Comma chaque semaine, la vie des Patriarches offre une richesse d’analyse et une diversité d’approches exceptionnelles, et il est difficile d’identifier une vertu en particulier à mettre en lumière.
Nous vous proposons de nous arrêter sur un attribut qui peut mener l’homme à la vertu mais aussi, parfois, l’en éloigner radicalement : la richesse.
En effet, notre Paracha souligne la richesse d’Isaac Avinou qui jouissait d’une grande réussite matérielle. « Isaac sema dans ce pays-là et recueillit, cette même année, au centuple: tant le Seigneur le bénissait. Cet homme devint grand ; puis sa grandeur alla croissant et enfin il fut très grand. Il avait des possessions en menu bétail, des possessions en gros bétail, des cultures considérables et les Philistins le jalousèrent. » (Genèse, ch. 26, 12-14).
Or, cette aisance matérielle est partagée par les trois Patriarches, Abraham était « béni dans tout », et Yaakov avait acquis « boeufs et ânes, menu bétail, esclaves mâles et femelles » (Genèse, 32.6).
Et pourtant, présenter la richesse comme une vertu crée un malaise pour différentes raisons.
Tout d’abord, la richesse n’a pas de valeur « morale » en soi. On peut être devenu riche grâce à son labeur et son mérite personnel comme les Patriarches, tout comme on peut être riche de naissance, par héritage ou encore avoir acquis une richesse par des moyens malhonnêtes.
Ensuite, tout le monde ne part avec les mêmes atouts pour acquérir la richesse matérielle. Certains milieux sociaux sont plus susceptibles de conduire à la richesse que d’autres, même s’il existe toujours des exceptions. Or, en règle générale, une vertu ne doit pas dépendre de conditions matérielles, elle doit pouvoir s’acquérir par un travail personnel sur soi, devant lequel chacun est à égalité, même si on peut partir de niveaux différents.
Enfin, et cela est essentiel, la richesse dépend avant tout du choix de la providence d.ivine. Les hommes ont parfois l’illusion qu’ils doivent leur aisance matérielle à leur mérite personnel ou à leur ingéniosité, alors qu’en réalité, ils ont été choisis par l’Eternel pour en être les dépositaires. A eux, d’être à la hauteur de cet honneur.
En réalité, la richesse peut être une vertu dès lors qu’elle est vécue comme une responsabilité à l’égard des autres hommes. Nous le voyons parfaitement chez les patriarches dont la générosité était immense. A cet égard, nous pouvons noter que dès qu’ils commençaient à amasser la moindre richesse, la Torah précise qu’ils en prélevaient le ma’asser (la dîme pour les pauvres).
Le monde est ainsi fait que les différences sociales sont une donnée éternelle, mais elles sont aussi l’occasion de faire éclore une solidarité qui donne toute sa noblesse à l’humanité.
C’est là le sens du fameux échange entre R. Akiva et Turnus Rufus. Ce dernier demande malicieusement « Pourquoi n’est-ce pas votre D.ieu qui nourrit directement les pauvres ? » et R. Akiva de répondre « Car, grâce à eux et aux offrandes qu’on leur donne, on peut être sauvés du Guéhinom ». Ce sont précisément les inégalités sociales qui sont à l’origine des sentiments de sollicitude, de générosité et d’entre-aide si chères à notre tradition.
Aussi, la richesse peut être le moyen de révéler sa vertu car celui qui est riche a la possibilité d’ouvrir son cœur à autrui, de l’aider, le soutenir tout comme il a la possibilité de soutenir et diffuser l’étude de la Torah dans le monde. Il est en quelque sorte l’agent d’Hachem pour réparer les inégalités sociales et permettre à la spiritualité de trouver les moyens matériels nécessaires à sa diffusion sur terre.
Mais, chacun le comprend bien, de même que la richesse peut mener à la vertu, elle peut également mener l’homme au vice. En effet, la richesse donne parfois l’illusion du pouvoir et de la puissance. Aussi, celui qui est riche peut être enclin à l’orgueil, la vanité et l’absence de remise en cause. Nos Sages ont cette belle formule pour dénoncer la tentation de faire de la richesse une fin en soi « la richesse est l’éclat des hommes sans éclat ». Ils tiennent leur aisance matérielle pour une preuve de leur grandeur alors qu’en réalité la richesse est là pour révéler ou infirmer la vertu d’un homme.
La richesse est parfois un puissant somnifère qui endort les hommes, les dispense de toute remise en cause personnelle profonde, et d’aller chercher au fond d’eux les trésors de leur âme. Aussi, un Sage du Talmud a pu dire que « seule la pauvreté sied à un Juif ». Celui qui se perçoit dans une grande fragilité matérielle sera naturellement poussé à se rapprocher de D.ieu dont il se sent totalement dépendant.
Aussi, la richesse matérielle ne devient une vertu que lorsqu’elle est au service de l’homme, et non l’inverse. Le rapport à la matérialité est ainsi un défi du quotidien pour tous les hommes, d’autant plus dans les sociétés de consommation modernes, où l’avoir et l’être semblent se confondre. L’illusion n’a jamais été aussi forte de pouvoir compenser par les acquisitions matérielle l’absence d’horizon spirituel.
La richesse peut mener à la vertu à condition d’en faire un moyen d’ouverture sur autrui, de générosité, et de raffinement de soi.