Chaque mercredi, retrouvez les aventures de Eva, célibattante parisienne de 30 ans… Super carrière, super copines. La vie rêvée ? Pas tant que ça ! Petit à petit, Eva découvre la beauté du judaïsme et se met à dessiner les contours de sa vie. Un changement de vie riche en péripéties… qui l’amèneront plus loin que prévu !
Dans l'épisode précédent : lors de son premier Chidoukh, Eva a rencontré Michaël, un français de son âge qui étudie dans une Yéchiva. La première rencontre a été très agréable, mais au cours du deuxième rendez-vous, elle apprend que Michaël souhaite passer la moitié de ses journées à étudier la Torah ! Panique à bord...
Michaël venait de me dire de façon naturelle qu’il envisageait d’intégrer un Collel à mi-temps après la Yéchiva. Et j’en déduis qu’il n’envisageait pas de travailler à plein temps !
Pour la working-girl que j’étais, je m’attendais à tout sauf à ça et ça m’avait quelque peu coupé la parole. Il fallait que je trouve quelque chose d’intelligent à dire et vite, pour ne pas lui montrer que j’étais perturbée par ce qu’il venait de dire.
“Ah ok !” (pas trouvé mieux)
Après ça, mon enthousiasme était quelque peu retombé. Même si le reste de la soirée était tout aussi agréable, dans ma tête, il y avait une réunion au sommet : “Alors comment va-t-il faire pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa future famille s’il ne travaille presque pas ? Et quoi, ce serait à la femme de travailler pour faire vivre la famille ?”
Je ne laissai rien paraître de mon tumulte intérieur et lui dit au revoir avec un aussi grand sourire que le sien.
J’étais perplexe : je n’avais jamais envisagé ce mode de vie, et peut-être qu’après tout, il était trop tôt pour l’envisager, on ne s’était vus que deux fois !
Une fois rentrée au séminaire, je racontais ma soirée à Léa et je partageais avec elle mon désarroi :
“Tu devrais appeler la Chadkhanite. Tu lui as raconté ton parcours et tes attentes, elle a dû y penser avant de te le présenter. Moi, je ne suis pas à ta place, pour le coup, c’est un choix très personnel, donc je ne peux pas te dire si tu dois continuer ce Chidoukh ou l’arrêter… Désolée !”
Me voilà pas beaucoup plus avancée. Je mis fin à la réunion dans ma tête et décidai de me repencher dessus après une bonne nuit de sommeil.
Le lendemain, je profitais de mon trajet en bus vers Tel Aviv pour appeler Mme Friedman, la Chadkhanite, parce que Léa avait raison : je devais savoir pourquoi elle avait pensé que ça pourrait coller entre Michaël et moi !
“Oui, bien sûr que je sais que Michaël envisage d’intégrer un Collel à mi-temps après le mariage.
- Alors pourquoi choisir de me le présenter ?
- Parce qu’Eva, je te sens à la croisée des chemins et qu’il m’a semblé que ce serait un choix que tu serais susceptible d’embrasser pour ta vie future.
- Ah oui ??... Euh… Bon… Mais, à vrai dire, je ne sais même pas ce que je souhaite pour ma vie future ! Quand même, c’est un sacré choix de vie... Attention, je n’ai rien contre ! Mais je ne sais pas si c’est fait pour moi.
- Et bien, pourquoi ne pas en discuter avec lui si justement, tu n’es pas décidée ? Il souhaite te revoir, ça pourrait être intéressant d’échanger franchement avec lui sur le sujet.
- Oui, pourquoi pas ?
Après tout, un Chidoukh servait à aborder les sujets importants. Au moins, cette fois-ci, je n’aurais pas l’angoisse de ne rien avoir à dire !
Oh là là, c’était compliqué tout ça ! D’un côté, j’avais vraiment accroché avec Michaël et c’était très agréable d’être en sa compagnie, d’écouter son avis, d’apprendre à le connaître. De l’autre, est-ce que ça valait vraiment la peine de se revoir au risque de perdre notre temps, si nos ambitions étaient si opposées ?
La réponse à ma question, je l’aurais plus tard, parce que là, j’arrivais au terminus à Tel Aviv.
Ah oui, changement de décor ! La gare centrale me rappelait la Gare du Nord, je préférais m’éloigner à pied plutôt que de rester plantée dans cet endroit lugubre à attendre un autre bus.
J’avais repéré que les bureaux de l’agence se trouvaient à quelques pas de la mer, donc je me dirigeai sans trop de peine en direction de mon rendez-vous.
C’est fou ! J’avais l’impression d’avoir changé de pays. Pourtant, je n’étais qu’à une heure et quelques de Jérusalem, mais ici, tout était différent. On aurait dit… Londres avec la mer ! Un mélange de buildings géants et de passants en tongs. Les gens avaient l’air carrément détendus, attablés aux terrasses des cafés avec des styles et des coiffures improbables.
Les rues étaient colorées, j’avais eu peu d’occasions de venir à Tel Aviv dans le passé, du coup, je n’avais jamais imaginé que cette ville puisse être si urbaine et cosmopolite.
