Parachat Balak. Bilaam et Balak étaient les deux pires ennemis du peuple juif. Une Paracha entière de la Torah est affectée au récit de leurs tentatives de nuire aux Bné Israël. Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas vaincre les Juifs physiquement. Ils s’efforçaient alors d’utiliser des forces spirituelles pour atteindre leurs vils objectifs. Le Chem Michémouël soulève deux difficultés concernant l’approche de ces deux individus malveillants.[1]
Tout d’abord, il note qu’ils souhaitaient dévaloriser le peuple juif aux yeux d’Hachem, pour qu’Il le délaisse ; ceci semble parfaitement inepte — comment pouvaient-ils espérer modifier la relation unique entre Hachem et les Bné Israël, cet attachement remontant aux Patriarches qui se dévouèrent tant pour faire régner la Présence Divine dans le monde ?
De plus, Balak exprima sa volonté « de l’attaquer [le peuple juif] et de le chasser de la Terre »[2]. Le Midrach explique que son but principal était d’empêcher les Juifs d’entrer en Erets Israël. Le Chem Michémouël se demande pourquoi une telle détermination. Le peuple juif ne devait pas passer par Moav ou par Midian pour atteindre sa destination, il ne menaçait donc aucunement ces nations ; pourquoi Balak estimait-il alors que cet empêchement était si crucial ?
Le ’Hidouché Harim commente le verset de Téhilim : « Les Cieux sont à Hachem et la terre, Il l’a donnée à l’homme. »[3] Il affirme que ce Passouk dévoile le but de la Création. Il signifie que l’homme est censé utiliser la terre et la transformer en « divine », à travers l’accomplissement des Mitsvot. Le Chem Michémouël développe ce point ; il ne suffit pas de vivre une existence entièrement spirituelle, il faut élever le monde matériel. Lorsque le peuple juif y parvient, il atteint le but de la Création et la Rédemption finale peut avoir lieu. Les nations seront alors profondément touchées par ce changement, car elles seront dans l’obligation de rejeter toutes sortes de conduites immorales et devront ennoblir leur existence physique.
C’est ce que Bilaam et Balak redoutaient le plus. Ils savaient que si les juifs entraient en Erets Israël, ils vivraient une existence bien plus matérielle que dans le désert. Pendant les dernières quarante années, leur vie était entièrement spirituelle, tous leurs besoins étaient comblés de manière surnaturelle et ils pouvaient se consacrer librement à leur Avodat Hachem. Leur Rou’haniout était donc détachée du domaine physique. Or, dès leur entrée en Terre d’Israël, ils devront mener une vie matérielle, gagner leur vie par leurs propres moyens. Mais cette matérialité devra être élevée à travers l’accomplissement des Mitsvot relatives à la Terre.
Bilaam et Balak craignaient que le peuple juif concrétise l’objectif ultime de la Création et que les non-juifs soient obligés de modifier complètement leur mode de vie. Cela leur paraissait insoutenable ; jusqu’alors, le concept de spiritualité existait, mais il restait complètement détaché de leur quotidien. C'est pourquoi les gens comme Bilaam et Balak pouvaient atteindre de très hauts niveaux spirituels tout en menant une vie très matérielle et basse.
Nous comprenons à présent les intentions de Bilaam et Balak – ils ne cherchaient pas à détruire vraiment le peuple juif[4], mais ils voulaient l’empêcher de relier le monde spirituel et le monde matériel. Leur projet échoua, parce qu’ils ne réalisèrent pas que les Bné Israël ont pour mission de vivre dans la matérialité et de la sanctifier, comme l’explique le ’Hidouché Harim.
En effet, le Midrach nous raconte que Bilaam fut puni pour son approche erronée. Dans l’une de ses bénédictions émises par mégarde au peuple juif, il observa qu’Hachem compte les accouplements au sein de Son peuple[5]. Le Midrach Tan’houma explique la signification de ce verset : Hachem attend impatiemment que Ses enfants s’unissent et qu’un nouveau Tsadik soit conçu. Bilaam trouva ceci déplacé et pensa : « Celui Qui est saint et dont les serviteurs sont saints regarde ce genre de choses ! » À la suite de cet épisode, Bilaam fut puni et son œil fut crevé[6]. Là aussi, le Chem Michémouël note que Bilaam avait une fausse notion de la sainteté – il ne pouvait saisir que des actes physiques puissent être honorables et saints aux yeux d’Hachem.
Finalement, même Bilaam admit son erreur ; il dit : « Qui compta la poussière de Yaakov ? »[7] Le Midrach précise qu’il faisait référence aux nombreuses Mitsvot relatives à la poussière, c’est-à-dire à l’activité agricole, comme les interdits de Kilaïm entre divers aliments ou divers animaux. Il évoque particulièrement ce genre de commandements parce qu’ils ont trait aux activités les plus physiques. Le Chem Michémouël rapporte un autre Midrach qui nous dit qu’Hachem les imposa précisément dans les domaines les plus matériels afin que les activités les plus mondaines soient ennoblies et acquièrent de la sainteté[8]. Bilaam reconnut que son projet de détacher la spiritualité de la matérialité était voué à l’échec, puisqu’il contredisait le but même du Klal Israël.
Hachem lui montra l’erreur qu’il commettait – la Rou’haniout (la spiritualité) ne se limite pas à la synagogue ou à la maison d’étude. Un Juif est tenu d’accomplir plusieurs Mitsvot qui élèvent ses activités quotidiennes en actes saints. Le monde du travail regorge de lois concernant l’honnêteté ; le simple fait de manger requiert une connaissance importante des lois de Cacheroute, des bénédictions et du Dérekh Erets (savoir vivre, conduite appropriée). Même le fait de prendre soin de son corps est soumis à plusieurs règles. Notons qu’il existe une bénédiction à réciter après avoir fait ses besoins. À ce propos, une personne ayant étudié des centaines de religions a affirmé que seulement dans le judaïsme, on trouve une bénédiction pour un acte si « bas ». D’ailleurs, la Brakha de « Acher Yatsar » est la seule qui fait référence au « Kissé Hakavod »[9], qui est l’apogée de la sainteté.
Cela nous enseigne que même les actes les plus mondains et les plus bas d’un homme sont importants pour Hachem. Il souhaite que nous soyons impliqués dans le monde matériel, mais, comme le souligne le ’Hidouché Harim, notre tâche consiste à les élever jusqu’aux Cieux.
[1] Chem Michémouël, Parachat Balak, année 5670, p. 328.
[2] Bamidbar, 22:6.
[3] Téhilim, 115:1.
[4] Pourtant, le but de Bilaam semble être de les tuer. Voir Chem Michémouël, Parachat Balak, année 5672, p. 330, qui explique ce Midrach.
[5] Bamidbar, 23:10.
[6] Midrach Tan’houma, Bamidbar, ch. 12, rapporté par Rachi, Bamidbar, 23:10 et 24:3.
[7] Bamidbar, 23:10.
[8] Chem Michémouël, Parachat Balak, année 5674, p. 371, en référence à Bamidbar Raba, 17:5.
[9] Littéralement traduit par « Trône de Gloire ».