La Paracha de cette semaine, celle du don de la Torah, commence en nous racontant qu’Yitro se joignit au peuple juif et proposa un nouveau système juridique qui fut approuvé par Hachem. Le Or Ha’haïm[1] se demande pourquoi cet incident est placé juste avant le don de la Torah, d’autant qu’il semble indiquer un manque d’intelligence de la part du peuple juif qui eut besoin des conseils d’un non-juif pour mettre en place un système juridique convenable.
Il répond qu’Hachem voulait montrer, précisément avant Matan Torah, que l’intelligence et la compréhension ne sont pas réservées uniquement au peuple juif. Pourquoi est-ce un enseignement si important ? Parce que l’on pourrait penser que le peuple juif fut élu (pour recevoir la Torah) grâce à cette faculté hors du commun, parce qu’il est plus sage que les autres nations. La Torah met l’accent sur l’ingénieux conseil d’un non-juif qui fut accepté par le peuple juif. Alors pourquoi avons-nous été choisis ? Du fait de l’amour d’Hachem à l’égard de nos Patriarches, et de la bonté divine.
Rabbénou Bé’hayé[2] note que quand la Torah évoque la grandeur des Patriarches, de Moché Rabbénou ou du roi David, elle ne parle pas de leur sagesse, mais plutôt de leurs extraordinaires traits de caractère. On fait l’éloge de la bonté d’Avraham, de l’intégrité de Ya'acov, de l’humilité de Moché…
C’est un enseignement de taille, d’autant que l’on met souvent l’accent sur l’intelligence innée des Juifs. Il est vrai que dans les domaines laïques, les Juifs excellent souvent. Les Juifs ayant reçu un Prix Nobel sont presque deux fois plus nombreux que les non-juifs. Mais le Or Ha’haïm et Rabbénou Bé’hayé nous apprennent que notre intelligence naturelle est insignifiante, ce n’est pas ce qui nous définit comme « peuple élu » et « lumière des nations ».
La sagesse en soi n’a pas de valeur et ne prouve aucune grandeur morale. En effet, l’histoire a prouvé que les hommes les plus vils pouvaient être très cultivés et intelligents. Prenons l’exemple des nazis (que leur souvenir soit effacé). Leur QI élevé n’indiqua aucune grandeur d’âme ; au contraire, c’est peut-être ce qui les aida à « justifier intellectuellement » leur conception pervertie.
Rav El’hanan Wasserman aussi discrédite l’intelligence. Il souligne que quand une fille atteint l’âge de douze ans et qu’un garçon atteint l’âge de treize ans, la Torah les soumet à toutes les Mitsvot, y compris celle de Émouna – croire en l’existence de D. Rav El’hanan se demande comment la Torah peut enjoindre une telle chose à un enfant, alors que les grands esprits, à travers l’histoire, débattirent sur l’existence ou la non-existence d’Hachem. Il répond qu’en réalité, il est très facile de reconnaitre que le monde fut créé par D.ieu, c’est l’étroitesse d’esprit des philosophes qui troubla leur honnêteté intellectuelle et compliqua à ce point une telle évidence.
L’intelligence peut toutefois sembler très utile dans l’un des domaines les plus importants de la Avodat Hachem – l’étude de la Torah. Il est vrai qu’elle permet de bien étudier, mais uniquement si elle est associée au labeur et à la Siyata Dichmaya (aide divine). Rav Chlomo Zalman Auerbach remarqua une fois que le peuple juif ne se glorifie pas de son génie naturel ; en effet, nombreux furent les surdoués qui ne devinrent pas de grands Talmidé ’Hakhamim. En un sens, une vive intelligence peut même s’avérer un obstacle. Si, dès son plus jeune âge, l’individu trouve l’étude très facile, il risque de s’habituer à ne pas fournir beaucoup d’efforts à la compréhension. Mais à un moment ou à un autre, chacun est contraint de faire des efforts, même une personne brillante ; or celle-ci n’y ayant pas été habituée, risque de ne pas s’adapter à la difficulté et de baisser les bras plus rapidement qu’une personne moins talentueuse, accoutumée aux efforts.
En réalité, ’Hazal[3] nous donnent la clé pour acquérir et comprendre la Torah ; ils ne parlent pas du tout d’intellect, mais du dur labeur – ils affirment que l’on peut croire l’individu qui affirme avoir travaillé dur et réussi par la suite, mais s’il dit qu’il a travaillé dur et n’a pas réussi, on ne le croit pas. Il en est de même s’il prétend avoir réussi bien qu’il n’ait pas fourni d’efforts. Le labeur est donc la clé du succès. De nombreuses histoires sont racontées sur les Guédolim qui n’étaient pas particulièrement brillants dans leur jeunesse, mais qui, par leur travail acharné, leur prière et la Siyata Dichmaya qui leur fut accordée, purent avoir l’esprit ouvert aux merveilles de la Torah.
Le Or Ha’haïm nous enseigne que l’intelligence n’est pas unique au peuple juif et ce n’est pas pour cela qu’Hachem nous choisit. C’est plutôt les Midot exceptionnelles des Avot, et leur Émouna qui furent déterminantes. Notre rôle est de nous concentrer sur ces domaines et de minimiser l’importance de l’intelligence dans le succès.
[1] Chemot, 18:21, s.v Véraïti.
[2] Rapporté par Rav Issakhar Frand.
[3] Méguila 6b.