Avant la destruction de Sodome et de Gomorrhe, la Torah souligne qu’Hachem s’est demandé – si l’on peut s’exprimer de la sorte – s’Il ne devait pas demander à Avraham Avinou son avis à propos de Son projet. Il décida donc de lui en parler, et ce, parce qu’il enseignait aux membres de sa famille à suivre les voies de D.ieu.
Plusieurs questions peuvent être soulevées concernant cet épisode. Tout d’abord, le ’Hatam Sofer souligne qu’Hachem ne s’est jamais demandé s’Il devait parler ou non à un prophète. En général, c’est le prophète qui commence par raconter qu’Hachem s’est dévoilé à lui. Pourquoi Hachem eut-Il besoin de prendre cette décision avant de parler avec Avraham ? Deuxièmement, la raison donnée par la Torah pour expliquer la décision de D.ieu est étrange. Pourquoi le fait d’enseigner les voies d’Hachem est-il tellement déterminant ?
Le ’Hatam Sofer répond à ces questions dans le Pitou’hé ’Hotam[1]. Il explique que pour atteindre le niveau de Navi (prophète), il faut être extrêmement saint, ce qui exige un très grand travail sur soi. Avraham décida, au lieu de se focaliser sur son élévation spirituelle personnelle, de consacrer son temps à parler aux autres d’Hachem, même en dépit de sa propre évolution. De ce fait, il n’atteignit pas le niveau de Navi. Il comprit que ce n’était pas ce qu’Hachem voulait. Il ne devait pas devenir l’homme parfait qui se concentre sur l’élévation de son âme en laissant ses contemporains pécher et courroucer Hachem, comme ce fut le cas dans la génération de ’Hanokh et dans celle du déluge. L’expérience lui apprit (à Avraham) qu’il vaut mieux limiter le perfectionnement de son âme et se concentrer sur l’honneur d’Hachem en tentant de réduire le nombre de rebelles et en incitant les gens à Le servir et à Le connaître. Sinon, il y aurait un homme saint sur mille, dans chaque génération, et le monde serait presque entièrement dépravé.
Ainsi, Avraham passa sa vie à parler de D.ieu aux gens et cela l’empêcha de devenir prophète. C’est ce qui fit réfléchir Hachem quant à la prophétie concernant Sodome. Il conclut que bien qu’Avraham ne fût pas au niveau de recevoir une Névoua, il la méritait, parce que s’il n’était pas devenu prophète, c’était dans le but d’accomplir la volonté divine – c’est Hachem qui souhaitait qu’il agisse de la sorte et il ne devait donc pas être pénalisé et privé de prophétie[2]. C’est le sens de la réponse donnée par la Torah : « du fait qu’il enseignait à sa famille et à sa maisonnée à suivre les voies de D.ieu ». C’est cette détermination d’Avraham à montrer aux gens les voies de D.ieu qui convainquit Hachem de communiquer avec lui, de lui envoyer une prophétie, bien qu’il n’en fût pas au niveau.
Le ’Hatam Sofer enjoint à tout un chacun d’émuler Avraham et d’apprendre aux autres à suivre le droit chemin, même si ce n’est qu’avec un niveau de compréhension basique. Si un Eved Hachem se dit : « Mon âme aspire à la proximité avec Hachem. Comment puis-je faire ceci et délaisser mon étude et mon développement personnel pour parfaire l’âme de mon prochain ? » On peut lui donner la réponse de nos Sages : « Je me suis instruit davantage grâce à mes disciples. » Hachem ne peut-Il pas vous aider à grandir comme vous le vouliez si vous contribuez à préserver Son Kavod ? Vous devez accomplir votre mission, c’est-à-dire le commandement d’Hachem (celui d’enseigner la Torah aux autres) et Lui remplira Son « rôle »… Il vous permettra de vous parfaire en moins de temps et d’accéder à des niveaux que vous n’imaginiez même pas pouvoir atteindre.
Le Rav de Poniewitz fut une personnalité que nous pouvons prendre en exemple pour illustrer cette idée ; il sacrifia son développement personnel pour la gloire d’Hachem. Il était un illustre Talmid ’Hakham qui avait un potentiel énorme dans l’Étude. Mais il comprit que le Ratson Hachem était différent ; il devait fonder une Yéchiva, ce qui signifie passer la plupart de son temps à voyager pour récolter des fonds, aux dépens de son étude. Il sacrifia le titre de « Gaon de Poniewitz » pour fonder et maintenir la « Yéchiva de Poniewitz ».
L’enseignement du ’Hatam Sofer concerne tout le monde, chacun à son niveau[3]. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il faut délaisser complètement le travail sur soi et l’étude de la Torah, mais chacun se retrouve, à un moment ou à un autre, devant une opportunité d’aider autrui. On éprouve alors une certaine appréhension, certes compréhensible, de devoir faire quelque chose qui sera nuisible à notre développement personnel, mais au contraire, c’est finalement ce qui nous permettra de réaliser notre plein potentiel.
[1] Pitou’hé ’Hotam, introduction au Chout ’Hatam Sofer, Yoré Déa. Rav Its’hak Berkovits estime qu’il est indispensable de lire ce passage. Le Natsiv (Chout Méchiv Davar, Siman 44) fait également l’éloge de ce texte.
[2] Avraham avait déjà bénéficié d’une prophétie, alors pourquoi nous rapporte-t-on ce monologue concernant la nécessité de communiquer avec lui, précisément ici ? En relisant attentivement ce passage du ’Hatam Sofer, on comprend qu’Avraham était au niveau de recevoir la précédente prophétie, mais celle-ci exigeait un niveau plus élevé, étant donné qu’elle concernait le jugement d’un peuple entier.
[3] Inutile de préciser que la façon de mettre ceci en pratique varie énormément en fonction de plusieurs facteurs. Il est fondamental de prendre conseil auprès d’un Talmid ’Hakham pour savoir quelle voie suivre, selon les circonstances.