Un fondement récurrent de la pensée 'Hassidique met en relief le fait que tout acte et toute démarche doivent être menés sous l’emprise et la vigilance de l’esprit. Dans le « Séder Hayom », une sorte d’« Emploi du temps » écrit par l’Admour, rabbi Acher de Stoulin, on peut ainsi lire : « [Il faut ] faire preuve de Yichouv Hada'at [mesure et pondération] avant chaque chose - que ce soit un acte ou une parole -, comme le disent nos Sages : ‘Qui est posé acquiert la sagesse.’ »
Ce principe est considéré par le Sfat Emet comme l’une des pierres angulaires de tout notre Service divin et il englobe selon lui tous les aspects de la vie d’un homme. Il put ainsi écrire à ce titre : « Lorsqu’un homme réprime ses désirs personnels pendant sa vie grâce à sa mesure et sa pondération, c’est la chose la plus belle qui soit ! C’est à ce sujet qu’il est dit : ‘Une heure passée - dans ce monde-ci - dans le repentir et les bonnes actions est plus belle que toute la vie du Monde futur !’ ». Et, toujours selon le Sfat Emet, cela signifie que même la formidable Mitsva de « sanctifier le Nom de D.ieu » ne saurait surpasser ces efforts mus par la réflexion, la ténacité et la persévérance !
L’accomplissement des Mitsvot
Cette vertu est particulièrement requise pour l’accomplissement concret des Mitsvot. Et ce, pour éviter à tout prix qu'elles ne soient réalisées machinalement et par habitude. C’est ainsi que le Sfat Emet expliquait au nom de son grand-père, le ‘Hidouché Harim, la sentence talmudique (Traité Chabbat, page 23/b) : « Celui qui est méticuleux dans la Mitsva de l’allumage des bougies aura des fils érudits ». Car cet allumage signifie « amener une lumière dans la routine, c'est-à-dire ne pas accomplir les Mitsvot uniquement à cause de l’habitude, mais uniquement de manière lucide et réfléchie. Car l’intellect et la sagesse ne vieillissent point et ne subissent pas l’effet de l’accoutumance ».
D’après cet auteur, c’est en ce sens qu’il est dit d’Avraham : « Il était assis [Yochev] à la porte de la tente », (Béréchit, 18, 1). Cette position « assise » renvoie en fait à une idée de réflexion [Yichouv Hada'at], car avant qu’il ne pratique la circoncision, l’amour qui l’animait ne pouvait s’exprimer convenablement et l’empêchait de trouver la sérénité. Mais après qu’il se soit circoncis, il put connaître un meilleur niveau de pondération, si bien que l’amour qui l’emplissait se posa et se stabilisa définitivement en lui.
Une pondération diligente !
Précisons néanmoins que la pondération n’est pas nécessairement synonyme de réflexions longues et étendues dans le temps… On peut en effet concevoir une pondération qui soit bel et bien zélée : on raconte ainsi que le Sfat Emet avait dit un jour que pour lui, mûrir une réflexion ne prenait pas plus de temps que celui d’aller de la table au fourneau…
On peut également lire dans le Chem Michmouel au nom du Admour de Kotsk : « On lui demanda un jour ce qui différencie un homme pondéré d’un fainéant, car de prime abord, rien ne les distingue... Il avait répondu que l’homme pondéré n’est mû que par la réflexion, et c’est pourquoi il ne s’empresse pas d’agir. Chez le fainéant, on trouve le phénomène inverse : il tarde à réfléchir à ses actes, et c’est pourquoi il agit finalement sans pondération », (Béréchit, page 37).
En ce sens, le Yichouv Hada'at ne consiste pas à peser et soupeser mille fois chaque chose avant de l’accomplir. Au contraire, cette vertu consiste précisément à agir, mais simplement sous l’influence et l’autorité de la pensée. Comme le résume le Sfat Emet, « avant chaque action qu’un homme accomplit, il doit la juger et s’efforcer de discerner la vérité grâce au Yichouv Hada'at, en tournant la question sous tous ses angles (…). Car c’est en évitant d’agir sous l’impulsion du cœur et en essayant de toujours voir l’aspect contraire des choses - attendu que le bien s’y trouve peut-être - , que l’on parvient à la vérité… » (sur Choftim 5633).
Dans la précipitation…
Ces semaines-ci, les Parachiot de la Torah relatent le processus qui mena à la délivrance du peuple d'Israël de l'Égypte. Dans ce contexte, nous conclurons cette étude par une remarquable explication émise par le Sfat Emet quelques semaines avant son décès et rapportée fidèlement, de bouche à oreille, jusqu’à ses actuels héritiers spirituels...
Concernant la sortie d’Égypte, le verset dit « Car tu sortis précipitamment d’Égypte », (Dévarim, 16, 3). Ce que Rachi commente ainsi : « Cette précipitation n’était pas de ton fait, mais était due aux Égyptiens, comme il est dit : ‘Les Égyptiens firent violence au peuple en se hâtant de le chasser d’Égypte’, (Chémot 12, 33) ». Le Sfat Emet se posa la question : « Que nous importe donc de savoir qui fut la cause de cette précipitation… Alors pourquoi Rachi met-il l’accent sur ce point ?".
Le Sfat Emet répondit que la précipitation, par essence, est une mauvaise attitude, car rien ne devrait être accompli sans réflexions mûres et sans une profonde pondération. Par conséquent, la sortie d’Égypte aurait dû au contraire se dérouler dans un climat de Yichouv Hada'at. Et si tel avait été le cas, cette rédemption eût constitué la délivrance ultime et définitive du peuple hébreu. C’est donc par la faute de cette regrettable précipitation - justement suscitée par les Égyptiens eux-mêmes - que la rédemption fut finalement partielle et atrophiée…
Quant à la Rédemption finale, que nous attendons pour très prochainement, il est dit à son sujet : « Car ce n’est pas dans la hâte que vous sortirez ! », (Isaïe, 52, 12). Bien au contraire, comme l’annonce cette autre prophétie (ad loc. 30, 15), « c’est dans la quiétude et la sérénité que vous serez délivrés : le calme et la confiance seront votre force ».