La lecture des deux Parachiot de cette semaine est toujours émouvante car nous achevons avec elles non seulement le récit du quatrième livre de la Torah mais aussi le récit des pérégrinations des Bné Israël dans le désert.
Au cours de cette Paracha, nous assistons notamment au dialogue étonnant entre deux tribus et Moché Rabbénou. Ces dernières demandent une dérogation afin d’être dispensées de devoir s’installer en Eretz Israël et de pouvoir résider sur la rive orientale du Jourdain, là où les pâturages sont nombreux et plus appropriés pour leur bétail. Voici ce qu’écrit la Torah « Alors ils s'approchèrent de Moïse et dirent : « Nous voulons construire ici des parcs à brebis pour notre bétail, et des villes pour nos familles. Mais nous, nous irons en armes, résolument, à la tête des enfants d'Israël, jusqu'à ce que nous les ayons amenés à leur destination, tandis que nos familles demeureront dans les villes fortes, à cause des habitants du pays. Nous ne rentrerons pas dans nos foyers, que les enfants d'Israël n'aient pris possession chacun de son héritage. » (Bamidbar, 32.16-18).
Les commentateurs n’ont pas manqué de relever l’ordre surprenant dans lequel ces tribus ont indiqué leurs objectifs : construire « des étables pour notre bétail et des villes pour nos familles ». Autrement dit, ils semblent se préoccuper davantage de leur « pâturage » c’est-à-dire de leur situation économique plutôt que de l’éducation de leurs enfants et de leur famille. Moché, dans la réponse qu’il leur adressera, va justement rectifier le tir en disant « Construisez donc des villes pour vos familles et des parcs pour vos brebis, et soyez fidèles à votre parole » (Bamidbar, 32.24).
Ce dilemme entre la préoccupation pour sa situation économique d’une part, et le souci pour l’éducation des enfants d’autre part se pose éternellement à toutes les générations. Tout se passe comme si la Torah souhaitait nous mettre en garde à la veille de l’installation en terre d’Israël : « Vous allez bientôt quitter le cocon protecteur du désert où l’Eternel prenait soin de vous et de vos besoins, et vous allez pénétrer dans la terre d’Israël dans laquelle vous allez devoir travailler et subvenir à vos besoins. Vous devrez alors faire des choix, et définir vos priorités, faites attention à toujours placer votre famille en priorité ».
Finalement nos Sages nous enseignent que les tribus de Réouven et de Gad vont revenir auprès de leurs familles que quatorze années plus tard, respectant leur promesse d’accompagner leurs frères durant la conquête et l’installation dans la terre d’Israël. Toutefois, à leur retour, leurs enfants auront grandi et leur aspect physique, nous dit-on, étaient semblables aux jeunes non-juifs des sociétés environnantes.
Et nos Maîtres d’insister sur l’enjeu fondamental de l’éducation et de sa prise en compte dans les décisions prises par les adultes. En effet, le choix d’un métier, le choix d’une maison, d’un quartier, d’une vile, d’un pays sont bien souvent déterminants dans l’évolution que prendra toute la famille.
Aussi, ne faut-il pas apprécier de telles décisions à la lumière d’un seul paramètre : la carrière, la rémunération, le confort mais il faut pondérer chaque décision au regard de l’ensemble des conséquences que de telle décisions peuvent avoir.
La décision de s’installer sur la rive orientale du Jourdain pouvait se comprendre d’un point de vue économique, et elle pouvait être acceptable sans rompre la solidarité avec les autres tribus. Mais elle supposait de laisser sa famille quatorze années avec toutes les conséquences que cela peut avoir. En mettant au second plan les enfants dans leur discours, ces tribus ont révélé leur mauvaise appréciation sur l’importance de l’éducation, ce qui a été confirmé par leur départ de leur famille durant 14 années.
Comme chacun le comprend, cette question ne se pose pas uniquement pour les tribus de Gad et de Ménaché. Elle se pose à chacun de nous, continuellement, dans les choix et les arbitrages que nous faisons, dans l’ordre des priorités que nous nous imposons, et, enfin, dans la répartition de notre énergie et de nos efforts au quotidien.
La vie matérielle que nous devons mener dans ce monde nous oblige à garder « les pieds sur terre » et à fournir des efforts pour assurer nos moyens de subsistance, nous ne pouvons pas nous en affranchir. Toutefois, il faut s’efforcer d’avancer avec mesure et pondération afin de donner à nos familles toute l’attention et l’investissement qu’elles méritent.
Puisse l’Eternel nous permettre de trouver le chemin le plus adéquat pour relever le défi d’une existence matérielle apaisée qui permette à nos familles de s’élever spirituellement.