« Je Me souviendrai de Mon alliance avec Yaacov, et de Mon alliance avec Its’hak et Je Me souviendrai aussi de Mon alliance avec Avraham… » (Vayikra 26,42)

Rachi demande pourquoi les Patriarches sont mentionnés dans un ordre antichronologique. Il explique que si le mérite de Yaacov, qui est le plus « petit » des Avot ne suffit pas, celui d’Its’hak aidera, et si même celui-ci n’est pas suffisant, le grand mérite d’Avraham conviendra. Ainsi, Yaakov est mentionné en premier, car les Patriarches sont classés par ordre ascendant de mérites.

Rav Méir Chapira[1] propose une autre réponse. Nos Sages enseignent que chacun des Patriarches incarnait une qualité particulière : Avraham excellait dans le ’Hessed (la bonté), Its’hak personnifiait la Avoda (le service divin) et Yaacov représentait la Torah.

Il fut un temps où les Juifs, en dépit de l’exil et de ses difficultés, étaient méticuleux dans ces trois domaines. Mais, au fil des années, l’étude de la Torah est devenue moins importante aux yeux de la nation, et de moins en moins de Juifs furent capables de s’y consacrer pleinement, à cause des persécutions et de la nécessité de subvenir à leurs besoins. Les garçons allaient généralement au ’Héder (Talmud Torah) jusqu’à leur Bar Mitsva puis, ils quittaient les bancs de l’école pour apprendre un métier et aider leur famille à joindre les deux bouts. Rares étaient ceux qui continuaient à se consacrer à la sainte Étude.

Pourtant, même durant de telles périodes, bien que la Torah ne fût pas autant étudiée, les Juifs s’accrochaient à un autre pilier – celui de la prière. Les racines de la Avoda s’avérèrent plus profondes que le dévouement intellectuel difficile pour l’étude. Si la Guéoula avait dû arriver à une telle époque, cela aurait été par le mérite de la prière – par le mérite d’Its’hak Avinou.

Mais l’exil persista au point que même la force de la prière diminua. Ce fut tout d’abord, à cause de la charge de travail ; les gens faisaient moins attention à prier en présence d’un Minyan. D’autre part, la Kavana (concentration) dans la prière semble s’être détériorée. La Halakha stipule d’ailleurs que de nos jours, on évite de refaire une prière qui manquait de Kavana, car on ne peut garantir que la suivante sera meilleure[2].

Cependant, l’un des trois attributs restera éternellement celui du peuple juif – celui qui caractérise Avraham Avinou, le ’Hessed.

Rav Issakhar Frand souligne qu’il existe des Juifs qui n’ont aucun lien avec la Torah ni avec la Avoda. On ne les voit jamais dans les synagogues ni dans les maisons d’étude. Mais ils prennent l’initiative d’ouvrir des hôpitaux, des orphelinats ou toutes sortes d’organisations caritatives. Cela concorde avec l’interprétation de Rav Chapira sur le verset susmentionné de la Paracha : Je souhaite délivrer le peuple juif par le mérite de la Torah (attribut de Yaacov) ; sinon, par le mérite de leur dévouement dans la prière (la qualité d’Its’hak) ; sinon, Je les délivrerai au moins grâce à leur ’Hessed (spécificité d’Avraham). »

Rav El’hanan Wasserman évoque également cette idée[3]. La Guémara[4] cite le verset : « Et Je ferai de toi une grande nation, et Je te bénirai, et Je grandirai ton nom, et sois une bénédiction. »[5] Elle explique que « Je ferai de toi une grande nation » fait référence au fait que nous disions « D. d’Avraham » dans la prière, « Je te bénirai » se réfère au fait que nous mentionnions « D. d’Its’hak » et « Je grandirai ton nom » correspond à la mention du « D. de Yaacov ».

 On aurait pu penser qu’il convient de mentionner le nom des trois Patriarches dans la conclusion de la bénédiction – Maguen Avraham, Its’hak Véyaacov. Mais le verset conclut « Et sois une bénédiction » — ce qui prouve que c’est par ton nom (Avraham) que l’on conclura la bénédiction et non avec la combinaison des trois noms.

Rav Wasserman souligne que les mots « c’est par ton nom que l’on conclura » montrent qu’à la fin des temps, quand il s’agira de « conclure l’Histoire », la rédemption finale viendra grâce à l’attribut de ’Hessed (celui d’Avraham) et non de Torah ou de Avoda. Ceci, conformément au commentaire de Rav Chapira affirmant que le ’Hessed sera le domaine dans lequel nous pourrons encore nous distinguer.

Cette idée est particulièrement parlante ces derniers temps, alors qu’une crise sans précédent affecte le monde depuis quelques mois. Pour la première fois, autant qu’on s’en souvienne, les maisons d’étude et les synagogues ont été fermées, ce qui rend les deux premiers piliers du monde particulièrement difficiles à consolider[6]. Mais le ’Hessed reste le domaine dans lequel l’opportunité d’exceller est la plus marquée. Les personnes ayant besoin d’aide ne manquent pas, et ce, dans divers domaines. D’ailleurs, de nombreuses anecdotes montrent l’immense Kidouch Hachem que les Juifs firent en aidant les autres. Un étudiant de Yéchiva acheta des rouleaux de papier toilette et les offrit à des inconnus qui étaient en manque. En outre, des centaines de Juifs firent don de leur sang, à New York, pour pouvoir venir en aide aux malades. D’autres se sont simplement mis en contact avec des gens dont ils n’avaient plus de nouvelles, ou encore offrirent des jeux ou des livres que leurs enfants n’utilisaient plus, ou bien proposèrent de livrer des  plats aux personnes âgées ou aux malades…

Si nous parvenons à exceller dans la qualité de ’Hessed en cette période difficile, nous jouerons un rôle important dans l’avènement de la Délivrance.

 

[1] Rapporté par Rav Issakhar Frand.

[2] Dans un tel cas, il convient de consulter un Rav compétent.

[3] Rapporté par Rav Issakhar Frand au nom de Rav Yaacov Its’hak Ruderman.

[4] Pessa’him 107b.

[5] Béréchit 12,2.

[6] On sait que plus la difficulté est importante, plus le salaire sera grand – l’individu aura un grand mérite pour les efforts fournis dans l’étude ou la prière, surtout quand cela lui est difficile. On veut néanmoins souligner ici qu’objectivement, le niveau de l’étude de la Torah et de la prière a régressé à cause de la situation actuelle.