« Quand il y aura parmi toi un indigent, d’un de tes frères, dans l’une de tes portes, dans ton pays qu’Hachem ton D.ieu te donne, tu n’affermiras pas ton cœur et tu ne fermeras pas ta main à ton frère indigent. Mais ouvrir, tu ouvriras ta main et prêter, tu prêteras assez pour son manque qui lui manquera. » (Dévarim 15,7-8)
La Torah nous enjoint de donner la Tsédaka et ce commandement se conclut par une expression énigmatique, à savoir qu’il faut donner à l’indigent « ce qu’il lui manque ». Rachi explique brièvement, sur la base d’une Guémara[1], qu’il faudrait même donner au pauvre un cheval à chevaucher et un domestique pour courir devant lui. La Guémara précise que normalement, il n’est pas nécessaire de donner tant d’argent et que l’indigent devienne riche, mais il suffit de lui donner ce qu’il lui manque, c’est-à-dire satisfaire ses besoins élémentaires. Ainsi, si une riche personne fait faillite, la Torah nous enjoint de combler son manque ; ce qu’elle avait quand elle était aisée[2]. La Guémara le prouve en rapportant le cas d’un homme qui avait l’habitude de chevaucher un cheval et d’avoir des domestiques qui courraient devant lui. Quand il perdit toue sa richesse, Hillel récolta des fonds pour lui payer le loisir de chevaucher sur un cheval et d’avoir des gens qui courent devant lui. Une fois, il n’y avait pas de domestique disponible et c’est Hillel lui-même qui se mit à courir devant le pauvre homme, bien qu’il fût un grand Talmid 'Hakham.
Les commentateurs posent une question sur l’attitude de Hillel. À propos des lois de Hachavat Avéda (restituer un objet perdu), la Guémara dans Baba Metsia évoque le principe de « Zaken Vééno Léfi Kévodo », qui signifie qu’un Talmid 'Hakham est dispensé de cette Mitsva si le fait de restituer l’objet perdu n’est pas digne pour un Talmid 'Hakham – par exemple, le fait de rendre une brebis égarée. Le Roch[3] tranche que le Talmid 'Hakham n’est pas seulement exempté de cette obligation, mais il lui est interdit d’aller au-delà de la stricte loi et de décider de restituer l’objet ou l’animal égaré, parce que cela serait une dégradation de son statut. Dans ce cas, comment Hillel se permit-il de courir devant le pauvre à la place des domestiques – n’était-ce pas une dérogation à son noble titre de Talmid 'Hakham ?!
Rav ’Haïm Chmoulevitz explique que ce besoin de l’indigent d’avoir un cheval et des domestiques qui courent devant lui provient des honneurs que cela lui procurait. Normalement, il aurait été interdit qu’Hillel se rabaisse en courant devant un homme, quand bien même c’était pour accomplir la Mitsva de Tsédaka. Mais ce besoin de Kavod était tel qu’il s’agissait d’un cas de Pikoua’h Néfech. Hillel craignait qu’en ne satisfaisant pas ce besoin de Kavod, la vie de l’homme soit en danger. Il lui était donc permis de se rabaisser de la sorte pour un acte normalement interdit.[4]
Ainsi, nous déduisons de l’enseignement du Rav Chmoulevitz à quel point le Kavod est important – il nous rappelle que même lorsque l’on donne la Tsédaka, il a priorité sur l’acte ou la somme que l’on alloue. Nous avons déjà parlé du ’Hessed exemplaire du Rav Chimchon Pinkous. Il donnait toujours généreusement aux autres, mais restait très sensible à l’honneur de celui qui recevait son service.
Une fois, quelques dirigeants communautaires récoltèrent des fonds pour une famille qui avait traversé de nombreuses épreuves et qui se trouvait dans une situation financière des plus délicates. Quand la famille dut déménager et aller s’installer dans une autre ville pour une courte période, ces dirigeants communautaires voulurent profiter de l’occasion pour faire une grande campagne de Tsédaka et pour informer les gens de leur terrible situation, afin de récolter l’argent nécessaire. Ils allèrent demander conseil au Rav Pinkous et furent surpris par sa réaction : « Ils auront extrêmement honte. Comment peut-on faire une telle chose ? Cette famille vit de terribles épreuves et tout le monde saura exactement de qui on parle. Ils ne pourront plus jamais regarder les gens en face ! » Rav Pinkous montrait que la Tsédaka ne doit jamais se faire aux dépens du respect dû à autrui et que chaque Mitsva doit être pesée sur la balance de la Torah, avec la plus grande sensibilité pour les besoins de nos frères.
Puissions-nous tous mériter d’émuler les exemples de Hillel et du Rav Pinkous.
[1] Kétouvot 67b.
[2] Rav Its’hak Berkovits estime que cette Halakha ne signifie pas que l’on doit continuer de soutenir l’indigent de façon permanente, mais jusqu’à ce qu’il s’adapte à sa nouvelle situation.
[3] Baba Metsia, chapitre 2, Siman 21.
[4] Rav Eliachiv propose une réponse tout à fait différente. Il explique que Hillel cacha son identité quand il courut devant le pauvre. Selon lui, l’interdit pour un érudit d’aller au-delà de la stricte loi ne s’applique que lorsqu’il est évident que ce dernier accomplit une Mitsva, comme c’est le cas de Hachavat Avéda, parce que les gens risquent de penser que ce Talmid 'Hakham agit indignement sans raison particulière. Mais si l’on ne sait pas qui accomplit la Mitsva, si l’on ne voit pas qu’il s’agit d’un érudit, il n’y a pas lieu de craindre que son Kavod, ni le Kavod de la Torah, ne soient dégradés.