Dans la Paracha Michpatim, il est écrit : « Midvar chéker tir’hak – Éloigne-toi du mensonge [2]. »
Nous savons que l’honnêteté est une qualité primordiale et que son opposé, le mensonge est l’un des pires défauts. Le Séfer Ha’Hinoukh parle avec véhémence de l’aspect méprisable du mensonge : « Le mensonge est considéré comme abominable et honteux par tout le monde, il n’existe rien de plus répugnant… La Torah nous enjoint donc de nous distancer considérablement du mensonge, comme il est écrit : "Éloigne-toi du mensonge" [3] ». Il explique ensuite que la Torah n’emploie un terme d’éloignement pour aucune autre Mitsva, ce qui prouve la gravité de cette faute. De plus, cela nous enseigne qu’il faut même s’écarter d’une infime éventualité de tromperie. Étant donné la sévérité avec laquelle le sujet est considéré, il convient de clarifier ce qui entre dans l’interdit de « midvar chéker tir’hak ».
Analysons le scénario suivant : Réouven doit de l’argent à Chim'on et le jour du remboursement est déjà passé. Chim'on téléphone à Réouven pour réclamer son argent, et c’est la femme de Réouven qui répond au téléphone. Réouven ne veut pas parler à Chim'on, mais il ne veut pas non plus que sa femme mente en prétendant qu’il n’est pas à la maison alors qu’il s’y trouve. Réouven sort donc de chez lui, fait quelques pas dehors et dit à sa femme de répondre à Chim'on qu’il n’est pas présent – ce qui est vrai en pratique, puisque Réouven n’est alors pas à l’intérieur de la maison. Cela ne semble pas faux, étant donné qu’aucune parole mensongère n’a été émise. Est-ce réellement le cas ?
La Guémara dans Chévouot nous aide à répondre à cette question : la Guémara évoque un certain nombre de circonstances qui impliquent une transgression de « midvar chéker tir’hak ». L’une d’elles est le cas d’un Talmid ‘Hakham (érudit en Torah) qui affirme que quelqu’un lui doit de l’argent, mais aucun témoin ne peut soutenir sa cause. Il dit donc à l’un de ses disciples que « l’emprunteur » ment et propose une idée qui l’inciterait à avouer la vérité. Il demande à son élève de venir avec lui au tribunal, pour figurer comme témoin du prêt. L’emprunteur, en voyant un témoin potentiel et en réalisant qu’il ne pourra pas nier la vérité, avouera qu’il doit effectivement cette somme. La Guémara estime qu’en agissant ainsi, l’élève enfreint l’interdit de « midvar chéker tir’hak » [4]. Il n’a pourtant rien dit, il est simplement allé avec son rav et a fait passer un message sous silence à l’emprunteur ; il a prétendu être témoin du prêt. En outre, aucun serment n’a été fait et c’est malgré tout rapporté comme exemple de mensonge.
Cela prouve que même si une personne ne dit rien, mais que ses actions impliquent un fait inexact, il est considéré comme menteur. C’est d’autant plus vrai si une personne dit des paroles qui sont techniquement vraies, mais qui sont trompeuses [5].
Toutefois, si nous examinons un incident bien connu de la Torah, il semblerait que le fait de dire des mots « techniquement » vrais est autorisé. Lorsque Ya'acov Avinou se fit passer pour son frère Essav, Its’hak lui demanda qui il était et il répondit : « C’est moi, Essav, ton aîné. » Rachi explique que cela signifiait en réalité : « C’est moi qui t’apporte ceci, Essav est ton aîné. »
Ainsi, ses paroles étaient vraies, sur le plan technique, même si Its’hak ne pouvait en déduire que leur sens simple, à savoir, qu’il s’agissait d’Essav. Cela remet fortement en cause le principe énoncé jusque-là.
Mon rav, le rav Its’hak Berkovits explique que ce n’est pas la formulation adroite de Ya'acov qui justifiait le fait de mentir à Its’hak. Les commentateurs expliquent que Ya'acov avait le droit de tromper Essav, parce qu’Essav était lui-même un escroc et qu’il est permis de ruser avec une personne fourbe [6]. Pourquoi Ya'acov a-t-il alors eu besoin d’avoir recours à un jeu de mots ?
Le Or’hot Tsadikim écrit que même lorsque le mensonge est toléré, il reste préférable de prononcer des mots justes [7]. Par conséquent, Ya'acov ne voulait pas que ses lèvres émettent de fausses paroles. Il ne faut toutefois pas penser que le fait de prononcer des mots exacts justifie le fait d’induire autrui en erreur, quand cela n’est pas nécessaire ; ce serait une infraction manifeste de « midvar chéker tir’hak ».
Il est important d’éduquer nos enfants à ce sujet, afin qu’ils comprennent que l’interdit de mentir n’est pas évité grâce à une formulation ingénieuse [8]. Il est également nécessaire, pour nous, de clarifier les limites de cette Mitsva, facilement mal comprise. Le Séfer Ha'hinoukh souligne qu’Hachem est un « D.ieu de vérité » et que seule une personne qui cherche à émuler Hachem peut recevoir Sa bénédiction.
Ce Dvar Thora est basé sur les enseignements de mon rav, le rav Its’hak Berkovits chlita.
[2] Michpatim, Chémot 23:1.
[3] Séfer Ha’hinoukh, Mitsva 74.
[4] Chévouot, 30 b.
[5] Voir aussi l’explication du Maharal sur l’épisode avec Avraham et Sarah, lors duquel Hachem ne rapporte pas exactement les paroles prononcées, afin de faire régner la paix dans leur foyer. Le Maharal explique que bien qu’Hachem émit des paroles exactes, cela constitue une modification, parce que leur message était trompeur (Vayéra, 18:13, Gour Arié, Oth 40.)
[6] Voir Émet Leya'acov, Béréchit 27:12. Il faut être conscient que cela ne doit pas être utilisé avant de consulter une autorité Halakhique compétente. Il serait trop facile de décider que quiconque s’oppose à nous, entre dans la catégorie des gens qu’il nous est permis de tromper.
[7] Or’hot Tsadikim, fin du Chaar 22.
[8] Notons également que nous disons parfois des mots inexacts, sans que leur message soit trompeur. Par exemple, lorsque les mariages annoncés à 19 h débutent seulement à 20 h, est-ce du Chéker ? C’est un sujet délicat dans la Halakha et il est conseillé d’apprendre les détails de cette Mitsva afin de savoir ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas.