Un des événements marquants de la Paracha de cette semaine, Vayéra, est la destruction de la ville de Sodome, en raison de l’inconduite des habitants de cette ville. Avant de sceller le verdict de la ville, D.ieu annonce qu’Il va « descendre » et examiner par Lui-même les méfaits de ses habitants.
Chap. 18, v. 21 : « Je vais descendre - C’est pour enseigner aux juges qu’ils ne doivent pas prononcer de peine capitale avant d’avoir « vu » [et approfondi l’objet du litige]. J’ai expliqué tout cela dans le chapitre de la tour de Bavel (supra 11, 5). Autre explication : « Je vais descendre » jusqu’au fond de leurs actes. »
Cet enseignement de Rachi est particulièrement intéressant, dans la mesure où il répète une explication qu’il nous avait déjà livrée à l’occasion de la Tour de Bavel (11, 5). Que nous dit donc Rachi de si important qui justifie une telle insistance ?
Il s’agit donc de comprendre la signification d’un anthropomorphisme (attribut humain prêté à D.ieu) qui évoque le fait que D.ieu serait « descendu » vers la terre. En effet, il est étonnant que la Torah évoque une telle démarche de la part de D.ieu alors que nous savons bien que pour Hachem la notion de distance n’a pas de sens, et que tout est connu et dévoilé immédiatement devant Lui. Aussi, l’idée de devoir descendre pour examiner des faits n’a pas de sens pour D.ieu. Pourquoi la Torah emploie-t-elle donc un terme typiquement humain ?
Généralement, nos Sages nous proposent deux manières de comprendre l’emploi à l’égard de D.ieu de termes qui s’appliquent généralement aux hommes : on peut considérer d’une part que « La Torah parle comme les hommes s’expriment »(« Dibra Torah Kilechone Bené Adam »)afin d’être bien compréhensible et ne pas avoir un langage trop abstrait, et d’autre part, ces comparaisons peuvent avoir pour objectif de refléter ce que les hommes ressentent « de leur point de vue » au cours de l’histoire quant à leur relation avec Hachem.
En l’occurrence, aussi bien ici face à la débauche et la perversité de Sodome, qu’à l’occasion de la Tour de Bavel face à l’insolence et à l’esprit belliqueux des hommes, il s’agit de souligner que D.ieu est intervenu directement dans l’histoire collective d’une nation pour la condamner, ici à la destruction, et à Bavel, à la dispersion. Or cette sentence n’est pas anodine, elle n’est pas courante et elle n’est évidemment pas prise hâtivement, elle a « imposé » à D.ieu d’analyser en profondeur l’attitude des fauteurs. En effet, il s’agissait de voir dans le détail de leurs actes et dans les recoins de leur cœur, s’il existait une possibilité de Téchouva afin qu’ils soient sauvés, ou bien si ces sociétés étaient définitivement corrompues.
D.ieu a donc voulu enseigner aux hommes qu’avant de condamner un fauteur, il faut « descendre », c’est-à-dire « examiner » méticuleusement tous ses actes, ses motivations, et éventuellement ses circonstances atténuantes. C’est uniquement à la lumière d’une telle analyse et après s’être confronté au réel que l’on peut condamner une personne. Cela vaut pour les juges, mais cela vaut naturellement pour tous les hommes qui sont parfois prompts à condamner autrui sans s’être donné la peine de « descendre » dans la réalité de sa vie.
En outre, l’usage du verbe « descendre » peut aussi être une invitation lancée aux hommes, quel que soit leur niveau de responsabilité et de spiritualité, à ne jamais se déconnecter de la vie concrète de leurs semblables. En effet, la tentation peut être grande de se retrancher dans une tour d’ivoire intellectuelle ou spirituelle où l’on s’abreuve de l’eau pure de la Torah loin des contingences matérielles. Il est vrai que la vie concrète des hommes peut alors sembler dérisoire face à la grandeur de la vie de l’esprit et que l’on peut être réticent à quitter ce confort spirituel pour redescendre à un niveau inférieur, celui des hommes avec leur grandeur mais aussi leurs limites, leurs faiblesses, et parfois mêmes les côtés les plus sombres de la nature humaine. Face à cette tentation, la Torah nous enseigne ici que D.ieu Lui-même n’hésite pas à « descendre » de Sa demeure sainte pour exercer la justice sur terre et se préoccuper de la vie des hommes.
S’il en est ainsi de D.ieu, à plus forte raison est-ce le cas également des hommes. On peut même penser que, plus un homme est saint et versé dans la Torah, plus sa responsabilité est grande quant à ses contemporains.
Lors de l’épisode du veau d’or, et alors même que Moché Rabbénou reçoit la Torah, D.ieu le congédie et lui demande de retourner près du peuple avec ce même terme de « Descends ! », et Rachi précise « de ta grandeur » car la sainteté d’un homme n’a de sens que si elle profite également à ses contemporains pour les aider à s’améliorer, à grandir dans la Torah et les Mistvot.
De même, lorsqu’un homme est retrouvé mort près d’une ville, ce sont les « anciens », les hauts dignitaires et les prêtres de la ville qui doivent venir constater ce qui s’est passé et assurer qu’ils n’ont pas failli à leurs devoirs d’hospitalité et de sollicitude vis-à-vis des étrangers et des plus fragiles.
Ainsi, la sainteté et la grandeur d’un homme n’est ainsi jamais considérée dans la Torah comme un privilège qui justifie que l’on s’éloigne des affaires du monde, au contraire, elle est présentée comme un surcroit de responsabilité qui oblige à davantage de proximité avec les hommes, davantage d’empathie et de ‘Hessed.