La Paracha de Tetsavé est la seule, depuis la naissance de Moché Rabbénou, à ne pas mentionner le nom de ce dernier. Le Ba'al Hatourim révèle l’origine de cette anomalie. Dans la Paracha suivante – celle de Ki Tissa –, Moché implore le pardon d’Hachem après la faute du veau d’or. Moché ajoute alors que si Hachem refuse de pardonner à ses frères juifs, il souhaite que son nom soit effacé de toute la Torah.[1] Hachem pardonna finalement au peuple juif, mais un principe veut que si un illustre personnage fait une malédiction conditionnelle, elle se réalise tout de même, d’une certaine façon, même si la condition n’est pas remplie. En l’occurrence, le nom de Moché ne fut pas effacé de toute la Torah, mais d’une Paracha, celle de Tetsavé.
Le Ba'al Hatourim précise pourquoi c’est précisément dans Tetsavé où le nom de Moché est omis. Il explique que quand Hachem ordonna à Moché, dans le buisson ardent, de libérer le peuple juif, Moché refusa obstinément, au point que la Torah affirme qu’Hachem se fâcha contre lui. Normalement, il y aurait dû avoir une sanction, mais les versets continuent sans évoquer de punition. Hachem dit simplement à Moché que son frère Aharon, le Lévi, était en chemin pour l’accueillir[2]. Un avis de la Guémara affirme que l’on trouve une allusion à la sanction dans ces mots – Hachem indiquait que Moché était censé être Cohen Gadol et qu’Aharon devait être un Lévi, mais que Moché n’aurait pas cet honneur ; c’est Aharon qui serait Cohen Gadol.[3]
Cette interprétation du Ba'al Hatourim implique que l’omission du nom de Moché est une sorte de punition, ce qui est très difficile à comprendre. Moché fit preuve d’une incroyable Messirout Néfech (dévouement, sacrifice de soi) en acceptant que son nom soit retiré de la Torah[4] pour que le Klal Israël soit épargné. Pourquoi fut-il puni ? Pourquoi son nom fut-il effacé de cette Paracha ?
On peut répondre[5] que ce n’était pas une punition en soi, mais un résultat du dévouement de Moché. Il était prêt à renoncer à tout pour sauver le peuple juif et, par conséquent, il « souffrit » de voir son nom absent de la Parachat Tetsavé.
Rav Guédalia Schorr propose une autre explication[6]. Il estime que l’omission du nom de Moché n’est pas du tout une conséquence négative, mais indique un haut niveau d’amour entre Hachem et Moché. Il rapporte les propos de nos Sages, affirmant que la Paracha commence par un Vav – Véata Tetsavé. Cette lettre montre un lien, et, dans ce contexte, elle indique qu’Hachem dit à Moché : « Toi et Moi sommes ensemble ». Il ajoute que le nom donne une identité à la personne, mais Moché atteignit un tel niveau d’annulation de soi, qu’il n’était pas du tout séparé d’Hachem. Dans le même ordre d’idées, le Birkat Avraham souligne que le nom indique quelque chose de physique ; un ange n’a pas de véritable identification, comme c’est le cas pour celui qui dit à Moché : « Pourquoi demandes-tu mon nom ? » Ici aussi, Moché atteignit un niveau spirituel très élevé, au point qu’il n’avait pas de nom – pas d’entité physique –, tout du moins dans cette Paracha.
Rav Issakhar Frand[7] souligne un point intéressant. La Torah donne à deux reprises des marques d’approbation sur Moché ; dans la Parachat Béha'alotékha, Hachem exhibe la grande humilité de Moché. Et dans Parachat Vézot Habrakha, la Torah relate les accomplissements de ce dernier. Cependant, le Ba'al Hatourim nous enseigne qu’il existe un troisième passage qui évoque les qualités de Moché Rabbénou – la Parachat Tetsavé. L’éloge consiste à retirer le nom de Moché de toute la Paracha. C’est un hommage rendu à la grande Messirout Néfech [don de soi] de Moché.
Moché était prêt à renoncer à tout en faveur du peuple juif[8]. Bien évidemment, son niveau est inatteignable pour le commun des mortels, mais chacun, à son niveau, peut essayer de trouver une façon de consacrer un peu de son temps, d’efforts ou d’argent pour aider les autres. Moché Rabbénou nous apprend que, finalement, l’individu ne peut que gagner par cette conduite – avec comme ultime récompense, une plus grande proximité avec Hachem.
[1] Basé sur l’interprétation de Rachi sur les propos de Moché. Pour d’autres commentaires, voir la Guémara Roch Hachana 16b, Sforno, ibid.
[2] Chémot 4,14.
[3] Zéva’him 102a.
[4] Selon le sens simple de la Guémara (Roch Hachana 16b), il était prêt à renoncer à son 'Olam Haba. Le Sforno précise qu’il était prêt à renoncer à tous ses mérites.
[5] Basé sur l’explication du Rav Issakhar Frand, au nom du Souccat David.
[6] Or Guédaliahou, Tetsavé. Une explication similaire est donnée par le Birkat Avraham, écrit par Rav Avraham Field, Parachat Tetsavé.
[7] Certains anges ont des noms, mais ceux-ci identifient uniquement leur mission (par exemple Réphaël qui guérit les gens et qui est donc identifié par un mot qui évoque la guérison).
[8] Dans le Dvar Torah de la semaine prochaine, nous analyserons plus profondément l’épisode qui suivit la faute du veau d’or et nous le comparerons à un passage similaire dans la Parachat Noa’h, qui évoque un autre moment où Hachem parla à un grand homme et exprima le désir de détruire plusieurs personnes, mais avec des conséquences très différentes.