« Le sceptre ne se retirera pas de Yéhouda » (Béréchit 49,10)
Rachi précise que cette prophétie s’applique à partir du roi David.
Dans la Paracha de cette semaine, Ya'acov Avinou bénit Yéhouda et lui accorde la royauté. On peut soulever deux questions sur cette prophétie. Tout d’abord, nous savons que le premier roi du peuple d’Israël fut Chaoul, qui n’est pas un descendant de Yéhouda, mais de Binyamin. Alors, comment est-ce possible qu’il fût oint par le prophète Chmouel ? Et quand Chmouel réprimanda Chaoul qui n’avait pas obéi à ses instructions, il lui dit : « Et maintenant, ta royauté ne subsistera pas : Hachem s’est choisi un homme selon son cœur et l’a institué chef de son peuple, parce que tu n’as pas respecté Son commandement ! » (Chmouel I 13,14) Les propos de Chmouel sous-entendent que si Chaoul n’avait pas commis cette erreur, son royaume aurait perduré, ce qui semble contredire la prophétie de Ya'acov, mentionnée dans le verset précité…
Les commentateurs affirment que depuis le règne du premier roi de Yéhouda, aucun roi ne put gouverner seul la nation. Avant cela – avant le règne du roi David – un homme d’une autre tribu pouvait régner. Il reste à comprendre pourquoi c’est un descendant de Ra’hel (plutôt qu’un descendant de Léa) qui eut droit au premier règne. On pourra répondre à cette question en analysant l’ascendance des tribus de Yéhouda et de Binyamin. Ensuite, nous pourrons revenir à la deuxième question posée précédemment (à savoir, pourquoi Chmouel laissa sous-entendre que le royaume de Chaoul aurait pu perdurer s’il n’avait pas désobéi).
Le roi David mentionne deux sortes de services divins : « Éloigne-toi du mal et fais le bien » (Téhilim 34,15). Sur le plan individuel, « s’éloigner du mal » fait référence au fait d’éviter de commettre des fautes, et également à l'impératif de travailler sur ses défauts. À un niveau plus large, cela fait référence à la lutte contre le mal dans le monde. Quant à « faire le bien », c’est l’accomplissement d’actions positives, l’amélioration de qualités de l’individu. Et à un niveau national, il s’agit d’un développement de la 'Avodat Hachem dans le monde. Le Chem Michmouel explique que les descendants de Ra’hel ont une force inhérente à détruire le mal, tandis que la force des descendants de Léa réside plutôt dans le « 'Assé Tov – fais le bien. »
Ces différences sont particulièrement visibles chez Yossef et Yéhouda et leur progéniture. Yossef eut une capacité incroyable à être impliqué dans le monde physique et à l’élever, mais aussi à combattre le mal. C’est d’ailleurs seulement à la naissance de Yossef que Ya'acov eut le courage de quitter Lavan pour aller affronter son frère ennemi, Essav. Ce n’est qu’à ce moment qu’il demanda à Lavan la permission de le quitter et de repartir en Erets Israël (Béréchit 30,25). Le Midrach et la Guémara rapportent un verset du Livre d’Ovadia : « La maison de Ya'acov sera un feu, la maison de Yossef une flamme, la maison d’Essav un amas de chaume… » (Ovadia 1,18) Le feu ne peut pas détruire la paille sans flamme qui le propage. Yossef est comparé à une flamme, car Ya'acov n’est capable de vaincre Essav que grâce à Yossef, qu’avec la « flamme ».
Quant à Yéhouda, il a un don pour diriger ses frères – et, plus tard, l’ensemble de la nation – dans le domaine spirituel. C’est d’ailleurs lui que Ya'acov envoya en Égypte pour fonder des institutions de Torah. Yossef pava la voie dans le domaine matériel, pour que le peuple juif puisse survivre en Égypte. Et Yéhouda pava la voie dans le domaine spirituel, de sorte que le peuple juif perdure sur le plan spirituel.
Ainsi, les descendants de Ra’hel et de Léa jouèrent un rôle en duo dans l’essor du peuple juif, qui aboutira avec la venue du Machia’h.
Pour revenir à la question concernant la faute de Chaoul qui semble être la cause de l’interruption de sa royauté (et qui semble donc contredire la prophétie de Ya'acov), le Ramban propose deux réponses. Il affirme tout d’abord que les descendants de Chaoul auraient pu être rois des tribus issues de Ra’hel – à savoir, Binyamin, Éphraïm et Ménaché. Autre possibilité, les descendants de Chaoul auraient pu être les ministres ou les députés du roi (issu, quant à lui de Yéhouda).
C’est d’ailleurs l’implication des propos de Yonathan (fils de Chaoul) à David : « Ne crains rien, la main de Chaoul, mon père, ne t’atteindra pas ; tu régneras sur Israël et moi, je serai ton second. Chaoul, mon père, le sait bien aussi. » (Chmouel I 23,17) Si Chaoul n’avait pas fauté, cette prédiction se serait réalisée. Yonathan ne savait pas que Chaoul avait manqué à son obligation et pensait donc pouvoir être le second du roi !
Le Rama Mipano affirme d’ailleurs que l’âme de Yonathan sera réincarnée en la personne de Machia’h Ben Yossef (et c’est l’allusion que faisait alors Yonathan en parlant à David.)
Ce développement nous enseigne à quel point il est important d’accepter son rôle, même quand cela signifie être subordonné ou soumis à quelqu’un d’autre. C’est souvent la clé du succès. Chaoul eut du mal à surmonter ce défi et cela eut des conséquences désastreuses. Yonathan parvint à se montrer digne et bien qu’il mourût précocement, le Rama Mipano nous enseigne qu’en fin de compte, il triomphera.