« Yaacov resta seul. Un homme lutta avec lui, jusqu’au lever du matin. » (Béréchit 32,25)

« "Yaacov resta seul. Un homme lutta avec lui" : Ein Kakel Yéchouroun… - Rabbi Bérakhia dit au nom de Rabbi Yéhouda bar Simon : "Cela peut signifier : "Nul autre n’est comme Kel (Hachem), mais qui est comme Kel – Yéchouroun… Qui est comme Kel, Israël Saba [c’est-à-dire Yaacov Avinou], tout comme il est dit au sujet d’Hakadoch Baroukh Hou : "Il est élevé, Lui seul", de même il est dit [au sujet de Yaacov] : "Yaacov resta seul". » (Béréchit Raba 77,1)

La Torah précise que Yaacov était seul quand il dut lutter contre l’ange d’Essav. Le Midrach commence par rapporter un verset de la Torah qui montre que personne ne peut être comparé à Hachem, puis il affirme que le peuple juif est comparé à Hachem. Ensuite, le Midrach donne plusieurs exemples d’actes que seul Hachem fait ou fera et comment certaines grandes figures du peuple juif, Eliahou Hanavi en particluer, effectuèrent ce genre d’actions. Le Midrach enseigne que de la même façon que D.ieu ressuscitera les morts, de même Eliahou ressuscita des gens (le fils de la Chounamite) ; de même que D.ieu peut provoquer une sécheresse, Eliahou occasionna une sécheresse ; D.ieu peut bénir une petite quantité et la transformer en abondance et c’est également ce que fit Eliahou. D.ieu peut offrir la maternité à une femme stérile et Eliahou en fit de même. Le Midrach conclut les comparaisons entre Hachem et les vertueux d’Israël par l’affirmation : « De même que D.ieu est unique, comme il est dit : "Vénisgav Hachem Lévado Bayom Hahou"[1], de même, le "grand-père du peuple juif" – Yaacov – resta seul comme il est écrit : "Yaacov resta seul". »

Rav Issakhar Frand remarque que ce dernier exemple ne semble pas adapté aux autres. Les actions et situations surnaturelles et miraculeuses – résurrection, sécheresse, fertilité, etc., demandent des capacités divines. Mais le Midrach affirme ensuite que l’unicité d’Hachem est, en soi, une qualité divine ! En d’autres mots, le fait que Yaacov resta seul est aussi miraculeux que la résurrection, l’arrêt des pluies ou la fertilité d’une femme stérile. Qu’y a-t-il de si exceptionnel dans cette isolation ?

Rav Frand répond à cette question, en rapportant l’explication de Rav Yaacov Kamenetsky[2]. « Si Yaacov Avinou fut attaqué quand il était seul, c’est parce que la plupart des gens sont incapables de préserver leur niveau spirituel quand ils sont seuls. La majorité d’entre nous a besoin d’un soutien, d’une société, d’un entourage qui les aide à rester intègres et à ne pas dévier du droit chemin. Y arriver seul, sans la pression exercée par l’entourage, ni le soutien de ce dernier, et réussir à maintenir son niveau spirituel, est une mission très difficile pour le commun des mortels, un phénomène rarissime. »

Selon cette explication, Yaacov resta seul et était donc complètement indépendant dans sa Avodat Hachem. Bien entendu, il s’agit d’un très haut niveau, inaccessible pour la plupart des gens. De plus, l’individu ne doit pas aspirer à rester seul – la famille, les amis, la communauté sont des éléments essentiels pour améliorer la Avodat Hachem et le bien-être de l’individu de manière générale. Cependant, durant les deux dernières années, avec la crise du Corona, la vie de tous fut transformée ; l’un des changements les plus radicaux fut la structure communautaire métamorphosée pendant plusieurs mois – les synagogues restèrent closes, les écoles furent fermées et les relations interpersonnelles très limitées, voire interrompues.

Rav Aharon Lopiansky parle de cette difficulté provoquée par ce phénomène. «"Qui suis-je ?" Telle est la question que l’on devrait se poser. Nous sommes habitués à prier et à étudier au sein de la communauté, à regarder autour de nous et à agir comme les autres. Nous en sommes venus à croire que notre judaïsme était solide et sain. Mais – surtout durant les plus sombres jours de cette épidémie – quand nous fûmes livrés à nous-mêmes, nous sommes nombreux à avoir réalisé que notre judaïsme n’était pas ce que nous pensions. Il convient donc de se poser sincèrement la question : "De quoi ma Avodat Hachem a-t-elle manqué, quand le Tsibour n’était pas autour de moi ?" De même, en tant que communauté, nous devons prendre conscience qu’aussi forts que nous puissions paraître, nous sommes vite ébranlés. Et en tant qu’enseignants, nous devons nous demander : "Sommes-nous en train de bâtir des élèves suffisamment robustes pour tenir le coup quand ils seront seuls ?" »

Baroukh Hachem, l’aspect social a repris une allure normale, mais les propos de Rav Lopiansky restent pertinents. Le côté communautaire du judaïsme est essentiel et de grande valeur. Cependant, le niveau de l’individu doit être indépendant de celui des autres, même de ses maîtres. Plusieurs commentateurs affirment que c’est la signification de la Michna : « Là où il n’y a pas d’homme, efforce-toi d’être un homme »[3]. Si quelqu’un se retrouve dans une situation où il ne reçoit aucun soutien spirituel, il doit malgré tout être en mesure d’assumer la responsabilité de sa Avodat Hachem.

Puissions-nous mériter d’émuler Yaacov Avinou – et Hachem Lui-même – en apprenant à être  « seuls », indépendants du regard et du soutien des autres.

 

[1] Yéchaya 2,11 ; 2,21.

[2] Émet Léyaacov 32,19, voir Or Guédaliahou, ibid. pour une analyse plus approfondie sur ce Midrach.

[3] Avot 2,6. Voir Rabbénou Yona, Midrach Chmouël, ibid.