assiette creuse pour ne pas avoir à se tenir debout devant quiconque.
Son visage était laid, les gens évitaient son regard davantage par dégoût que par frayeur. Ses yeux fuyaient vers le haut. Ses mimiques secouaient tout son visage. Parfois, un rictus absent se dessinait sur son visage. Il fixait intensément les gens, le regard nerveux et agressif. Une aura terrifiante émanait de son être. La peau brune de son visage était craquelée comme celle d’une vieille feuille morte.
Mais ce qui faisait le plus peur chez Pharaon, c’était son caractère imprévisible et sa folie. Lorsque son humeur le lui dictait, il tuait son interlocuteur sur place sans aucun égard. Femmes et enfants, rien ne l’arrêtait. Les gens étaient terrorisés en sa compagnie. Le seul qui était serein en sa présence était Ankhéfènie, son fils.
Pharaon éprouvait beaucoup de respect pour le prince d’Egypte. Il était si différent des autres sujets du royaume. Depuis petit, Ankhéfènie était plongé dans les papyrus et les sciences. Il était un fin stratège de guerre. Par sa tactique de combat, l’Egypte avait battu les Hyksôs qui s’implantaient dans le pays afin d’en faire le siège. Le Pharaon appréciait aussi son fils pour son courage et ses qualités morales dont il manquait lui-même. Plus d’une fois, il le vit tenir tête aux impitoyables astrologues de Pharaon, dont la réputation était d’être des ennemis mortels. Ankhéfènie ne craignait pas les ragots d’Egypte, ni les regards de travers que lui portait la cour, qui ne l’appréciait guère. Ils aimaient la violence et lui représentait la sagesse, ils aimaient les vices et lui prônait le stoïcisme. C’est d’ailleurs pour cela que cette année, ils décidèrent de voter que les membres de la famille royale se prêteraient aux jeux de la capitale, dans le but de ridiculiser le jeune prince.
Pharaon était là, sur sa coupole d’argent, en bout de salle, son sceptre d’or à la main. Il tapa deux fois de sa baguette pour donner l’ordre à son fils de prendre la parole.
Le prince se leva, avança vers son père et se prosterna avant de se relever. Il savait que les regards étaient rivés sur lui, et que les convives attendaient de lui des paroles mondaines et légères. Comme d’habitude, il déçut son auditoire.
« Chers amis », entama-t-il. « Le roi et la reine, ainsi que moi-même vous remercions de vous être joint à nous pour ce banquet ». Il s’arrêta un instant et observa l’assemblée avant de poursuivre. « Jadis, un homme de sang royal se leva sur ce désert dans le but d’enseigner à l’humanité la noble conduite de la noblesse. Ce fut le premier Pharaon. Il bâtit sur ces collines sèches l’Egypte, fédéra des armées, conquit les territoires dans lesquels nous vivons aujourd’hui. Cet homme avait un rêve : que l’Egypte devienne le phare de l’humanité, qu’elle dicte aux hommes la conduite de la vertu et de la morale. Du sang a coulé à flot pour que cet empire voie le jour. Le Nil est rempli du sang des guerriers morts au combat pour cet idéal… ». Les gens se regardaient agacés.
« Que sommes-nous devenus, égyptiens ?! ». Sa voix tonnait. « Où est donc passé notre noblesse d’âme, notre humanité ? Serions-nous devenus ce que nous avons toujours combattu ? Notre devoir envers les nations n’est guère terminé et nous avons pour mission de donner l’exemple aux peuples qui nous entourent… ». Il ne rajouta pas un mot et regagna sa place sous le regard dur de son père et gêné de sa mère.