« Moché prit le bâton de devant Hachem, comme Il lui avait ordonné. Moché et Aharon assemblèrent l’assemblée devant le rocher, il leur dit : "Écoutez donc, les rebelles ! Depuis ce rocher, ferons-nous sortir pour vous de l’eau ?" Moché souleva sa main, il frappa le rocher avec son bâton deux fois, des eaux abondantes sortirent, la communauté but, et leur bétail. Hachem dit à Moché et Aharon : "Puisque vous n’avez pas cru en Moi pour Me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël, c’est pourquoi vous ne ferez pas venir cette assemblée au pays que Je leur ai donné". Elles sont les eaux de querelle, ou les enfants d’Israël se querellèrent contre Hachem ; Il fut sanctifié par elles. » (Bamidbar 20 ,9-13)
Rachi explique sur l’expression « pour Me sanctifier » : Parce que si tu avais parlé au rocher et que tu en avais fait sortir de l’eau, J’aurais été sanctifié devant toute l’assemblée qui aurait dit : « Si déjà le rocher (qui n’entend pas, ne parle pas et n’a pas besoin de gagne-pain) exécute la Parole divine, nous devons le faire à plus forte raison. »
Cette « faille » de Moché Rabbénou est l’un des incidents les plus énigmatiques de la Torah. On ne comprend pas bien ce qui lui est reproché[1] ; plusieurs commentateurs tentent d’expliquer la nature de cette faute. Certains suivent l’opinion de Rachi[2] qui estime que Moché n’a pas parlé au rocher, comme Hachem le lui avait ordonné, mais il l’a frappé. Hachem voulait que le peuple voie que même une pierre inanimée écoute Ses ordres et que les êtres humains sont d’autant plus tenus de le faire. Mais en frappant le rocher, cet enseignement fut perdu…[3]
Plusieurs commentateurs se concentrent sur la différence entre frapper et parler. Le Mé Marom[4] propose une approche intéressante. « Nous sommes très liés à notre passé – avec nos ancêtres et leur vie. C’est une très bonne chose, mais qui n’est pas toujours adaptée. Si Moché avait compris comment se lier au passé, il n’aurait pas frappé le rocher. Vous voulez éveiller la conscience de quelqu’un et l’inciter à mieux agir ? Vous avez deux options. Vous pouvez parler de manière convaincante et lui faire intérioriser la valeur promue. Toute résistance à une vérité supérieure disparaît dès lors que vous lui montrez la beauté et la splendeur de son âme. Par ailleurs, vous pouvez réprouver, faire preuve d’autorité. Si vous choisissez cette option, la personne accepte modérément le reproche ; certes, elle s’abstiendra d’accomplir une mauvaise action, mais sa conscience spirituelle ne changera pas, elle restera au même niveau qu’avant. »
Hachem voulait que Moché Rabbénou voie le potentiel du peuple – celui d’avoir une conscience plus grande grâce à la communication et c’est la raison pour laquelle Il lui enjoignit de parler au rocher ; c’était une allusion à cette facette de la communication. Or, Moché estimait que le peuple n’était pas à ce niveau et était incapable de l’atteindre. Par conséquent, il choisit l’approche plus « énergique », celle de frapper le rocher.
Il reste à expliquer l’erreur mentionnée par Rachi ; celle de frapper plutôt que de parler. Quelques années auparavant, quand le peuple juif sortit d’Égypte, Hachem ordonna à Moché de frapper le rocher. Alors pourquoi cette fois-ci, le même acte est-il jugé si sévèrement ? Pourquoi est-il considéré comme problématique ?
Le Yalkout Chimoni[5] répond à cette question, en se basant sur un principe important : quand un enfant est jeune, on doit se montrer plus énergique et autoritaire afin de lui enseigner les bonnes manières, parce qu’il est trop petit et immature pour comprendre des explications rationnelles et qu’il ne va pas se rebeller.[6] Par contre, en grandissant, il réagit moins bien au rapport de force ; il a plus besoin de communication, il faut lui parler et lui expliquer pourquoi on lui demande de faire telle ou telle chose. Quand les Juifs ont quitté l’Égypte, ils étaient comme de jeunes enfants, en termes de foi en Hachem et de niveau spirituel. L’approche énergique était alors plus appropriée. Mais, après quarante ans passés dans le désert, ils avaient « grandi » et étaient considérés comme un enfant plus mûr qui a besoin de communication.
Rav Moché Feinstein parle de ce point en ce qui concerne les affaires communautaires et l’éducation des enfants. Parfois, un dirigeant communautaire ou un éducateur est confronté à des personnes qui semblent peu réceptives au message qu’il veut transmettre. Dans le domaine du ’Hinoukh, on a souvent besoin de répéter les mêmes choses maintes et maintes fois, bien que les enfants ne semblent pas accepter le message. C’est l’inverse de la méthode « facile » où l’on force l’enfant à faire quelque chose. C’est une technique qui marche peut-être quand ils sont petits, mais dès lors qu’ils grandissent, ils ont besoin qu’on leur explique les choses et non d’exécuter aveuglément les ordres. D’ailleurs, ce rapport de force utilisé au mauvais moment peut être contre-productif sur le long terme, car il génère du ressentiment, et dès que l’enfant sera suffisamment grand pour le faire, il cherchera à s’en décharger. En ce sens, les Mé Mériva nous montrent que l’approche « frappante » est contre-productive, si c’était l’approche « parlante » qui devait être utilisée.
Puissions-nous mériter d’intérioriser cet enseignement de Rachi sur les Mé Mériva.
[1] Voir Abarbanel pour un résumé de divers avis.
[2] Le Ramban pose plusieurs questions sur Rachi – elles ne seront pas abordées ici.
[3] Voir Ayelet Hacha’har, Ibid.
[4] Écrit par Rav Yaacov Moché Charlap.
[5] Yalkout Chimoni.
[6] Bien sûr, même quand on force un enfant à faire quelque chose, il vaut veiller à le faire de la bonne façon.