La Paracha de cette semaine, Tsav, poursuit la description des différents types d’offrandes entamée la semaine dernière dans la Paracha de Vayikra. La Torah nous montre ainsi qu’il existait des offrandes différentes selon les fautes que l’homme pouvait commettre : des fautes par l’acte ou par la pensée, des fautes volontaires ou involontaires etc. Chaque type de fautes correspondait à une offrande (Korban) appropriée.
En outre, la procédure avec laquelle on apportait l’offrande sur l’autel variait selon les fautes commises. Parfois, les offrandes n’étaient pas liées à des fautes, mais simplement à une volonté de témoigner sa reconnaissance à Hachem pour des miracles que les hommes vivaient, ou pour des nouvelles particulièrement bonnes qui les emplissaient de joie et suscitaient en eux une volonté de témoigner leur gratitude au Créateur.
Parmi les différents types d’offrandes susceptibles d’être apportées à Hachem, le Korban « Ola » tient une place particulière pour différentes raisons. La racine du terme Ola renvoie tout d’abord à l’idée de monter, de s’élever. De fait, l’offrande Ola devait être entièrement consumée sur l’autel, il ne devait plus rien en rester, contrairement à d’autres sacrifices qui pouvaient être consommés en partie par le Cohen, et parfois également par celui qui apportait l’offrande. En outre, ce sacrifice était particulier car il concernait les fautes commises par la pensée et non matérialisées par une action.
Les règles relatives à ce Korban Ola sont introduites par l’injonction faite à Moché Rabbénou « d’ordonner » à Aharon et à ses fils les règles relatives à ce sacrifice, verbe qui donne son nom à notre Paracha Tsav (ordonne). Rachi commente l’usage de ce terme de la manière suivante :
Ordonne (Tsav) à Aharon : Le mot Tsav implique toujours une idée de zèle, pour maintenant et pour les générations à venir. Rabbi Chimon a enseigné : Le texte incite à d’autant plus de zèle qu’il y a risque de perte d’argent (Torat Cohanim).
D’après la lecture de Rachi, il était important d’employer ce terme (ordonne) afin de stimuler les enfants d’Israël à accomplir ce commandement, et faire échec à une forme d’inertie ou d’absence d’enthousiasme liées aux dépenses financières occasionnées pour ce sacrifice.
En effet, selon Rachi, dès que les hommes sont confrontés à un commandement générant une perte financière, ils perdent leur enthousiasme et il est nécessaire de les stimuler. Ici, la perte financière était significative car d’une part, le Korban Ola devait être apporté de manière quotidienne dans le cadre du service du Temple, et d’autre part, la perte financière était totale puisque le Korban devait être entièrement consumé.
Bien sûr, cette observation de Rachi peut se lire à différents niveaux. Elle invite notamment à réfléchir à l’idée que le service divin passe par des actes concrets, matérialisables, qui ont une valeur monétaire et ne se résument pas simplement à un élan du cœur, à une volonté intellectuelle de se rapprocher d’Hachem. L’homme est davantage à l’aise avec cette conception qui confine le domaine du spirituel à l’univers de la pensée et du cœur, et qui n’a pas d’incidence matérielle. Le spirituel appartiendrait ainsi au domaine de l’esprit, de la relation que l’homme entretient avec D.ieu, et le matériel se rapporterait au monde de la vie économique et concrète.
Evidemment, la vision du judaïsme est plus exigeante. Elle refuse ce dualisme de confort qui pourrait rapidement devenir une forme de schizophrénie, où l’homme divise sa vie entre une dimension matérielle et une dimension spirituelle. La Torah invite l’homme à percevoir l’unité de sa vie et la continuité qui existe entre le monde matériel et le monde spirituel.
Là réside notamment le sens des commandements (Mitsvot) qui invitent l’homme à introduire du spirituel dans les actes matériels afin de créer une unité dans son existence. Les Mitsvot s’appuient bien souvent sur des actes concrets, des actions ou bien des abstentions d’action, pour créer un lien avec Hachem.
Le Korban Ola dont il est question dans le début de la Paracha est précisément l’incarnation de ce principe. A l’origine, il est matériel, mais il va se consumer toute une nuit et monter en intégralité vers le ciel. Il établit un lien direct et complet entre le ciel et la terre, la matière et le spirituel.
Il est possible d’aller encore plus loin dans cette réflexion en rappelant, comme nous l’avons vu, que cette offrande Ola concernait les fautes commises non pas par les actes, mais par la pensée. Il s’agissait donc d’expier toutes les mauvaises pensées, les pensées impures. Or, bien souvent, l’homme a tendance à considérer que seuls les actes comptent, et qu’il convient de demander pardon uniquement pour les résultats concrets de ses pensées. Là encore, la Torah est plus exigeante. Elle exige de l’homme une cohérence intérieure comme extérieure, « Tokho Kébaro » (c’est-à-dire que l’homme doit être aussi vertueux à l’intérieur qu’à l’extérieur).
La vertu morale d’un homme ne se juge pas seulement à l’aune de ses actes, mais également à l’aune de sa vie intérieure, des pensées qu’il s’autorise à laisser naître en son cœur, de ses intentions et de ses envies. Bien sûr, contrôler ses pensées n’est pas un exercice aisé, et il est déjà bien d’arriver à censurer ses pensées pour éviter qu’elle ne devienne des actes. Mais l’horizon de la grandeur humaine ne s’arrête pas là.
L’homme peut espérer atteindre un niveau encore supérieur où, grâce à des efforts constants et réguliers, il parviendra même à ne faire éclore en lui que des pensées pures et élevées.
Il est d’ailleurs significatif que cette offrande doive brûler durant la nuit, car ce sont précisément ces heures qui sont propices aux pensées immorales. Durant la nuit et les périodes de vie où le Yétser Hara nous assaille, nous devons essayer de faire brûler nos mauvaises inclinaisons sur l’autel de notre foi inébranlable en Hachem, grâce à l’antidote précieux qu’Il nous a donné : l’étude de la Torah. Armés de cette force invincible, non seulement nous ferons échec aux forces mortifères qui essaient de nous piéger, mais en plus, nous les laisserons se consumer jusqu’au dernier gramme à l’image de ce Korban Ola.
La vocation de l’homme va ainsi bien au-delà de ses réalisations matérielles. Sa grandeur se mesure notamment à travers le travail intérieur qu’il parvient à exercer sur lui-même, un travail concret, matériel et objectif, même s’il est invisible de l’œil. De cette façon, l’homme parviendra peut-être à accomplir un des enjeux de sa vie sur terre, comme nous l’enseigne le prophète Jérémie (ch. 9, 22-23) à la fin de notre Haftara :
« Ainsi parle l'Eternel : "Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le vaillant ne se glorifie pas de sa vaillance, que le riche ne se glorifie pas de sa richesse ! Que celui qui se glorifie ne le fasse uniquement de ceci : d'être assez intelligent pour Me comprendre et savoir que Je suis l'Eternel, exerçant la bonté, le droit et la justice sur la terre, que ce sont ces choses-là auxquelles Je prends plaisir", dit l'Eternel ».