L’agence d’évènementiel était 100% israélienne, mais très connue jusqu’en France, parce qu’elle s’était spécialisée dans les start-up. Alors c’était une super opportunité pour moi d’en apprendre un peu plus sur leur façon de travailler.
Je rencontrai Adar et Galit, les fondatrices de l’agence, et notre rendez-vous d’une heure déborda, tant on avait à échanger sur le sujet ! C’était très sympa et stimulant ! Mon cerveau s’était remis en mode “travail” et je débordais d’idées.
En fin de journée, je repris la route pour Jérusalem et, pendant que le bus roulait, j’envoyais déjà un premier compte rendu à Franck, le directeur de mon agence à Paris, qui m’avait demandé cette étude pendant mon congé sabbatique. J’étais excitée de lui décrire tout le potentiel qu’il y aurait pour son agence à développer ce nouveau secteur.
J’étais très absorbée dans la rédaction de mon mail (malgré les secousses du bus) et je ne sais pas pourquoi je levai la tête au moment où les collines s’écartaient pour laisser entrevoir Jérusalem tout en haut. C’était la deuxième fois que je ressentais cela : j’étais absorbée par la magie du spectacle et j’avais l’impression que la sainteté rayonnait dans la ville autour de moi.
Et c’est là que je compris ce que voulait dire la Chadkhanite : la croisée des chemins, c’était Tel Aviv / Jérusalem ! Tel Aviv me rappelait mon univers familier de Paris, de l’agence, une certaine forme de sécurité… et Jérusalem, c’était la spiritualité, la beauté et l’inconnu. Et il était encore trop tôt pour moi pour savoir où serait ma place.
Quand je rencontrais Michaël pour la 3ème fois quelques jours après, il était au courant de mon interrogation par rapport à ses projets et, plutôt que de tourner autour du pot, il me dit dès la première phrase : “Alors comme ça, on a un débat à animer ce soir ?”.
Il avait une façon si gentille de s’exprimer que je ne me vexais pas du tout, c’était même l’inverse. Il avait un peu dédramatisé la situation et miracle, je retrouvai la parole !
Par contre, plutôt que de lui donner mon point de vue d’entrée de jeu, ça m’intéressait de comprendre le sien. Et sans s’en rendre compte, on se mit à marcher le long de la rue Yirmiyahou en direction du quartier de Guéoula.
- J’ai mis plusieurs années avant d’arriver à cette décision. Pour moi, l’étude, c’est essentiel. Ça renforce ma proximité avec Hachem. Et plus j’étudie, plus j’apprends et plus je mets en pratique. Ça m’aide à m’affiner en tant que personne, à travailler mon caractère et mes pensées, mais pas seulement ! Tu sais que c’est la Torah qui tient le monde ? L’étudier le maintient en équilibre. Et c’est merveilleux de pouvoir participer à ce si grand projet.
- C’est beau !
- Ahaha, tu vois, ce n’est pas un concept si éloigné de toi.
- Oui, mais d’un point de vue pratique, ne pas “beaucoup” travailler, c’est se priver de rentrées d’argent. Et comment fonder une famille dans ces conditions ?
- C’est ce que tu penses, mais ton raisonnement est influencé par tes repères “école, travail, famille” qu’on nous a inculqués en France depuis l’enfance. Rassure-toi, ce n’est pas une critique, je pensais comme toi avant de venir ici.
- Et maintenant ?
- Maintenant, j’ai découvert que la vérité est ailleurs. On peut étudier la moitié de la journée et consacrer l’autre moitié à travailler, ça se fait beaucoup ici. Et ce qui est sûr, c’est qu’en étudiant la Torah, tu reçois un flux de bénédictions qui dépasse toute logique.
- Je vois.”
J’étais touchée par ce qu’il m’expliquait. Il parlait avec le cœur et c’était très fort. Mais peut-être pas assez pour vaincre mes craintes (est-ce qu’un travail à mi-temps ce serait suffisant pour une famille ?). A ce stade de la rencontre, même si je n’avais aucun doute sur le fait que j’appréciais Michaël, je ne me sentais pas capable de décider si je serais partante pour ce type de vie qui me paraissait si éloigné de moi. Si je disais oui maintenant, peut-être que quelques années plus tard, je me sentirais étouffée par ces mêmes choix ?
“A la croisée des chemins”, cette expression tournait dans ma tête toute la fin de la soirée. La Chadkhanite avait juste oublié de me dire que les chemins étaient escarpés ! Après avoir quitté Michaël, je décidais de rentrer à pied jusqu’au séminaire, j’avais besoin d’air. Tout le long du trajet (qui me prit près de deux heures), je me faisais un film en noir et blanc sur les étapes passées de ma vie, pour essayer de comprendre comment envisager le futur…
Le lendemain matin, j’appelai la Chadkhanite : “Mme Friedman ? Bonjour, c’est Eva, j’ai bien réfléchi et je voulais vous faire part de ma décision”...
La suite, la semaine prochaine…